Algérie : mémoire déracinée
Vivant comme un roman mais aussi documenté qu’une thèse, ce livre invite à revisiter un siècle et demi de destins croisés entre la France et l’Algérie.
De nombreux X ont contribué à développer l’Algérie. C’est en grande partie grâce à leur compétence et à leur talent que l’équipement de ce pays en infrastructures de toutes sortes (routières, portuaires, aéroportuaires, hydrauliques, pétrolières, gazières, etc.) ne le cédait en rien à celui des autres pays riverains de la Méditerranée.
Nombreux sont également les X qui ont participé à la chevauchée fantastique de l’armée d’Afrique, celle qui, durant la Seconde Guerre mondiale, donna à la France la seule grande victoire de portée stratégique remportée par ses armées : la rupture de la “ ligne Hitler ” sur le Garigliano, rupture qui entraîna l’entrée dans Rome, bientôt suivie du débarquement dans le Var et de la prise de Toulon, Marseille et Lyon par les Français.
Cette campagne victorieuse a déjà été décrite dans La Jaune et la Rouge par le général d’armée François Valentin (32). Sans ces 400 000 hommes de l’armée d’Afrique, parmi lesquels figuraient 200 000 Français d’Afrique du Nord, la France occuperait-elle au Conseil de Sécurité le siège envié qui est aujourd’hui le sien ?
Toutefois, si beaucoup de nos camarades métropolitains se sont dévoués corps et âme à l’Afrique du Nord, cette région du monde ne pouvait être ressentie charnellement par eux comme leur patrie. La particularité et l’intérêt du témoignage de René Mayer tiennent à l’enracinement de sa famille depuis cinq générations dans cette plaine de Bône (aujourd’hui Annaba) où sont également nés Albert Camus et le maréchal Alphonse Juin.
À l’évidence, sans rien renier de sa francité, l’auteur vivait intensément son appartenance à l’Afrique du Nord. Il s’y sentait en harmonie avec un Kabyle de souche comme Salah Bouakouir (28), qui fut son patron, ou avec un poète comme Mouloud Feraoun.
Initialement parti à la recherche de son père et de ses origines, René Mayer nous fait revisiter une tranche de notre Histoire, depuis la conquête de la colonie “par le glaive et la charrue ” dans les années 1830–1850, jusqu’à ce régime militaire qui perdure aujourd’hui et dont – nolens volens – la France a favorisé l’installation.
L’ouvrage nous ouvre des horizons nouveaux sur les souffrances des “ pieds-noirs ”, sur leur instrumentalisation au profit des intérêts stratégiques et économiques métropolitains, sur les rendez-vous manqués de notre pays avec l’Histoire, sur la non-existence des “ accords d’Évian ” et sur une décolonisation bâclée qui abandonna deux millions de personnes et sacrifia délibérément 100 000 harkis. Aux faits qu’il rapporte, on peut certes opposer d’autres faits, mais on n’a guère le droit d’ignorer ceux-là.
Que ceux qui préfèrent vivre l’âme sereine, heureux de n’avoir pas su ou participé, gavés d’idées toutes faites, ne lisent pas ce livre passionné.