Alain Stahl (X44) scientifique et philosophe
Après une brillante carrière dans l’industrie, Alain Stahl, major de la promotion 44, a consacré ses années de retraite à la réflexion sur les conséquences épistémologiques et philosophiques des avancées spectaculaires dans tous les domaines scientifiques, avec le souci de rapprocher science et philosophie.
Né le 5 février 1926, fils d’un directeur de la RATP, Alain obtient en 1942 le premier prix de mathématiques au Concours général et est reçu deux ans plus tard premier à l’École normale supérieure et troisième à l’X dont il sortira major. Sa carrière industrielle démarre dans le Nord comme ingénieur des Mines. En 1956, il quitte l’administration et va, successivement, franchir les échelons hiérarchiques chez Pechiney, puis Pechiney Saint-Gobain, chez Rhône-Poulenc, et enfin CDF-Chimie dont il sera le directeur général. Il avait une conscience très fine de ce que devait être la chimie moderne et ses créneaux stratégiques, et n’a pas toujours trouvé chez ses patrons la même finesse de réflexion.
Montagnard averti, il n’a arrêté ses courses en montagne qu’après avoir reçu un avertissement sérieux dans la face sud de la barre des Écrins. Arrivent les années de retraite ; Alain se fixe un emploi du temps sévère et travaille comme quand il était jeune ; il se remet au courant des avancées scientifiques, conçoit un projet d’ouvrage sur la philosophie de la science et soutient une thèse de lettres avec les félicitations du jury. Son livre est publié chez Vrin, en octobre 2004, dans la collection « Science-Histoire-Philosophie », sous le titre Science et philosophie. Rivales, étrangères ou complémentaires. Il y aura une 3e édition en 2017 et Alain travaillait avec le même enthousiasme à la 4e édition quand il a été victime de la covid au début du mois de mai. Celle-ci sera publiée prochainement.
Une érudition étourdissante
Gilles Dowek (X85) qui l’a souvent rencontré témoigne : « Alain Stahl nous a invités à repenser les relations entre la science et la philosophie, “ni rivales, ni étrangères”, en nous focalisant moins sur les apports de la philosophie à la science que sur ceux, réciproques, de la science à la philosophie. Ces apports sont rendus possibles par l’existence de concepts utilisés à la fois par la science et la philosophie : l’espace, le temps, la réalité, la causalité, la vie, la pensée, le langage, la complexité, le déterminisme, le hasard… que la science a profondément renouvelés depuis le début du XXe siècle.
Alain Stahl était passionné par l’opposition entre matérialisme et spiritualisme. La science n’a bien entendu pas vocation à trancher entre ces thèses et Alain ne cherchait pas à convertir son lecteur, mais il ne cachait pas ses convictions personnelles. Et en nous proposant, à l’issue de trente ans de réflexion, un spiritualisme donnant toute sa place à la science et à la raison, il nous a également proposé une vision nouvelle de la place des religions dans le monde contemporain. »
Science et spirituel
Gilbert Belaubre (X51) a été pendant vingt ans l’interlocuteur d’Alain au sein de l’Académie européenne interdisciplinaire des sciences. Évoquant les convictions philosophiques d’Alain sur le matérialisme et le spiritualisme, il nous dit : « C’était aussi un sujet que nous évoquions souvent. Né dans une famille agnostique, il a connu, avec Claire son épouse, un grand amour partagé sans le moindre nuage. Il a, selon ses termes, partagé par amour la religion de Claire. En paraphrasant Henri IV, je dirai : “Claire valait bien une messe.” Alain Stahl, à l’instar d’autres grands penseurs, tels que Pasteur, séparait le domaine du spirituel privé et celui de la science, un bien commun. » Et il conclut : « Alain Stahl était un homme d’abord simple, mais c’était une simplicité aristocratique. Au fond de ma mémoire, la part de son âme qu’il m’a léguée est présente et elle restera toujours vivante. »