Les réseaux sous-marins, épine dorsale du monde digital de demain
Paul Gabla (83) et Olivier Gautheron (83), respectivement directeur commercial & marketing et directeur technique d’Alcatel Submarine Networks – leader mondial de la fabrication et de la pose de câbles sous-marins – nous en disent plus sur ces réseaux de communication, les projets d’ingénierie complexe et les perspectives pour le monde digital de demain.
Une capacité de transmission gigantesque au service de la révolution numérique
Les tous premiers câbles sous-marins de télécommunications, installés au milieu du XIXe siècle, transmettaient des communications télégraphiques.
Aujourd’hui, les réseaux sous-marins à fibre optique véhiculent des données numériques à très haut débit, depuis les simples échanges de courriels ou communications téléphoniques, jusqu’à la vidéo très haute définition en streaming. Grâce aux évolutions technologiques réalisées au cours des deux dernières décennies, la capacité de transmission d’un câble sous-marin moderne peut atteindre 300 Terabits/s soit 30 000 fois plus que le premier câble transatlantique à amplification optique TAT12/13 déployé en 1996.
De fait aujourd’hui, très loin devant le satellite réservé aux solutions d’accès ou de diffusion télévisuelle, plus de 99 % du trafic intercontinental, voix et données confondues, est assuré par les quelques 400 câbles sous-marins déployés à travers le monde. Cette supériorité technologique des réseaux sous-marins à fibre optique a rapidement attiré l’attention des acteurs « Over The Top » (ou GAFAM) tels que Facebook, Google, Amazon ou Microsoft à la recherche de grandes artères de communications internationales pour transporter de façon fiable les énormes flux de données que génèrent leurs applications et leurs serveurs. D’un marché historiquement dominé par les grands opérateurs télécoms pour commercialiser du transport de données, le secteur des réseaux sous-marins est en pleine mutation, avec une participation de plus en plus affirmée des OTT au développement des nouveaux réseaux sous-marins. Les OTT vont même jusqu’à construire leurs propres systèmes, dédiés à leur propre trafic. En effet, si la croissance internationale du trafic IP continue de croître à des taux plus qu’enviables (supérieur à 20 % par an), le développement du trafic entre centres de données (supérieur à 40 % par an) a définitivement pris le pas sur les échanges entre personnes physiques. En effet, du fait de l’implantation continentale des « méga datacenters », la sécurisation des données exige des stockages simultanés en différents endroits de la planète et un transfert permanent de données afin de minimiser le coût d’exploitation de ces datacenters. Pour répondre aux besoins croissants de capacité, de connectivité, de flexibilité et de disponibilité, les routes sous-marines se multiplient afin d’offrir une résilience accrue.
Des grands projets d’ingénierie complexe
L’industrie de ces réseaux s’est structurée autour de systémiers intégrés verticalement qui proposent des solutions clés en main, incluant à la fois la conception, la fabrication, l’installation terrestre et sous-marine ainsi que l’exploitation et la maintenance du système complet pendant la durée de vie du système, à savoir 25 ans.
La section immergée d’une liaison sous-marine est constituée des principaux éléments suivants :
un câble pouvant contenir jusqu’à 32 fibres optiques, des répéteurs espacés d’une centaine de kilométres dans lesquels se trouvent les amplificateurs optiques, et des unités de branchement optique dans le cas d’un réseau à multiples points de connexion. Le câble, à proprement parler, est une structure concentrique composée, en partant du centre, d’un tube d’acier inoxydable de 3 mm de diamètre contenant les fibres optiques, d’une voûte constituée d’une torsade de fils d’acier, d’un conducteur cuivre faiblement résistif (1 ohm/km) permettant d’alimenter les répéteurs depuis les stations d’atterrage par courant continu (1 A) et enfin d’un enrobage de polyéthylène destiné à assurer l’isolation électrique entre le conducteur et l’eau de mer. Le diamètre total du câble ainsi constitué est de 17 mm. Dans le cas où il est nécessaire de protéger le câble contre des agressions externes, notamment en eaux peu profondes (moins de 2 000 m), on ajoute une (ou deux) couche(s) d’armure protectrice composée de torons d’aciers de 3 mm de diamètre, maintenue(s) par un composite de goudron et de fibres polypropylène : on parle alors de câble simple (ou double) armure.
La conception de la liaison implique de trouver les meilleurs compromis de route et d’ensouillage (enfouissement du câble sous le fond de la mer avec une charrue et un soc jusque 4 mètres, parfois dans des sols gelés) en fonction des contraintes bathymétriques et des menaces sous-marines (sismiques, chalutage, ancrage…) tout en gardant le meilleur ratio vitesse/contraintes de pose par le navire câblier. Le tout est recetté sur la base d’une performance optique de bout en bout : capacité, latence, traitement/reconnaissance du signal transmis… Les systémiers doivent alors maîtriser plusieurs dizaines de corps de métiers différents, depuis l’ingénierie système jusqu’aux compétences électroniques, optiques, mécaniques, thermiques, électriques, fiabilité, en passant par l’ingénierie marine ou la conduite de grands projets d’infrastructures.
La maîtrise de ce très grand éventail de compétences a donné lieu à une concentration autour de trois grands acteurs : Alcatel Submarine Networks (Europe), Subcom (USA) et NEC (Japon) disposant de moyens industriels conséquents et de flottes de navires nécessaires à la pose ainsi qu’à la maintenance des systèmes déployés. En cas de coupure, il faut localiser et réparer le câble à des profondeurs pouvant aller jusque 8 000 mètres.
Des infrastructures rendant possibles les applications temps-réel de demain
La performance technologique des systèmes à fibre optique augmente de façon continue afin de servir des applications de plus en plus gourmandes en bande passante : réseaux mobiles 4G/5G, streaming vidéo ultra-haute définition (8 K), objets connectés / communication machine-to-machine, transactions financières à haute fréquence.
La tendance devrait continuer à s’accélérer : de nouvelles applications temps-réel, comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée ou encore les véhicules autonomes, exigeront des futurs réseaux internationaux un bond important en matière de capacité et de réduction des temps de latence. Par exemple, les applications de réalité virtuelle et de réalité augmentée exigent une bande passante 25 fois plus élevée que le streaming vidéo en HD, ainsi qu’un temps de latence réduit à moins de 0,1 ms afin d’offrir fluidité et réalisme. D’autres applications dynamiques tendent à couvrir des besoins sociétaux apportant aux territoires les plus isolés les bienfaits du e‑learning interactif, de la télémédecine ou de la traduction simultanée automatisée. Le volume de données transporté devrait ainsi être multiplié par plus de 50 dans les 5 prochaines années tout en améliorant le niveau de sécurisation (redondance et chiffrage des données) et de résilience des réseaux.
Après plus d’un siècle et demi, il est pour le moins fascinant que l’industrie des câbles sous-marins à fibres optiques, à la croisée des industries mécaniques, navales, électroniques et optiques, soit toujours au cœur des évolutions technologiques les plus avancées. Les réseaux sous-marins ont su préempter des technologies d’avant-garde, tout en préservant leur ADN d’infrastructures à très haute fiabilité.
Car la bonne marche du monde entier en dépend, comme on a pu le constater au cours de la crise mondiale des derniers mois : l’utilisation des réseaux de télécommunications a explosé, pour permettre aux entreprises de continuer à fonctionner grâce au télétravail, et aux particuliers de ne pas perdre le lien avec leurs proches grâce aux outils de communication et de présence virtuelle.
Pour en savoir plus
Site Internet d’Alcatel Submarine Network