Aller chercher aux États-Unis des solutions aux problèmes français ?
La question peut paraître incongrue alors que, pour tant de nos concitoyens, les États-Unis ne sont pas un modèle.
Parmi les autres, beaucoup veulent bien leur concéder de nombreux succès mais ils pensent souvent alors que ce qui a marché là-bas ne peut pas être transplanté ici à cause de spécificités françaises.
Pour avoir eu la chance d’être exposé de façon très intense à la société américaine sans y être jamais complètement immergé ces dix dernières années, j’ai pu, au gré de mes allers retours si fréquents, regarder les deux pays avec un certain recul.
Comme nous tous, j’observe que la société française absorbe aisément et de façon continue de nombreux comportements d’outre-Atlantique. Mais surtout j’ai été convaincu que nous gagnerions beaucoup à adopter un grand nombre de caractères américains et que ce ne serait pas très ardu. À condition toutefois de ne pas partir du principe que la France doit devenir un clone des États-Unis dans tous les domaines, comme certains thuriféraires. Mais au contraire en prenant le parti de choisir là-bas ce qui nous ressemble, qui est déjà presque nôtre, et que donc on pourrait chercher à franciser sans nous américaniser.
Quel rapport entre cette démarche et X‑Sursaut, demanderez-vous peut-être ?
Il est simple. Le rapport Camdessus, notre référence fondatrice, affirme la nécessité de définir un nouvel équilibre socioéconomique entre Français pour sortir « par le haut » de la crise actuelle. Cette démarche est nécessaire afin de rendre acceptables les efforts et sacrifices que l’impératif de croissance imposera aux Français. Le rapport contient d’ailleurs un certain nombre de propositions conçues pour rechercher ce nouvel équilibre social sans aller pour autant jusqu’à déclarer que le « modèle social français » est obsolète.
Homme de terrain, je crois que l’avènement d’un nouveau modèle, sans conteste nécessaire à mes yeux, ne sera pas le produit « tout armé » de la réflexion d’un groupe de l’élite française, fût-il aussi distingué que la commission Camdessus.
Le processus d’adoption des comportements d’origine américaine ouvre ici une piste. Il se fait de façon beaucoup plus spontanée, démocratique, « populaire », par séduction, snobisme, intérêt, facilité, etc.
C’est cette piste que j’ai voulu suivre en cherchant quelques exemples de transferts à la fois attirants pour leur utilité et leur proximité avec des valeurs françaises. Ils me font imaginer avec un optimisme peut-être excessif que notre pays peut réussir à les installer ici.
Faudra-t-il cacher leur origine ? Oui si elle provoque la résistance automatique, presque réflexe, devant ce qui vient de là-bas.
Mais leur adoption ne sera pas toujours si difficile, tant certaines de ces solutions ne sont à la vérité que des « retours à l’envoyeur » c’est-à-dire des transferts européens qui ont pris toute leur ampleur là-bas et qui peuvent maintenant « revenir au pays ».
Suis-je pour autant un pro-américain inconditionnel, un traître à l’identité française, en cherchant l’inspiration là-bas pour introduire un nouveau cheval de Troie dans notre Europe ?
Bien au contraire, je me délecte de la diversité de nos comportements européens et j’ai même la faiblesse de penser que le métissage américano- européen pourrait produire de ce côté-ci de l’Atlantique, plus facilement que de l’autre, un modèle social supérieur au modèle américain d’aujourd’hui.
Cette prétention fera sans doute sourire bien des Américains qui voient nos insuffisances dans tant de domaines où eux-mêmes excellent. Mais, s’il faut leur répondre, ne connaissons-nous pas tous de nombreux Américains qui trouvent que « la recherche du bonheur », aussi importante que la vie et la liberté dans la Déclaration d’Indépendance, est plus facile en France qu’aux États-Unis ?
Quand j’ai commencé cette réflexion, je n’imaginais pas qu’elle pourrait être aussi fructueuse.
Au moment de rédiger, placé devant l’embarras du choix, le plus facile est de prendre le parti de la provocation. Au lieu de célébrer le bonheur des entrepreneurs aux USA, si immédiatement évident pour tous ceux qui y exercent, j’ai préféré partir des valeurs chères à tous les Français pour trouver aux États-Unis des exemples de changement qui permettront à la fois de les raviver ici et de contribuer au redressement de notre pays.
Démocratie
Écouter
Appeler à écouter les problèmes des « gens », utiliser les sondages pour comprendre ce qui les dérange ou complique leur vie, ce n’est pas du populisme comme on l’entend trop souvent ici, c’est la base de la démocratie. Cette discipline, elle est immédiatement évidente aux États-Unis, où on vous regardera avec des yeux effarés si vous ratiocinez au lieu de chercher à comprendre et analyser l’opinion d’un expert ou d’un client. Cette rigueur, nous la suivons dans les entreprises en écoutant nos clients, directement ou par études de marchés interposées. Faut-il une imposante Commission du débat public pour que le gouvernement écoute les questions des citoyens au lieu de donner la priorité à des enjeux mineurs ou hors de sa portée et au lieu de suivre les soi-disant solutions qu’ils approuvent par sondages ?
Surtout comment justifier la sourde oreille quand dans des scrutins répétés les Français expriment leur déception devant les médiocres résultats des politiques publiques ?
Les priorités gouvernementales sont de traiter les problèmes clés des Français, ce sont eux qui fixent l’agenda.
Débattre
Dans une entreprise américaine, le patron participe obligatoirement à des fréquents « town hall meetings » en personne ou par téléphone pour répondre à toutes les questions d’où qu’elles viennent. Dès leur enfance, à l’école, nos amis ont appris à poser des questions précises et à analyser leurs problèmes. Serait-ce si difficile à enseigner immédiatement ici dans toutes les classes ? et à stigmatiser les débats inaudibles et les orateurs qui ne pensent qu’à couper la parole à leurs contradicteurs ?
L’argument d’autorité
Nous sommes nombreux à constater que la France est le pays, peut-être le dernier du monde occidental, où sévit encore le « Führerprinzip » que nos amis allemands ont maintenant abandonné depuis longtemps. Ici, la parole du chef est a priori respectable même lorsqu’il émet une opinion hasardeuse ou lorsqu’il suggère une orientation où vos compétences, reconnues, vous amènent à des conclusions différentes. Cette révérence est d’autant plus étonnante que le respect de la loi n’est pas chez nous la chose la plus répandue et alors qu’aux États-Unis la discipline est germanique lorsqu’il s’agit d’un ordre donné ès qualités par le chef mais où, au contraire, la libre expression est de règle lorsqu’on étudie un projet.
Ne pourrions-nous pas pratiquer moins de servilité ? Et renoncer à des marques de respect qui inhibent la critique, même modérée ? Pour en définitive aboutir à de meilleures solutions aux problèmes posés.
Débattre des vrais enjeux
Ici, même si, par chance, l’orateur principal ne tombe pas dans ce travers dans un débat public, au lieu d’une question on entendra une opinion destinée à montrer qu’on sait mieux que les autres reconstruire le monde. Cette reconstruction procédera souvent de choix, d’une vision idéologique. Dans Rio Bravo, le film de Howard Hawks, John Wayne attire promptement notre sympathie car il va lutter presque seul contre une bande de voyous. Mais le jeune Ricky Nelson, à notre étonnement, est plus soucieux de « s’occuper de ses affaires » que de la juste cause de John Wayne, qu’il finira quand même par seconder.
Il est frappant en France de voir que presque tout le monde a un avis sur presque tout et en particulier sur les questions qui ne les concernent pas directement.
Qu’il s’agisse des abus de biens sociaux, des rémunérations des patrons, ou des régimes spéciaux de Sécurité sociale ou des avantages particuliers de telle ou telle catégorie de fonctionnaires, le gouvernement ou le législateur impose une solution en se substituant aux personnes éventuellement lésées. Ce comportement de touche-à-tout médiocrement compétent prête à sourire quand on considère l’ampleur des efforts nécessaires pour gérer comme il faudrait la sphère publique. Mais il invite nos concitoyens à les imiter et à se transformer en démiurge à la petite semaine.
Ne pourrions-nous pas à chaque fois demander si celui qui parle pâtit ou bénéficie de la situation qu’il incrimine ou bien s’il adopte le point de vue de Sirius ?
Liberté
Individualisme
On se souvient du débat télévisé entre le Président de la République et un échantillon de jeunes pendant la campagne pour le référendum européen de mai 2005. Lui rappelait les engagements de la France et combien le traité en discussion protégerait les intérêts de la France. Eux, majoritairement, posaient la question américaine : « What’s in it for me ? » (Et à moi ça rapporte quoi ?).
Il est bien dommage que Jacques Chirac n’ait pas su répondre. Ce n’était pourtant pas impossible. Une réponse précise aurait aussi indiqué au pays que la question au ton américain n’était pas, n’est pas, indécente, que nos concitoyens ont le droit de penser à leurs intérêts propres surtout quand les résultats récents de la construction européenne en faveur des plus défavorisés de nos concitoyens (ou des jeunes !) n’étaient pas éclatants.
Le grand « tranquilliseur » de l’Élysée avait-il raison face aux désirs des jeunes ?
Cet individualisme a bien des mérites alors même que nous constatons trop souvent la propension à l’assistance et la « préférence » pour les emplois de fonctionnaires rapportées par les sondages. Surtout quand la création d’entreprises s’amplifie ces dernières années dans un environnement pourtant peu favorable.
Pourquoi le mépriser ?
Entreprises
Là-bas, l’économie de marché est équivalente à la liberté politique. L’atteinte à la concurrence est un délit aussi honteux que la fraude électorale.
Grâce à l’Europe, la France a beaucoup avancé dans la même direction.
Mais en France, il existe un fort parti des adversaires de l’entreprise et de l’économie de marché.
Libre à eux, toutes les opinions peuvent être exprimées.
Mais qui au gouvernement ou au Parlement dit tout simplement que la croissance économique, ce n’est pas une alchimie complexe des décisions d’économistes – keynésiens de préférence – mais, en tout premier lieu, le succès des entreprises et la confiance des entrepreneurs dans la continuation de ce succès dans l’avenir ?
Personne ! La posture naturelle pour tous les gouvernements français quels qu’ils soient est de vouloir se parer des plumes du paon lors des rares embellies de la conjoncture internationale alors même que perdurent les obstacles à la croissance des entreprises qu’ils n’ont rien fait pour supprimer. Ils prétendent même vouloir rendre compte des revenus plus ou moins équitables des salariés français.
L’économie, ici comme là-bas, joue un rôle clé dans le résultat des élections.
À tout le moins les gouvernements français devraient-ils augmenter la mise alors que la part de hasard dans leurs résultats économiques est plus importante qu’aux États-Unis ?
Égalité
Privilèges
La France, pays béni des dieux par sa terre et son climat, a accoutumé ses enfants à sa richesse ancestrale, et, indirectement, les a conduits à penser que la question clé était celle du partage du gâteau. Culture du monopole encore prégnante dans de fréquents comportements anticoncurrentiels, aux antipodes de l’esprit de conquête américain inculqué aux plus déshérités des Européens qui s’y installèrent il y a environ un siècle.
Nous avons appris de cet esprit de conquête économique grâce à l’ouverture des frontières dont la France a tant bénéficié contrairement à ses phobies anciennes. Mais pour autant nous ne voulons pas renoncer à des privilèges afin de nous assurer que notre part de gâteau ne diminue pas.
Comment expliquer autrement que les Grandes Écoles accueillent moins de fils d’ouvriers et d’employés qu’il y a trente ans ?
Nos recrutements ne sont-ils pas trop inspirés par le confort de retrouver des langages et des comportements familiers ?
La plupart de nos concitoyens pensent que la classe dirigeante du pays est à l’abri et indifférente à leurs soucis et qu’ils ne peuvent pas s’y faire une place sauf mérites éclatants. Cela peut-il durer ?
Même s’il est plus sélectif que dans les années soixante, l’ascenseur social continue de fonctionner aux États-Unis, car il n’accorde pas la même importance qu’ici à la réussite scolaire, dont on sait à quel point elle est déterminée par l’origine socioculturelle des enfants.
Se battre « à armes égales »
Il paraît que les Français auraient peur de la compétition, de la concurrence. Trop petits, mal préparés, contre plus grands et plus forts que nous.
Acceptons un instant de raison cette malédiction même si elle est démentie par de nombreux succès français. C’est que nous avons encore en mémoire les critiques acerbes des antieuropéens contre la « concurrence non biaisée » au sein du marché unique européen.
En la matière, l’obsession américaine est celle du « level playing field » : les concurrents doivent se battre sur un terrain au même niveau autrement dit plat. Il est curieux que nous devions traduire cela en supposant qu’on puisse avoir des armes égales. Bien sûr les armes ne sont pas égales. Il faut respecter la traduction de l’américain à la lettre. Les concurrents doivent partir de la même ligne de départ. C’est cela que la « concurrence non biaisée », expression vilipendée dans le débat européen de 2005, voulait dire.
Croyons-nous qu’il y ait beaucoup de Français pour souhaiter que le terrain ne soit pas égal ? Sauf bien sûr ceux qui veulent choisir leurs supérieurs et leurs inférieurs avec des critères qui n’ont rien à voir avec leur utilité sociale et qu’eux-mêmes fixeraient et qu’ils n’ont pas eu l’élégance de nous faire connaître.
Fraternité
Droit à l’erreur
Tout comme pour le Führerprinzip, nous sommes probablement, en France, les derniers à cacher nos erreurs avec autant d’application. Ainsi de l’affirmation péremptoire de beaucoup de fonctionnaires s’indignant à l’idée qu’une erreur puisse être commise par leur service. Comique d’une certaine manière, ce comportement devient bien triste si on le voit avec les yeux de l’exécutant qu’on rend ainsi timoré et servile.
Le droit à l’erreur, c’est d’abord l’idée que nous apprenons par nos erreurs, qu’elles sont donc un bienfait puisqu’elles nous conduisent sur la voie de l’amélioration individuelle et collective. Accorder ce droit est aussi un témoignage de fraternité pour nos collègues qui s’y exposent, c’est leur dire que nous sommes bien de la même espèce qu’eux. Nous aussi avons appris par le même processus et ils peuvent progresser dans la société tout comme nous avons progressé nous-mêmes.
Bien loin de l’arrogance qu’exprime le déni d’erreurs pourtant bien réelles.
Responsabilité sociale de l’entreprise
Le débat est aussi ardent aux États-Unis qu’atone ici.
Là-bas, les entreprises se demandent si leur seule utilité sociale est de gérer au mieux les facteurs de production et, en définitive, de maximiser leur résultat d’exploitation ou bien, au contraire, si elles doivent agir en faveur du développement social ou environnemental au prix de certaines dépenses non indispensables à leur exploitation.
Ici, beaucoup d’entreprises ne négligent pas leur rôle social mais, à contre-courant des attentes de la majorité des Français, n’osent plus en parler tant les hommes politiques sont prompts à monter sur le devant de la scène pour s’approprier leurs efforts en les considérant comme le fruit de leurs injonctions.
Faut-il s’étonner que les entreprises les plus sociales préfèrent garder un profil bas en dehors du périmètre immédiat de leurs programmes ?
Alors que l’action sociale du gouvernement fatalement égalitaire ne peut traiter la diversité et la complexité des situations individuelles avec discernement, le moment est sans doute venu d’expérimenter le remplacement du marteau-pilon de l’action indifférenciée, donc coûteuse, du gouvernement par des programmes plus spécifiques qui pourraient être gérés par des associations et financés par des initiatives privées apportant des résultats meilleurs à un coût moindre.
Patriotisme
Au début de la présidence Reagan, les bannières étoilées flottaient par centaines, devant chaque entreprise, à chaque coin de rue. Les temps ont un peu changé, on voit aujourd’hui moins de drapeaux. À cette aune pourtant le patriotisme américain est cent fois plus fort que le patriotisme français.
Peut-on en blâmer nos compatriotes quand nos gouvernements ne montrent pas des vertus qui nous permettraient d’être bien naturellement fiers d’eux, et de nous par voie de conséquence : montrent-ils de la lucidité ? de l’audace ? de la générosité dans leurs efforts ?
Pourtant, dès les premiers succès dans la Coupe du monde de football, les banlieues se sont couvertes de tricolore. Les porteurs de drapeaux étaient peut-être bien les mêmes qui sifflaient La Marseillaise avant un match international quelques mois plus tôt.
Le message n’est-il pas clair ? Nous serons patriotes quand les succès seront ceux de gens comme nous, quand nous serons ainsi reconnus comme Français.
Aux USA, la discipline du respect, même formel, même imbibé de l’hypocrisie du « politically correct » a eu raison de cette « fracture ». En serions-nous incapables ?
* * *
La liste pourrait être beaucoup plus longue et partir de valeurs plus universelles – ou plus triviales – que celles que j’ai retenues.
Il y aurait beaucoup à dire en particulier en partant de notre aspiration commune à être un exemple pour le reste de l’Humanité.
Beaucoup d’Américains veulent toujours construire une cité idéale, l’église scintillante sur la colline que le prédicateur puritain évoquait dès 1630.
Beaucoup de Français croient encore en toute bonne foi que nous pouvons servir d’exemple à d’autres pays.
Les réflexions qui précédent avaient seulement pour but de rappeler que nous devons nous regarder plus souvent avec les yeux des étrangers, que cet exercice est éminemment fécond.
Et d’abord pour nous-mêmes afin de nous convaincre que le chemin à parcourir n’est pas si difficile pourvu que nous le mesurions avec lucidité et sans préjugé. Serait-ce trop attendre de nos concitoyens et de nos dirigeants politiques ?