Alphonse Grange (25) 1906–2001
Alphonse Grange nous a quittés le 5 mai dernier. C’était un très grand monsieur, d’une intelligence supérieure et d’une discrétion sans égale. C’était par excellence un catalyseur de talents, un rassembleur d’hommes.
Il est né à Annecy le 1er août 1906.
Il intègre en 1923 le lycée Janson de Sailly. Il y est si brillant qu’il a droit au » Tableau d’honneur de la Saint- Charlemagne « .
Il fut reçu à l’X dès qu’il s’y présenta en 1925, et dans les tout premiers. Mais il tomba malade à la fin de la première année et fut mis en congé pour un an. Il revient accomplir sa deuxième année avec la promotion 1926. Il sortit de l’école 3e sur 232 élèves. L’Académie des sciences lui décerna le prix Rivot. Il opta pour les Ponts et Chaussées. Il accomplit alors son année de service militaire comme sous-lieutenant du génie à Hussein Bey en Algérie, où il réalise une superbe route de montagne.
En 1929, il entra à l’École nationale des ponts et chaussées.
En 1931, il en sort » major » avec une moyenne telle qu’elle lui vaut des félicitations exceptionnelles du directeur de l’École et du ministre des Travaux publics. Il est alors affecté au port de Bordeaux. Il y restera jusqu’en 1950. Survint la guerre, il reste » affecté spécial » au port de Bordeaux.
De 1942 à 1944, il est » soldat sans uniforme des Forces françaises combattantes « , agent du réseau Jade amical. Le service des renseignements des » Allied Forces Headquarters » a témoigné : » A rendu les plus grands services pour les renseignements très importants et très précis qu’il a fournis d’une façon continue tant sur les mouvements de cargos et des sous-marins que sur les fortifications. »
Le responsable allemand du port était depuis 1941 le Hafencommandant Kühnemann, un homme courtois et affable. Le lundi 21 août 1944, une lettre en forme d’ultimatum est envoyée à l’amiral commandant la Kriegsmarine de l’ouest de la France.
C’est alors que Grange a participé avec succès à trois visites successives au commandant du port en vue d’éviter la destruction des quais. Le 22 août, un blockhaus avait explosé et des tirs avaient été échangés entre FFI et forces allemandes. Le 23, nouveaux tirs. Le 24, dix-huit cargos sont sabordés dans le chenal. Une dernière démarche est entreprise auprès du commandant allemand que l’on convainc de 1’inutilité de détruire les quais. Ce dernier, visiblement ému, consent à ne pas donner suite aux ordres réitérés qu’il avait reçus et dont il vient d’obtenir l’annulation. Le repli des soldats allemands s’achève le dimanche 27 août, sans incident.
Le 25 janvier 1945, Grange est promu chevalier de la Légion d’honneur. En 1947, il est nommé ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, directeur du port autonome de Bordeaux. En 1948, il reçoit la » Médaille de la Commémoration française de la guerre 1939–1945 » et il est promu » chevalier de l’ordre du Mérite maritime « .
Le 3 mai 1950, Grange est mis en disponibilité, engagé par la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez, pour devenir l’ingénieur en chef du Service des travaux, en résidence à Hismalin, en Égypte, avec le souhait qu’il soit encore en fonction en 1968 pour négocier un éventuel renouvellement de la concession.
De 1952 à 1956, il dirige l’entretien, l’exploitation et les travaux neufs intéressant le canal, les routes, le matériel flottant, les ateliers et magasins de Port-Fouad, les carrières de l’Ataka, les bâtiments (bureaux et logements), les usines des eaux et les centrales électriques.
Il dirige l’exécution du VIIIe programme des travaux d’amélioration du canal, qui permettent le passage des pétroliers de 40 000 tonnes. Grange a préparé le IXe programme des travaux destinés à permettre le passage normal en convoi de pétroliers de 60 000 tonnes, programme qui sera exécuté, après la nationalisation de 1956, par l’organisme égyptien successeur de la Compagnie, qui tint à en féliciter Grange.
Cette même année, Grange revint en mission à Port-Saïd, lors de l’expédition militaire de Suez, interrompue, comme l’on sait, en plein élan, ce qui fait qu’il ne peut pas faire grand- chose.
J. Georges Picot, directeur général de la Compagnie, lui propose de devenir son adjoint dans la nouvelle société en quoi se transformait la Compagnie du Canal. Mais Grange s’excuse. La perte du canal avait été pour lui un tel déchirement qu’il manquait de courage pour rester travailler rue d’Astorg.
À la tête de la Société Sogei, en 1957, il exerce la fonction d’ingénieur conseil. Il effectue alors de nombreuses missions à l’étranger (USA, Angleterre, Amérique du Sud, Moyen-Orient, Afrique, Espagne…).
Il participe à de nombreuses opérations d’ingénierie, notamment :
- diverses centrales thermiques,
- réseaux d’interconnections au Sahara,
- réseau du transport de gaz de hauts fourneaux,
- diverses installations pour le CEA et le CNES,
- études préliminaires du tunnel sous la Manche,
- divers aménagements hydroélectriques à la Réunion, sur le Zambèze (barrage de Kariba), en Argentine, en Uruguay, en Colombie, au Pérou,
- contrôles techniques des travaux financés par le Fed, notamment ceux du chemin de fer transcamerounais.
Il n’avait passé que six ans en Égypte. Et pourtant, » Ces années avaient été pour moi très riches, exaltantes et heureuses. Je n’aurais pas voulu y retourner » à la sauvette « , par dignité d’abord mais aussi par courtoisie envers les responsables actuels du Canal. » Il y fut invité et reçu très courtoisement en 1981 par la nouvelle direction égyptienne.