AlloHouston : créer des produits numériques sur mesure
En 2016 Aurélien Debacq (2008) a cofondé AlloHouston, société qui est spécialisée dans la compréhension des besoins informatiques business-métier et la réalisation des solutions qui y répondent, en accompagnant le client de bout en bout. L’idée est qu’il n’y a pas besoin de cahier des charges ; le fournisseur parle le langage opérationnel du client, l’aide à choisir son cap et réalise tous les aspects liés à la technique (relations DSI, contractualisation, développement, mise en service, maintenance, suivi).
Quelle est l’activité de AlloHouston ?
Notre cœur de métier, c’est de concevoir, de construire et de mettre en application des produits numériques sur mesure, pour aider les entreprises à mieux fonctionner (revoir les processus métiers) ainsi que pour les aider à innover (lancer de nouveaux services). Notre vision du marché de la transformation numérique, c’est qu’on promet aux entreprises monts et merveilles depuis des années, en leur disant qu’elles seront plus efficaces, plus rapides, plus innovantes, etc. Mais en réalité elles n’en voient pas encore les bénéfices, parce qu’il leur manque la capacité à fournir à chacun de leurs métiers les moyens numériques spécifiques qui leur permettront de se transformer et d’innover.
Excel a été un formidable accélérateur de business, mais il a atteint ses limites. Pour passer à la vitesse supérieure, les entreprises ont besoin de s’équiper d’une multitude de produits numériques, un mix d’outils développés sur mesure et de logiciels standard. Et, pour fournir la meilleure solution à chaque fois, il ne faut plus d’intermédiaire entre les utilisateurs et les développeurs : nous sommes tous des consultants-développeurs.
Quel est le parcours des fondateurs d’AlloHouston ?
Nous sommes trois fondateurs. Je suis entré à l’X en 2008 et ai suivi un MSc en Aerospace Engineering en 4A, à Georgia Tech (Atlanta), suivi d’un MBA au Collège des ingénieurs. J’y ai rencontré mes deux associés, Guillaume Macherey passé par Supélec et Georgia Tech et Victor Parpoil passé par l’ENS Cachan et la Northwestern University (Chicago).
Avant de monter notre entreprise, nous nous sommes rencontrés au MBA, puis nous avons travaillé chacun dans son coin, moi-même en conseil chez Renault Nissan Consulting, ce qui m’a donné plein d’idées. Guillaume a aussi fait du conseil ; Victor a été directeur des opérations d’une société qui proposait une solution SaaS sur un marché de niche.
Comment t’est venue l’idée ?
Plus que l’idée, c’est une conjonction de facteurs qui nous a poussés à monter notre structure : nous formions une équipe, avec des valeurs et des envies communes, nous avons donc cherché une idée. Nous avons évalué plusieurs dizaines de business modèles, sur le transport, le bar à salade, etc.
À un moment, il a fallu se lancer et nous avons créé une application. Nous menions à l’époque dans nos métiers respectifs beaucoup d’ateliers collaboratifs à base de post-it qui apportaient de la valeur mais se finissaient toujours tard le soir par la réalisation d’un joli PowerPoint. Nous avons donc industrialisé cela et postulé avec cette solution SaaS dans un accélérateur qui nous a recalés. Mais nous avons appris de cette expérience et cela nous a permis de pivoter et de traiter d’autres problématiques.
Il y a cinq ans, dans les grands groupes, la mode était aux POC (proof of concept). Mais ils étaient souvent mal calibrés, mal développés, et ne donnaient en général lieu à aucune suite. Nous étions capables, nous, de les réaliser très rapidement, lors de missions courtes, avec des ateliers d’intelligence collaborative et quelques jours de développement et de tests, l’idée étant de prouver la valeur puis de passer la main à une ESN (SSII) ou à la DSI du client.
Mais nous avons vite réalisé que les clients ne voulaient pas changer de partenaire et nous demandaient d’assurer les évolutions, la maintenance et le suivi, car nous avions bien compris le problème et le métier. C’est ce que nous proposons maintenant : un accompagnement de l’idée à la mise en place du processus ou du service idéal et la maintenance de la solution technique associée. Le tout fourni bien sûr par une seule et même personne : le consultant-développeur !
Qui sont les concurrents ?
Les principaux concurrents d’AlloHouston, ce sont les ESN, desquelles on essaie de se démarquer, ainsi que les agences d’innovation, parfois adossées à de grands cabinets de conseil. Notre approche consultant-développeur est singulière. Les ESN proposent le plus souvent des équipes complètes, avec un chef de projet, des consultants et des développeurs : un scrum master, un data scientist, un développeur front, un développeur back, etc. Bref, rien de vraiment léger par rapport à nous.
De nouveaux concurrents émergent avec un nouvel univers d’outils devenus très à la mode : les solutions no code. De nos jours, la technologie est devenue plus simple, plus facile à mettre en œuvre. Mais avec le no code c’est encore plus simple, on peut construire des applis en drag and drop. Nous utilisons aussi ces outils lorsque cela est possible sur nos projets. Enfin, il y a la concurrence des solutions SaaS très spécialisées, sur certaines problématiques. Dans pareil cas, nous recommandons au client de partir sur le produit adapté.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
La société a été créée en août 2016. Le lancement s’est effectué sur le second semestre 2016, avec deux projets pour Renault. Puis nous avons effectué un premier pivot qui consistait à expliquer qu’il ne s’agissait pas uniquement de comprendre le problème et de « craquer le problème puis de passer la main », mais que nous devions proposer un accompagnement de bout en bout.
En 2018–2019, nous avons tenté de lancer une start-up factory et de créer des produits SaaS fondés sur des produits créés pour certains clients, puis nous nous sommes recentrés sur ce que nous savions faire de mieux : créer des produits numériques sur mesure ; et nous avons formalisé notre méthodologie en 6 étapes à ce moment. D’où le changement de nom de la société en 2018.
La crise Covid a freiné notre croissance, car nous n’étions pas structurés dans le domaine commercial. Cela nous a malgré tout permis de construire la vision qui est la nôtre actuellement, à savoir transformer notre savoir-faire et notre expérience en un produit utilisable par d’autres et former des consultants-développeurs chez nos clients pour leur permettre d’accélérer eux-mêmes leur transformation numérique.
L’enseignement de l’informatique en France est d’un bon niveau, mais le niveau des entreprises reste globalement faible. Pourquoi ?
L’informatique est un domaine où il faut beaucoup tester, essayer, parfois se planter, mais où on réussit souvent de très belles choses en se lançant sans avoir prévu et en testant de nouvelles technos. Il faut oser, prendre des risques. C’est peut-être cela qui manque en France, aux niveaux tant de l’éducation que du professionnel. Nous sommes suréquipés en connaissances théoriques, mais manquons souvent de sens pratique.
Dans mon cursus à Georgia Tech, les étudiants en master ne savaient en général pas résoudre d’équations différentielles, mais avaient tous déjà lancé une fusée ou fait voler un avion miniature ! Il y a peut-être aussi un effet « grosse entreprise ». En France, elles se regardent pas mal le nombril, c’est difficile de contractualiser avec elles, alors que dans d’autres pays les PME et les ETI collaborent plus facilement à l’échelle d’un territoire. Cela crée une osmose entre le savoir-faire des petites structures et celui des plus grands groupes, au bénéfice des deux.
Avec l’essor du no code, où va-t-on arriver ?
Je ne fais pas de différence entre l’essor du no code et l’évolution de la technologie en général. C’est le même type d’évolution que lorsqu’on fait aujourd’hui du big data sans être un expert du calcul distribué. La chaîne de valeur, du développeur qui construit un outil techno jusqu’à celui qui va l’utiliser via 12, 15 ou 20 couches d’abstraction plus tard, est en train de se couper en deux, entre ceux qui font des outils génériques et ceux qui savent les intégrer. Par exemple, Watson sait résoudre plein de problèmes différents, mais ce n’est pas IBM qui se charge de la mise en œuvre.
Des technos très avant-gardistes sont déjà disponibles dans du no code. Pour moi, ça ne va pas changer le métier des gens qui utilisent des outils pour résoudre des problèmes. Il y aura forcément des limites à cela. Les outils seront plus performants, mais on ne pourra pas tout faire avec : il restera des projets complexes qui auront besoin d’équipes spécialisées. La vitesse croissante est aussi une fuite en avant : on met de l’IA dans du no code, alors que la plupart des boîtes ne savent pas faire des applications collaboratives correctement construites.
L’envie d’entreprendre est-elle née de la rencontre ou existait-elle auparavant ?
Probablement auparavant. Dès les États-Unis, au travers des cours auxquels j’ai assisté. Mais la rencontre avec les deux associés a été un catalyseur. Cela m’a permis sur le plan personnel de développer un début de culture de la différence, de ne pas m’inscrire dans un parcours tout tracé.
Sur le papier nous avons tous les trois des parcours similaires, mais nous avons en pratique des regards très différents. Guillaume a un côté très créatif, alors que Victor est très analytique. Nous avons des sensibilités différentes. Victor est le plus calé sur la tech, c’est presque le CTO, alors que je suis le plus intéressé par le conseil.
Nous avons récemment fait un test de personnalité avec un cabinet RH qui nous accompagne, et cela a confirmé notre complémentarité. Je ne conçois pas l’aventure de l’entrepreneuriat comme une aventure en solo, c’est très difficile. On a besoin d’échanger sur tout, on a besoin de s’appuyer les uns sur les autres. Si je devais recommencer, je commencerais par chercher un ou deux cofondateurs.
Comment fait-on pour travailler avec une grosse boîte quand on est 3 ou 4 ?
On entre par un interstice de la porte ou une petite fenêtre… Je travaillais chez Renault Nissan Consulting au bon moment. Quand on a fait un projet dans une société comme Renault, on a l’expérience souhaitée, on est sensibilisé aux sujets importants pour l’IT des grosses structures, par exemple en matière de sécurité informatique.
Il faut aussi se faire référencer aux achats, ce n’est jamais simple. Je ne sais pas s’il y a une recette, on y va « à la guerre comme à la guerre ». On a un client qui a un niveau de responsabilité pour débloquer le budget, et ensuite on y va. Pour un gros projet, AlloHouston a développé la V1 en neuf semaines et on a mis onze mois pour faire valider le contrat. Mais cela a aussi des avantages que nous pouvons mettre en avant auprès d’autres clients : par exemple nos applications ont été auditées par Orange Business Services, avec des retours dithyrambiques.
Dans une si petite structure ne manque-t-il pas un commercial ?
Nous sommes en train d’en recruter un. Nous avons eu jusqu’à présent un développement fondé sur nos réseaux perso et pro, avec des gens qui nous connaissaient déjà, et nous faisons partie des membres fondateurs d’un laboratoire d’innovation impulsé par Renault. Cet écosystème nous a apporté pas mal de clients et de visibilité, mais maintenant il faut accélérer sur la partie commerciale. En parallèle, nous travaillons sur notre marketing, ce qui avait été un peu négligé jusqu’à présent.
Le contexte actuel est assez particulier. Il y a un truc fondamental qui m’a marqué depuis le début de la crise Covid ; dans le monde du business, on a besoin d’interactions et nous avons ressenti un terrible manque d’échanges : aller à des conférences, rencontrer des partenaires potentiels, des gens qui nous recommandent. Tout cela s’est écroulé en mars 2020, cela nous a pénalisés et je suis sûr que ça pénalise beaucoup d’autres sociétés. Aujourd’hui, nous avons rejoint de nombreuses communautés en ligne, pour reconstituer ce réseautage informel, et cela porte ses fruits. Créer son entreprise, cela demande de sortir de sa zone de confort…
Pour en savoir plus : https://www.allohouston.fr/