Allons au théâtre : Le Jardin
Si une pièce mérite le qualificatif de « charmante », c’est bien Le Jardin de Brigitte Buc, que nous avons vue l’autre jour aux Mathurins. Elle aurait d’ailleurs pu s’appeler « Le Square » si le titre n’eût été déjà pris par une œuvre de jeunesse de Marguerite Duras : l’action se déroule en effet dans un square parisien. Et, pour commencer, quoi de plus charmeur qu’un jardin ? À lui seul, le mot évoque la magie d’un espace irréel et clos, protégé des vicissitudes, d’un écrin réservé aux bonheurs de l’enfance insouciante et heureuse. Mais parler d’action à propos de ce Jardin est peut-être un trop grand mot pour évoquer de simples et attachantes conversations sur un banc, entre Suzanne, une dame plus bien jeune qu’on dit se sentir mal dès qu’elle passe le périf, et elle proteste que, dans le temps, elle aimait pourtant bien aller voir sa cousine à Courbevoie, Jeanne la mère célibataire toujours malcontente de soi, des autres et de la vie en général, Antoine l’informaticien qui vient de laisser tomber son job bien rémunéré simplement parce qu’il commençait à s’ennuyer devant un écran d’ordinateur, Philippe le jeune père de famille à épouse modèle et responsabilités de cadre supérieur, du genre golden boy ou s’en donnant du moins l’allure, la petite Violette enfin, étudiante un peu paumée de se sentir si loin de sa famille et de sa ville natale.
Et voilà que tout ce petit monde se rencontre dans le square, au cours du temps qui passe noue et dénoue des amitiés, ou même un peu plus, à propos de tout et de rien, une pendaison de crémaillère, un coup de main pour ajuster un ourlet de jupe, un pique-nique que l’on organise au seuil de l’hiver afin de saluer le départ de la petite Violette qui, en définitive, rejoint sa famille et sa province, où elle va tenir une crêperie avec un ami.
Un petit défaut peut-être dans la construction de la pièce : mise à part la scène finale, celle du pique-nique où ils se retrouvent tous, elle est faite de dialogues à deux. Violette et Suzanne et, après la sortie de scène de la première, survient aussitôt Jeanne, puis après la sortie de Suzanne apparaît fort opportunément Antoine, et ainsi de suite. À la longue, cela sent un peu trop le procédé. Par la magie du texte cependant, écrit dans la langue de tous les jours mais sans la moindre vulgarité, par la simplicité de la mise en scène de J. Bouchard, le dépouillement du décor – un banc et une branche d’arbre – on se laisse attendrir à contempler la vie sans histoire, sans grandes histoires en tout cas, de ces cinq Parisiens, définitifs ou provisoires, dont trois ont la trentaine, l’âge où l’on connaît déjà la vie mais garde encore, au fond de soi, comme un reste d’adolescence, un sentiment de disponibilité, l’espoir que les jeux ne sont pas encore faits.
Il est d’ailleurs singulier de noter combien ce temps de « prématurité », serait-on tenté de dire, intéresse les dramaturges contemporains : songez, pour ne citer qu’un exemple, à ce Petit Jeu sans conséquence de J. Dell et G. Sibleyras, qui nous enchanta voici trois ans, où un couple bien uni s’amuse à annoncer qu’il va se séparer… et, de fil en aiguille, finit bel et bien par la dislocation, en une soirée.
Or il est peut-être un peu effrayant que tous ces personnages gentils et attachants, même s’ils sont parfois un peu râleurs, soient, à y bien réfléchir, de dangereux destructeurs de la vie en société, traînant après eux, sans s’en apercevoir et, qui pis est, sans que le spectateur s’en aperçoive, comme une aura de nihilisme. Parce qu’enfin, peut-on donner foi, et confier l’avenir d’une part, si minime soit-elle, de la vie collective à un garçon comme Antoine qui, pour un caprice, arrête de faire ce qu’il sait faire, et partage avec une étudiante une amusette dont il n’ignore pas qu’elle ne peut déboucher sur rien ? Et que dire de Philippe le bien marié qui tripote la baby-sitter de ses enfants, couche à l’impromptu avec Jeanne, tout bêtement parce qu’ils avaient un peu trop bu un soir de pendaison de crémaillère, et pour finir, annonce à ses amis qu’il va changer de boulot : « Oui, j’en avais un peu marre, et eux aussi, alors ça tombait bien… » ? Il n’empêche que, pour le moment, il n’a encore rien trouvé, et ne semble pas s’en être vraiment préoccupé. Et, de la part de la petite Violette, est-ce bien raisonnable d’abandonner ses études pour aller faire cuire des crêpes, simplement parce qu’elle s’ennuyait à Paris ?
S’ils sont, les uns et les autres, désarmants d’insouciante gentillesse, si vrais dans leur irresponsabilité rigolote, on ne peut malgré tout que s’inquiéter en songeant au temps où de tels trentagénaires détiendront, peu ou prou, des leviers de commande, la cinquantaine venue.
Mme Buc en tout cas pose bien la question, sans avoir l’air d’y toucher.
_______________
Le Jardin, de B. Buc, avec Annik Alane, Isabelle Gélinas, Marc Fayet, Philippe de Tonquédec et Cécile Rebboah, au Théâtre des Mathurins, 36, rue des Mathurins, 75008 Paris. Tél. : 01.42.65.90.00.