ALCATEL au Viêt-Nam, une affaire de patience
Lorsque, à la fin des années quatre-vingts, le Viêt-nam décide de lancer une politique d’ouverture, le pays est très démuni en matière de lignes téléphoniques. Les télécommunications sont placées parmi les secteurs à développer d’urgence, et c’est dans ce contexte de pénurie, mais aussi de challenge exaltant, que s’inscrit l’aventure d’Alcatel au Viêt-nam, commencée en 1987.
Dix ans plus tard, ce groupe pose plus de 200 000 lignes par an, grâce à une Joint Venture conclue avec les Postes et Télécommunications vietnamiennes (VNPT). Retour sur une croissance maîtrisée, placée sous le signe de la patience et de l’humilité.
Au départ, il n’y avait rien, ou si peu. Une très faible densité téléphonique : 56 000 lignes pour 72 millions d’habitants, dont 30 000 sur Hô Chi Minh Ville et 12 000 sur Hanoi. Des lignes analogiques, datant de l’époque coloniale française, certaines installées par les Américains. Utilisées par les hauts fonctionnaires, ou les gros commerçants, alors que, dans les campagnes, c’est le vieux « téléphone de guerre », dans les postes, qui est toujours là.
C’est dans ce contexte que le gouvernement déclare « priorité nationale », en 1987, la modernisation du secteur, placé en première position, avec l’eau, l’énergie et les transports. En raison des liens existant entre la France et le Viêt-nam, il apparaît alors logique à Alcatel de tenter de s’implanter dans le pays.
Dès juillet 1988, le secrétaire général des Postes et Télécommunications, M. Dang Van Than, est invité à venir visiter en France, à Nice, une exposition sur les télécommunications. Le contexte régional incite aussi Alcatel à vouloir tenter l’aventure, en corrélation avec sa présence dans les pays voisins, notamment en Chine, en Thaïlande et en Malaisie.
C’est donc en pionnier, dans un pays ami, que notre entreprise commence son approche. En 1988, seuls les Australiens de Telstra sont sur le terrain. Cette primauté de la présence va se révéler décisive, et permettra de s’attirer la reconnaissance des autorités vietnamiennnes, très sensibles à la notion de durée.
Un premier contrat est signé en décembre 1988 entre Alcatel et VNPT, et porte sur la construction d’un central numérique à Hanoi. Alcatel est alors fournisseur de VNPT. De son côté, Telstra a signé en 1990 un Business Cooperation Contract (BCC), avec VNPT, portant sur les télécommunications internationales.
À partir de 1991, une déferlante de concurrence s’abat sur le Viêt-nam ! Et aujourd’hui, à l’exception de l’américain AT&T (présent de manière symbolique), la plupart des grands groupes du secteur sont sur place, créant parfois une situation compliquée, en multipliant les systèmes, dans un pays présenté parfois comme un « salon des télécommunications ».
L’implantation d’Alcatel
Les premières activités concernent la vente directe à VNPT de 140 000 lignes téléphoniques au cours des trois premières années. Le financement de l’opération est tripartite : État français (sous forme de dons), fonds propres de VNPT et crédit fournisseur d’Alcatel.
Les personnels travaillent à cette époque directement dans les bureaux des P&T locaux, et installent les centraux téléphoniques.
L’idée d’une Joint Venture avait été émise dès le départ par les autorités vietnamiennes, mais il n’était possible d’y souscrire qu’une fois un certain nombre de structures réalisées. Celles-ci achevées, la Joint Venture devient possible.
Pourquoi cette volonté, du côté vietnamien ? Pour maîtriser leur croissance, par le biais de structures locales. Après quatre mois de négociations avec VNPT, la Joint Venture est signée le 7 juillet 1993, et est créé Alcatel Network Systems Vietnam (ANSV), à laquelle la maison mère participe à hauteur de 51 %. VNPT en est à la fois l’associé et son client pour l’achat de matériels et de technologie. L’investissement est de 4,7 millions de dollars. L’ensemble des réalisations se fait avec la technologie d’Alcatel, en particulier la production de systèmes téléphoniques Alcatel 1000 E 10, la fourniture de services techniques et la recherche et développement de logiciels.
L’implantation des systèmes concerne à terme l’ensemble du pays, et d’ores et déjà les grandes villes : Hanoi, Hô Chi Minh Ville, Can Tho, Vung Tau, Huê, Da Nang, Lao Cai etc. Un gros effort est à prévoir pour les prochaines années sur la téléphonie rurale (voir encadré).
En 1996, les systèmes de télécommunications d’ANSV couvrent 60 % du marché vietnamien. En 1996, le volume de lignes en commande est de 250 000. D’autre part, ANSV exporte sa technologie, et a ainsi vendu 50 000 lignes en Thaïlande.
ANSV est présent sur tous les créneaux de la communication : faisceaux hertziens, transmission sur câble, GSM (infrastructures pour téléphone mobile), PABX (téléphone personnel), accès radio (raccordement sans câble par radio). La partie recherche en logiciels s’élève à 365 000 dollars en 1995 et à 550 000 dollars en 1996.
Le chiffre d’affaires cumulé de la société depuis sa création s’élève à 700 millions de francs. Après des pertes de 153 000 dollars pour sa première année d’opération (1994), les profits ont atteint 750 000 dollars en 1995, 850 000 dollars en 1996, et les prévisions sont de un million de dollars pour 1997.
Atelier de montage. © CH. DUMONT-SCOPIMAG
Un fonctionnement dual
Le Viêt-nam est à la fois un pays des plus centralisés et une terre de consensus. Le directeur général a dû bien évidemment prendre soin de bien expliquer la teneur du projet envisagé, et tenir compte des commentaires de ses partenaires, avant même de leur soumettre le dossier. Dans le cas de cette Joint Venture, le choix du partenaire était clair, puisqu’il s’agissait du seul opérateur des Postes et Télécommunications. De ces négociations a découlé une direction duale, formée du directeur général français, Pierre Cascarino, et du directeur général adjoint vietnamien, Nguyên Si Hue.
En termes d’effectifs, les Français sont peu nombreux : deux salariés, et cinq expatriés en assistance technique, alors que l’entreprise emploie 102 salariés vietnamiens.
Quatre départements sont constitués : administratif et financier (25 personnes), industriel (40 personnes), réalisations (25 personnes) et le centre technique et développement (12 personnes). Dans l’organisation de la Joint Venture, la partie vietnamienne se charge de l’aspect administratif, et de celui du recrutement. En majeure partie, les ingénieurs vietnamiens sont issus de l’Institut polytechnique de Hanoi. Dès le départ, des programmes de formation complémentaires ont été mis en place, permettant à la totalité de l’encadrement et à une bonne partie du personnel de pouvoir se rendre en France pour suivre des stages au sein de la maison mère.
Parallèlement, le français a été institué langue officielle dans l’entreprise – ce qui est loin d’être le cas pour la majorité des compagnies françaises présentes au Viêt-nam. Ce choix d’ANSV s’explique par une volonté de véhiculer des valeurs communes, et d’abaisser au maximum les barrières de communication. Pour cela, une convention a été signée avec l’Aupelf-Uref pour que les employés puissent bénéficier de cours de français.
En termes de ressources matérielles, la partie vietnamienne a amené les terrains et les bâtiments, et Alcatel les machines nécessaires à la production. La technologie utilisée permet l’assemblage de tout ce qui est carte d’abonné et bâti.
En termes de ressources financières, le capital légal est de 24 millions de francs et le capital investi de 30 millions de francs. En marge de ces données brutes, un fait ressort : l’absolue nécessité de prendre en compte le facteur temps, qu’il faut appréhender sereinement, en privilégiant toujours la manière douce…
Problèmes majeurs rencontrés
Les problèmes majeurs rencontrés sont inhérents à la formule de la Joint Venture. La loi vietnamienne est particulièrement contraignante : toute décision importante (concernant le budget, la production, les salaires, les primes, les nominations des cadres, le rapport annuel…) doit se faire en consensus entre le directeur général et le directeur général adjoint. D’autre part, les décisions du Conseil d’administration (où siègent trois représentants d’Alcatel et deux de VNPT) doivent être prises à l’unanimité, ce qui n’est pas toujours facile…
Sur un autre plan, alors que les salariés vietnamiens ont fortement progressé en termes de connaissances théoriques et pratiques pendant les trois premières années d’activité, cette progression est désormais plus difficile, ce qui s’explique aisément par la complexification des problèmes, liés à l’économie de marché elle-même. Un seuil qu’il n’est pas aisé de franchir pour une génération d’ingénieurs, qui n’a pas eu la formation de base nécessaire pour appréhender facilement ces concepts.
Mais ces difficultés, qui concernent la vie quotidienne de la Joint Venture, n’ont pas de répercussions commerciales ; les résultats en ce domaine en sont la preuve. Le fait de pouvoir s’appuyer sur un groupe de taille mondiale, en tant que fournisseur, permet aussi de pouvoir surmonter bien des obstacles…
Une concurrence très présente
DES TÉLÉPHONES POUR LA CAMPAGNE
Plus de 75 % de la population habite dans les campagnes, mais la densité en postes téléphoniques n’est que de 0,3 poste pour 100 habitants, contre 6 postes pour 100 habitants en ville. L’enjeu des prochaines années, le voici : la téléphonie rurale !
Les problèmes sont multiples : dispersion de l’habitat, isolement de certaines provinces, et donc coût dix fois plus élevé qu’en ville. C’est pourtant un programme d’intérêt national pour le Viêt-nam. Il permettra d’éviter (même si c’est loin d’être le seul facteur entrant en ligne de compte) l’exode rural, et donc l’entassement dans les grandes villes. DGPT prévoit un investissement de l’ordre de 500 millions de dollars. Pour ANSV, ce secteur apparaît donc stratégique pour les prochaines années.
Le marché des télécommunications, dans les pays d’Asie du Sud-Est, et au Viêt-nam en particulier, continue à attirer les investisseurs du secteur, en raison de sa forte croissance prévue pour les prochaines années (10 % par an). Depuis 1989, Siemens est présent sur place, et a réalisé un chiffre d’affaires de 180 millions de dollars, en prestations et services. Ce sont des performances du même ordre que celles d’ANSV. Suivent ensuite, par ordre décroissant : le coréen Goldstar, le suédois Ericsson, les japonais NEC et Fujitsu, l’italien Italtel et l’allemand Bosch Telekom.
Alors que tous les systèmes étaient jusqu’à présent acceptés, les autorités vietnamiennes devraient bientôt porter leur choix sur quatre d’entre eux. Ceux proposés par ANSV, par Siemens-Bosch, par NEC et par Goldstar. Un certain nombre de facteurs sont déterminants, en particulier l’antériorité de l’implantation, la qualité de la technique, et les données politiques, liées à la volonté vietnamienne de continuer à s’ouvrir, en particulier vers des pays qui peuvent lui permettre d’améliorer sa position sur la scène internationale.
L’avenir est à la diversification
Aujourd’hui, la Joint Venture fait avec succès de la commutation et de la transmission, au rythme de 200 000 lignes par an. Les perspectives pour le Viêt-nam sont d’atteindre, pour l’an 2000, une densité de lignes téléphonique de 4 à 5 % (alors qu’elle n’était que de 0,06 % en 1987). Pour cela il faut sur trois ans investir 11 millions de dollars, pour atteindre une production de 600 000 lignes par an, et garder 60 % de part de marché.
D’autre part, les autres activités : mobile (GSM), transmission sur faisceaux hertziens (SDH), sur câble optique (SDH) et accès pour la téléphonie rurale doivent fortement progresser, pour atteindre 30 % de part de marché.
Enfin, le satellite est d’actualité. M. Dang Van Thang, directeur général de DGPT, a annoncé que « le Viêt-nam a pour ambition d’avoir son propre satellite de télécommunications ». D’ores et déjà, le pays peut louer des chaînes satellitaires sur Intelsat, Interspoutnik, Asiasat, Thaicom. Mais les besoins en forte progression impliquent le lancement d’un satellite vietnamien. Alcatel mais aussi d’autres grands groupes internationaux ont déjà présenté des offres au gouvernement vietnamien.
Le bilan : une réussite
Côté vietnamien, la clef du succès réside dans la durée. La Joint Venture a été signée pour dix ans, elle devrait bientôt s’étendre à vingt ans. Les bâtiments des télécommunications sont rénovés, la croissance du nombre de lignes impressionnante, le secteur jugé stratégique a bien décollé.
D’autre part, cette alliance avec un grand groupe international confère un incontestable prestige, et « l’effet vitrine » se traduit aussi par le nombre de visiteurs de haut niveau qui viennent visiter le siège de ASNV. À terme, la partie vietnamienne souhaite encore davantage « vietnamiser » l’entreprise.
Gestion de réseau. © ALCATEL ALSTHOM
Côté Alcatel, le chiffre d’affaires réalisé et les perspectives d’avenir sont des critères de satisfaction. La vietnamisation est réussie, et l’expérience concluante.
Quelles leçons tirer de ce succès ? Tout d’abord, la confirmation que l’Asie exige l’humilité. Pour espérer pouvoir faire quelque chose dans ce pays, il faut essayer de comprendre ce que veulent les Vietnamiens. L’erreur est de vouloir forcer la main, de ne pas savoir attendre.
Des rudiments de culture locale, qui peuvent paraître triviaux, sont essentiels : savoir tendre une carte de visite avec les deux mains, ne pas serrer la main aux femmes, ne pas donner de rendez-vous à 11 h 30 du matin… les Vietnamiens mangent tôt. Ne jamais se mettre en colère, vous perdriez la face. Ces précautions ne doivent pas empêcher d’être ferme. Les deux critères principaux de respect sont la richesse et le travail.
L’étranger est naturellement synonyme de richesse, mais il doit prouver par son travail qu’il peut apporter quelque chose… au Viêt-nam. Les trois piliers du Viêt-nam actuel sont encore le culte des ancêtres, Confucius et le Parti Communiste, le tout en forme de pyramide. En conséquence, il ne suffit pas de convaincre la tête de la hiérarchie, mais il faut aussi susciter l’adhésion du secteur opérationnel.
Pour l’anecdote, si vous voulez faire câbler une pièce en ligne droite, et non par des voies détournées, vous pouvez imposer à votre chef de chantier vos vues. Il ira discuter avec les ouvriers, leur transmettra « ce que l’étranger a dit », et il y a de fortes chances que ceux-ci ne comprennent pas l’intérêt de la chose, et vous fassent un câblage à leur façon.
Si, au contraire, vous sollicitez l’avis de votre chef de chantier, tout en lui expliquant pourquoi, selon vous, la voie directe vous semble judicieuse, il ira toujours voir ses ouvriers, leur exposera le problème avec des arguments qu’ils intégreront comme des choix venus d’eux-mêmes… et ils vous montreront avec fierté leurs réalisations. Le Viêt-nam, c’est prudence, patience, persévérance.
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Cet article est rempli de préjugés et de fausses connaissances du pays. L’histoire sur le câblage à la fin est complètement farfelue et ridicule. C’est de la caricature et nullement caractéristique du caractère « viet ». ça explique pourquoi, avec des managers de ce calibre, Alcatel a définitivement perdu sa place sur le marché des télécommunications au Vietnam aujourd’hui.