Allier l’audace et la curiosité
Présidente de l’INRA et du Conseil d’administration de l’École polytechnique, Marion Guillou offre un bel exemple de carrière originale. Poussée par l’envie de comprendre et l’audace d’entreprendre, elle commente quelques points forts de son métier et de ses multiples activités complémentaires.
REPÈRES
Polytechnicienne (73), docteur en physicochimie des biotransformations, Marion Guillou a été chercheur à l’université de Nantes, déléguée régionale à la recherche et à la technologie, attachée agricole de l’ambassade de France à Londres, directrice générale de l’alimentation au ministère de l’Agriculture, directrice générale de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qu’elle préside depuis juillet 2004.
« J’ai bien aimé la dernière carte de vœux de l’École polytechnique, commente Marion Guillou, avec la photographie de nos jeunes rameuses parties à la conquête de l’Atlantique. Elles nous vantent l’audace d’entreprendre. C’est collectif, courageux, pas gagné d’avance. Cela nécessite de prendre des risques. C’est ainsi qu’il faut mener une carrière. »
Explorer des domaines nouveaux
Sortie elle-même de l’École dans le corps des ingénieurs du Génie rural et des Eaux et Forêts, Marion Guillou s’intéresse alors à la biologie et à la science des aliments.
« Je n’avais pas de domaine de prédilection mais un goût personnel pour le vivant, pour la nature. Mon moteur est la curiosité, l’envie de comprendre, la recherche du sens. J’ai une grande admiration pour ceux qui inventent, qui explorent des domaines nouveaux. »
« Sur le plan du travail, le choix géographique est important. Avec Hervé, nous avons choisi de travailler tous les deux ; nous avons changé plusieurs fois d’affectation de manière coordonnée, parfois décalée, mais pas trop. Nous avons vécu dans la Manche, à Paris, à Nantes, à Londres, puis de nouveau à Paris. »
Un sens pragmatique de l’organisation
Marseillaise, Marion Guillou effectue ses études de « prépa » au lycée Thiers. Entrée à l’X en 1973, elle découvre Paris et la vie d’étudiante, pratique la voile, s’adonne à la gravure, organise un voyage en Chine, se préoccupe de problèmes sociaux. Elle mène en parallèle des études de biologie à la faculté de Jussieu. Mariée, mère de trois enfants déjà grands, elle se passionne aussi pour la Provence, la mer… et la recherche agronomique. |
Quels sont les points forts de son métier ? « Un sens pragmatique de l’organisation et du management. Je suis PDG d’un organisme de recherche important.
Un sens pragmatique de l’organisation et du management
L’INRA emploie environ 8 500 personnes dans toutes les régions de France et presque 10000 si on compte les doctorants encadrés par l’Institut. Ces personnes conduisent des programmes en sciences de la vie, sciences de l’environnement et sciences humaines et sociales. Les moyens financiers sont de l’ordre de 750 millions d’euros
« Tout cela suppose, bien sûr, beaucoup de travail mais un travail motivant, en équipe, créatif. J’aime soutenir et développer de grands projets dans des domaines exploratoires, aux niveaux national et international. « Je continue ainsi à exercer un rôle social, au sens du traitement de sujets de société. »
Une militante
« Un tel engagement professionnel ne se conduit pas avec indifférence.
« Je pourrais me qualifier de militante non partisane.
« J’ai accepté par ailleurs plusieurs responsabilités, à côté de cet engagement professionnel. Par exemple, je participe au Conseil d’administration de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Je préside le Conseil d’administration de l’X. L’École polytechnique est un des établissements français d’enseignement national. L’objectif fixé par le Conseil d’administration est d’aller plus loin : en complétant la gamme des disciplines approfondies (biologie aux interfaces) et en développant notre capacité scientifique dans quelques domaines forts : physique (laser, optique), mathématiques (simulation, organisation de systèmes complexes). La formation d’ingénieurs demeure notre cœur de métier mais nous créons en ce moment une graduate school, largement ouverte aux étudiants internationaux.
« Bref, beaucoup d’ambitions à porter avec une équipe de direction remarquable et mobilisée, et donc pour moi du temps, de l’énergie, de la réflexion stratégique avec ParisTech, Saclay, les entreprises ou le ministère de la Défense. »
La vie de la cité
Gérer une carrière au féminin
« Une carrière d’ingénieur est tout à fait compatible avec une vie de famille, affirme Marion Guillou. Elle convient bien aux femmes, contrairement à l’image attachée à ces métiers. « Il faut, bien sûr, un conjoint qui soit d’accord pour que chacun mène sa propre carrière. En ce qui nous concerne, nos domaines professionnels sont totalement disjoints. Nous en avons décidé très vite car nous avons tous deux un caractère fort. Nous partageons beaucoup d’autres choses, la navigation, les voyages, la complicité avec nos enfants, mais pas le boulot. »
Est-ce que Marion Guillou envisage une participation à la vie politique ?
« Je ne participe pas à la vie des partis politiques, mais plutôt à la vie de la cité, en étant membre de la Commission Attali, ou en présidant un groupe de suivi du Grenelle de l’environnement par exemple. Il faut faire des choix.
« De plus, en politique, il est nécessaire d’adopter toutes les opinions de son parti, cela ne me convient pas.
« J’estime les personnalités engagées en politique pour leur vision globale et leur sens d’une mission collective. J’ai travaillé avec certaines d’entre elles, mais la démocratie peut se vivre sur d’autres terrains. »
Des valeurs collectives
Une carrière d’ingénieur convient bien aux femmes contrairement aux idées reçues
Que penser de la confrérie polytechnicienne ? « L’École, avec la vie en internat, la place donnée aux projets de groupe, aux activités associatives et le service militaire ou civil, développe effectivement un sens des responsabilités, une capacité d’initiative, assez spécifiques de l’X me semble-t-il… et par là même occasion des liens exceptionnels entre les étudiants.
« Avec mes « coturnes » des années 75, nous nous revoyons très régulièrement, avec le plaisir qui s’attache aux amitiés durables.
Et l’avenir ?
« Je n’ai pas d’idée préconçue. Jamais rien n’est prévu d’avance. Je reste très ouverte aux opportunités à venir. Repartir à l’étranger, pourquoi pas ? »
Propos recueillis par Jean-Marc Chabanas (58)