Ambassadeur AX au Sénégal « Je veux développer des partenariats universitaires avec l’École polytechnique »
Serigne Mouhamadou Seye, l’ambassadeur AX au Sénégal, est un jeune polytechnicien de la promotion 2013. En poste au Sénégal, il est le témoin de la tendance nouvelle des jeunes générations à rentrer tôt travailler dans leur pays d’origine et souhaite promouvoir des partenariats entre les universités sénégalaises et l’X.
D’où viens-tu ? Quel est ton parcours pour arriver jusqu’à l’X ?
Je viens du Sénégal, j’ai eu mon bac ici à Dakar, puis je suis allé en prépa à Aix-en-Provence au lycée Vauvenargues en PTSI puis PT. La particularité du concours PT est qu’il n’y a qu’un seul concours commun. J’ai été pris à l’X que je ne connaissais pas vraiment. J’ai réussi les écoles que j’avais demandées, et l’X était classée en premier. Mais ce qui m’a motivé le plus, ce sont les infrastructures sportives que j’ai découvertes en arrivant sur le Platâl pour passer les oraux. J’aime bien le style de campus, comme une miniville.
Venais-tu d’un lycée français ?
Je n’étais pas dans un lycée français mais dans un lycée classique, comme la plupart des gens qui vont ensuite étudier en France ou ailleurs. En effet, le programme sénégalais est plus difficile que le programme français, car il n’a pas été allégé comme l’a visiblement été le programme français.
Comment as-tu réagi quand tu as découvert que l’X était une école militaire ?
C’était cool pour moi [rires]. À la base, j’adore le sport, les sports d’équipe, l’esprit de groupe, de camaraderie, j’ai adoré la formation militaire, c’était une colonie de vacances pour moi [rires].
Qu’as-tu choisi comme 3A et 4A ?
Au début, j’étais, comme la plupart, un peu perdu après la prépa. Après le bac, j’étais sûr de moi, je voulais faire du génie électrique. Il y avait beaucoup de problèmes d’électricité à l’époque dans les années 2010–2012 au Sénégal. Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux heureusement. Mon objectif était de faire du génie électrique, de retourner au pays et de travailler dans l’électricité. Dans ma section PT, j’ai adoré la mécanique et les sciences industrielles. Arrivé à l’X, je voulais vraiment suivre les cours de méca. Je les ai suivis, ainsi que des cours de physique quantique, de maths appliquées. Mais l’X m’a vraiment fait détester la méca ! Avant les pâles, j’expliquais les cours aux autres car je me sentais à l’aise. Mais à l’épreuve ce n’étaient que des maths. Je suis donc retourné au génie électrique en 3A. Ensuite je suis allé à Polytechnique Montréal, toujours en génie électrique. À l’X, on n’enseigne pas vraiment l’électrotechnique mais plus l’électronique. À Montréal, j’ai vraiment fait de l’électronique de puissance, de l’électrotechnique et des réseaux électriques. J’ai travaillé là-bas pendant environ deux ans avant de rentrer au Sénégal.
Dans quel secteur exerces-tu aujourd’hui ?
Je travaille pour la Senelec, la société nationale d’électricité, comme expert en planification des réseaux électriques. Nous faisons les études nécessaires pour dimensionner le réseau. Nous sommes basés à Dakar. Même si nous travaillons essentiellement sur nos ordinateurs depuis nos bureaux, il nous arrive de nous déplacer parfois à l’étranger ou dans la sous-région en Afrique.
Combien y a‑t-il de polytechniciens au Sénégal ? Et dans quels secteurs les retrouve-t-on ?
J’en ai répertorié une quinzaine mais nous sommes plus nombreux. Il y a surtout de plus en plus de jeunes qui rentrent au pays parmi la jeune génération. Ils occupent des postes divers à la Banque mondiale, chez TotalEnergies. Il y en a pas mal chez Sonatel (Orange). D’autres se lancent dans l’entrepreneuriat ou dans d’autres aventures comme Tidjane Deme (94), ancien directeur de Google Afrique, avec Partech Ventures. Les polytechniciens sont un peu partout. Ils sont aussi entrepreneurs, dans l’éducation, dans la logistique. Certains sont au gouvernement, au ministère du Pétrole et des Énergies, au Fonsis (fonds souverain d’investissements stratégiques), à la tête de la compagnie aérienne Air Sénégal (Ibrahima Kane, 92). Ils occupent des positions plutôt importantes et très variées.
Comment se passe la vie actuellement au Sénégal dans ce contexte de crise sanitaire ?
Actuellement, à la Senelec où je travaille, le télétravail est totalement terminé. Ne restent que les gestes barrières et les masques. Toutes les autres mesures ont été levées car il n’y a que très peu de cas. Aujourd’hui, on voit la Covid essentiellement aux informations. Dans un pays où beaucoup de gens travaillent et vivent de manière informelle, il est compliqué de maintenir des mesures de confinement ou de couvre-feu. Ça devient très vite une question de vie ou de mort. Actuellement, on vit bien, on vit comme avant la crise, avec le port du masque.
“Aujourd’hui, il y a beaucoup plus d’opportunités en Afrique qu’en Occident pour les jeunes.”
Quels sont les événements de l’ambassade AX que vous avez pu organiser ? À quel besoin répondent-ils ?
On n’avait réussi à faire que deux rencontres début 2021. C’était plus par indisponibilité qu’à cause de la crise sanitaire. Lorsque je suis arrivé au Sénégal, j’ai discuté avec celui qui s’occupait du groupe X Dakar, Mamadou M’Baye (90), le directeur général du Fonds souverain de Djibouti (FSD), qui était naturellement plus lié avec des polytechniciens de sa génération. Nous nous sommes rendu compte que les centres d’intérêt n’étaient pas les mêmes entre les générations. Nous nous sommes retrouvés entre jeunes, le plus ancien était Mohamed Ndiaye de la 2003.
Quelle utilité vois-tu à l’ambassade AX et plus largement au réseau polytechnicien au Sénégal ?
À l’origine, mon objectif n’était pas d’être ambassadeur. Animer, entretenir le réseau des X, c’est bien, c’est nécessaire, mais ce n’est pas mon seul objectif. Je veux développer des partenariats entre les universités et les étudiants ici au Sénégal et l’X, pour stimuler les jeunes prometteurs mais qui ne se voient pas offrir certaines opportunités ou qui manquent parfois de vision. J’ai été encouragé à l’époque par Claire Lenz, l’ancienne directrice adjointe de la communication internationale de l’X. Le simple fait de sortir, d’aller en France, aux États-Unis, au Canada, en Afrique du Sud ou au Maroc, ça change la façon dont on voit les choses et aussi dont on se voit soi-même, la façon dont on perçoit ce dont on est capable ou pas. Je souhaite donc développer un réseau de partenariats entre l’X, les universités de Paris-Saclay et les universités et les écoles d’ingénieurs d’ici. Ce n’est pas si facile à mettre en place. Ça prend plus de temps qu’on ne pense, il faut s’adresser au bon interlocuteur pour que ce soit efficace et pérenne. J’espère pouvoir proposer des initiatives courant 2022. Je sais qu’aujourd’hui les universités et les écoles en France cherchent à avoir plus de diversité et l’Afrique y est très ouverte. Beaucoup d’étudiants brillants font leurs études sur place, parfois dans des conditions difficiles. Dans mon parcours, j’ai eu beaucoup d’aides à ma disposition et je sais que, à ma place et dans les mêmes conditions, ces étudiants réussiraient brillamment leurs études. Je souhaite donc encourager les partenariats Nord-Sud qui pourraient exister. Souvent les écoles en Occident ne connaissent pas les universités et les écoles ici, et ne savent pas à qui parler. Mais nous sommes là, elles peuvent se rapprocher de nous pour que nous les mettions en contact.
Tu dis qu’il y a de plus en plus de jeunes diplômés des grandes écoles qui rentrent travailler dans leur pays d’origine en Afrique. Est-ce que tu constates une évolution significative avec les jeunes générations ?
J’ai l’impression mais je ne peux pas me prononcer pour les anciennes générations. Pour notre génération, ce n’est pas forcément que les jeunes aiment plus leur pays que les anciens, mais beaucoup ouvrent les yeux et se rendent compte qu’il y a plus d’opportunités pour eux ici qu’en Occident. L’évolution ici, aussi bien dans l’entrepreneuriat que dans les entreprises, est beaucoup plus rapide qu’en Occident. C’est ce qui motive leur retour pour la plupart.
Est-ce que tu as rencontré de la jalousie vis-à-vis de ton parcours hors du pays quand tu es rentré au Sénégal ? Est-ce que ça peut arriver ?
C’est quelque chose qui existe mais ça dépend aussi de l’attitude de chacun. Quand on rentre au pays et qu’on pense qu’on est plus compétent parce qu’on a fait des études en France ou aux États-Unis, on se trompe. Il y a forcément des gens qui ont fait leurs études ici qui sont plus compétents car ils maîtrisent mieux leur domaine. Quand on revient, il faut faire ses preuves en restant dans l’humilité. Et ainsi on est accepté, les gens voient qu’on est là pour aider le groupe.
As-tu un message pour les élèves sénégalais ou africains qui sont à Polytechnique ?
Aller à l’X, c’est une chose qui change une vie. Ça va t’ouvrir un réseau incroyable. L’X donne cette capacité de croire en soi, d’avoir un réseau puissant et une grande crédibilité. C’est aussi un défi car il faut faire ses preuves, les gens t’attendent au tournant. Pour moi, la première chose à dire aux élèves africains, c’est de croire en eux, de croire en leurs capacités, de croire qu’ils font partie de l’élite. Parce que j’ai vu des X qui n’ont pas l’assurance qu’ils devraient avoir. Il faut s’affirmer tout en restant humble. La deuxième chose, c’est, comme je le disais, qu’il y a beaucoup plus d’opportunités en Afrique qu’en Occident. Si tu veux percer, si tu veux avoir un impact dans le monde, je te conseille vivement de rentrer. Et je te conseille de le faire très tôt. Car beaucoup veulent gagner en expérience avant de rentrer, ce qui est bien. Mais, quand on est jeune et qu’on rentre tôt, on a le droit de faire des erreurs et de recommencer. Quand on commence à prendre de l’âge, qu’on a une famille, il y a plus à perdre, donc on a tendance à prendre moins de risques. Et enfin, en tant que diplômé de l’X, on a la chance de pouvoir faire un peu ce qu’on veut. Pour ma part, j’ai lancé mon agence de développement et de communication. Je sens assez peu de limites, de freins pour réaliser ce que je souhaite.
Commentaire
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Merci à Serigne Mouhamadou Seye et à Alix Verdet de cet article plein de fraîcheur et d’espoir pour l’X, l’Afrique et les Camarades Africains, de plus en plus nombreux.
J’ai toujours nourri une passion pour l’Afrique au sud du Sahara. J’ai pu y faire mes débuts professionnels, au Tchad, entre 1961 et 1964, dans les premières années des indépendances, Puis j’ai travaillé sur les questions africaines en matière d’aménagement et d’urbanisme, d’une part, de transports, d’autre part pendant 12 ans encore. J’ai formé beaucoup de jeunes Africains à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme. A l’époque les jeunes diplômés rentrés de France n’avaient pratiquement pas de compagnonnage, pourtant indispensable pour l’entrée dans la vie professionnelle. Nous essayions de remédier à cela par un accompagnement de 6 mois de cours pratiques, de mises en situation, de stages suivis de près.
Cher Camarade, j’apprécie beaucoup que tu recommandes aux forts potentiels comme toi de retourner dans leur pays (après un temps de compagnonnage, moins nécessaire que par le passé où les milieux techniques étaient très maigres, mais encore bien utile pour tisser des liens). Il serait en effet dramatique de retirer à l’Afrique, au Sénégal dans ton cas, le meilleur de ce qu’elle produit de plus en plus largement, des cerveaux de qualité, bien formés, aptes à aborder les questions de plus en plus complexe du monde moderne.