Agrisud, un modèle de développement en zone tropicale humide.
Origine d’Agrisud
En 1985, après trente-huit ans de carrière de dirigeant d’entreprise, je prenais ma retraite.
Au moment de quitter la vie économique, trois grandes préoccupations occupaient mon esprit :
- le produit des activités industrielles et commerciales se partageait de plus en plus inégalitairement ;
- l’aggravation incoercible de la pauvreté ne pouvait que mettre en danger l’avenir de notre planète : 2 milliards de riches, 4 milliards de pauvres !
- l’insuffisance de création de nouveaux marchés solvables rendrait un jour difficile l’alimentation de la croissance.
C’est alors que le président Michel Pecqueur (52), à l’époque président de ELF, me confia une mission d’étude en Afrique subsaharienne : il voulait savoir comment répondre mieux aux demandes d’aide économique des chefs d’État des pays où son groupe opérait.
Les entretiens que j’ai eus avec le président Sassou N’Guesso m’amenèrent à centrer mon étude sur le Congo-Brazzaville.
Mes premiers constats
Quinze années de pratique de l’aide au développement n’ont fait que confirmer mes premiers constats.
Les structures économiques de ces pays comportent une strate tout à fait insuffisante d’entreprises moyennes et petites, faute de marchés solvables porteurs.
85 % des populations qui les peuplent vivent dans un état plus ou moins grave de précarité.
Elles portent pourtant en elles des dynamiques humaines sur lesquelles il est possible de bâtir un développement.
Enfin leur précarité même représente un immense marché potentiel de besoins essentiels, à commencer par les besoins alimentaires.
Le vieil entrepreneur que j’étais alors a pensé qu’il devait être possible, à partir des ressources naturelles de ces pays et des ressources humaines de leurs populations, de créer, pour le plus grand nombre, des activités rémunératrices pour répondre aux besoins de cet immense marché, créer des revenus additionnels et amorcer ainsi le développement de nouveaux marchés solvables.
Le président du Congo a aussitôt accepté de prélever sur ses ressources pétrolières une somme permettant de créer un centre expérimental pour vérifier le bien-fondé de cette affirmation.
La phase expérimentale
Ce centre expérimental fut créé en 1987 à Kombé, à 17 kilomètres au sud de Brazzaville.
Il s’agissait d’inventer des modèles reproductibles de petites exploitations agricoles et de petites entreprises para-agricoles, capables de faire gagner à leurs propriétaires deux ou trois fois, au moins, le salaire d’un fonctionnaire de base.
Quatre ans après, le centre comportait une trentaine de petites exploitations et de petites entreprises ayant largement atteint cet objectif.
Ce centre nous permit, en même temps, de définir les services d’appui indispensables à la création, à la multiplication et à la pérennisation de ces petites exploitations et entreprises :
- service d’étude et de diagnostic,
- service de formation adaptée,
- service d’intégration de ces entreprises dans leurs filières respectives,
- service de suivi et d’accompagnement des entreprises créées ou réhabilitées.
La phase pilote
Deux rencontres importantes nous permirent alors de passer du stade expérimental au développement : celle de J. Poly, ex-président de l’Inra, alors président du Cirad, et celle de J. Pelletier, le ministre de la Coopération à cette époque.
Ce dernier nous finança deux expériences pilotes : les premiers groupements de maraîchage et d’élevage de Brazzaville et ceux de Dolisie, nous permettant ainsi de lancer nos premiers programmes pilotes de développement périurbain. Les résultats de ces pilotes dépassant ceux de notre centre expérimental, et les nombreuses visites de nos réalisations nous amenèrent rapidement à un double mouvement d’extension de nos activités.
La phase développement et l’extension internationale
Sollicités par plusieurs responsables politiques d’Afrique et d’Asie, nous nous sommes implantés dans trois autres pays : le Gabon, le Cambodge, l’Angola.
Le président Sassou N’Guesso, dès son retour au pouvoir, nous a chargés de mettre en œuvre un véritable programme de développement national dont la carte de la page suivante donne les grandes lignes.
Ce programme a été financé par la Coopération française et l’Union européenne.
Pour mener à bien cette extension rapide d’activité, nous avons créé :
- en France,une association loi de 1901 dénommée Agrisud International chargée de rechercher les financements nécessaires auprès des grandes instances internationales de l’Aide, de recruter et de former les ressources humaines exigées par les programmes financés, de mettre en œuvre et d’assurer le contrôle de gestion de l’ensemble des opérations
- et dans chaque pays, une structure locale composée essentiellement de cadres nationaux dont notamment, Agricongo au Congo et l’Igad au Gabon, où les gouvernants ont décidé de participer à leur financement.
Le réseau Agrisud comporte aujourd’hui près de 250 cadres et techniciens dont 10 expatriés seulement. À fin 2000, nous aurons créé 5 460 TPE (très petites entreprises) et près de 20 000 emplois directs et indirects.
Une vocation internationale
Nous pensons avoir trouvé une des voies qui permettent enfin de lutter efficacement contre la pauvreté par l’économique.
Résultats prévus à fin 2000 | ||||
Entreprises créées ou réhabilitées | Taux de survie à 4 ans | Emplois créés | Entreprises accompagnées | |
Congo | 1 500 | 88 % | 9 130 | |
Gabon | 510 | 80 % | 2 490 | 710 |
Cambodge | 3 300 | 95 % | 7 860 | 3 500 |
Angola * | 150 | -; | 250 | 250 |
19 730 | 7 210 | |||
* L’activité Angola a été créée en 1999. Phase pilote. |
C’est ce qui a amené le ministre des Affaires étrangères et celui de la Coopération à faire de notre démarche la base d’un dispositif français de lutte contre la pauvreté par l’économique.
En fin 2001, avec l’aide de la Coopération française, de l’AFD et de l’Union européenne, nous serons implantés dans 10 pays et rejoindrons le niveau d’opération des grands organismes humanitaires.
Pour cela, bien sûr, nous devons restructurer financièrement notre structure opératrice en la dotant de fonds propres et d’un courant annuel de souscriptions.
Le principal résultat de notre démarche étant de rendre possible l’amorçage de nouveaux marchés solvables, il est normal que nous nous adressions aux 250 000 entreprises françaises, qui par une modeste participation peuvent donner à ce projet toute l’ampleur souhaitable.
J’apporte, personnellement, mon patrimoine à la nouvelle structure Agrisud et j’ai reçu l’assurance du concours de quelques grandes entreprises.
Je pense que la campagne que je me propose d’entreprendre dans chaque région de France fera le reste.
Je suis très conscient de la goutte d’eau que représentent ces 20 000 emplois dans l’océan de pauvreté qui recouvre le monde, mais je sais aussi que seuls ceux qui sont assez fous pour croire qu’ils peuvent changer le monde parviennent à le faire évoluer.
Un groupement maraîcher
Il se compose généralement de 30 petites exploitations de 1 000 m2 chacune. Après une ou deux années de culture de ces parcelles et notamment de leur enrichissement en matière organique, leur rendement atteint aisément 5 tonnes de légumes par an. Elles sont toutes équipées d’une borne à eau et d’un petit abri pour protéger les semis. Leur coût d’aménagement est d’environ 1 million de francs CFA*.
Elles rapportent en moyenne entre 125 000 et 150000 francs CFA net par mois ; les bons maraîchers dépassent aisément 200 000 francs CFA.
Chaque groupement élit son président et gère en commun le fonctionnement du système d’irrigation : motopompe, citerne et réseau de tuyaux d’arrosage.
Plusieurs groupements financent sur leurs revenus les premiers éléments de base d’une protection sociale commune : construction d’un petit dispensaire, aide à l’achat de médicaments…
Les maraîchers s’adressent, en général, pour leur besoin de crédit de campagne : semence, achat de fumier et d’engrais, à un organisme de microcrédit ; certains de ces organismes ont installé au carrefour de deux ou trois groupements un bureau construit en matériaux locaux.
* 1 franc français = 100 francs CFA.