Amélioration de l’apport de la recherche à la compétitivité des entreprises mécaniques
L’industrie mécanique française et ses défis
L’industrie mécanique française et ses défis
L’industrie mécanique est composée d’entreprises offrant à toutes les filières industrielles (transport, énergie, alimentaire…) leurs compétences et leurs moyens, qu’il s’agisse de réalisation de pièces, de composants ou d’équipements de production. En France, l’impact dans ce secteur industriel est important au plan économique (450 000 salariés, 12 % du CA de l’industrie française) et au plan de l’aménagement du territoire (8 000 entreprises, en grande majorité des PME, réparties sur l’ensemble des régions françaises).
Ce secteur industriel doit faire face à un certain nombre de défis économiques et techniques
La mondialisation des marchés et des capitaux ne maintient actuellement sur le territoire français que des solutions ayant un avantage concurrentiel certain, alors que les marchés régionaux et nationaux semi-protégés étaient encore la majorité dans les années quatre-vingt. Il est net que les conditions socioéconomiques du territoire français nécessitent sur le plan productivité et surtout innovation des efforts soutenus pour le maintien de ce potentiel industriel, d’autant plus que pour un certain nombre de produits la proximité du site de production et des marchés émergents devient incontournable.
La notion d’entreprise étendue dans les filières clientes de la mécanique et chez les donneurs d’ordre au sein de ce secteur industriel. Cette démarche conduit à confier à l’entreprise fournisseur la responsabilité de la proposition d’une solution technique, qu’il s’agisse du choix du matériau et de sa mise en œuvre, de la réalisation d’une fonction mécanique ou d’un équipement de production adapté au processus client.
Cette démarche reporte sur de plus petites entreprises la responsabilité de recherche et développement, limitant le rôle de sous-traitant de capacité ou de fabricant de composants ou d’équipements » sur étagère « . Elle nécessite, en outre, l’intégration de l’entreprise mécanicienne dans le processus de conception du donneur d’ordre autour de modèles virtuels l’obligeant à des efforts importants dans le domaine de son informatisation et de l’évolution de ses méthodes de travail.
Les exigences croissantes des clients intermédiaires ou finaux sur les propriétés d’usage des ensembles mécaniques. Les notions de fiabilité, maintenabilité, sécurité, ergonomie deviennent prépondérantes avec deux conséquences : la nécessité d’intelligence des systèmes conduisant à une intégration, au-delà des commandes, d’un ensemble de moyens de mesures et de traitement du signal dans une approche pluridisciplinaire, et le développement d’une démarche mixte théorique et expérimentale au niveau de la conception et de la fabrication, permettant de mieux préjuger des propriétés d’usage. La notion de contrat d’utilisation d’un équipement garantissant ses performances en service dans la durée se développe avec la nécessité pour l’entreprise d’intégrer les risques financiers de son non-respect.
Les impératifs réglementaires croissants, qu’il s’agisse de bruits, de vibrations ou de pollution (économie d’énergie, limitation des émissions, cycle de vie des produits). Ces impératifs demandent pour leur respect des efforts très importants en recherche et développement. Bien que le plus souvent pénalisant au plan économique, ils sont une voie significative pour l’obtention d’un avantage concurrentiel par l’innovation, sous réserve que la réglementation et les modalités de son application soient bien homogènes dans les différents pays.
La rapidité de mise sur le marché des produits et leur customisation. Cette évolution modifie complètement les processus de conception (conception simultanée) et de fabrication (procédés adaptés à des séries plus faibles, flexibilité des systèmes de production, diminution des temps de mise au point des outillages).
Principales évolutions nécessaires
Pour faire face à ces défis et se développer, les entreprises de la mécanique ont évolué depuis dix ans sur plusieurs plans :
- la croissance de leur taille moyenne pour leur permettre d’être capables de mieux défendre leur avantage concurrentiel au niveau mondial, même dans le cadre d’un marché de niche ;
- le travail en réseau, en liaison avec les donneurs d’ordre mais également avec des partenaires facilitant la globalisation d’une offre ;
- l’important développement du marketing et du commerce, en particulier dans les secteurs de la sous-traitance ;
- l’évolution de l’organisation, l’amélioration de la productivité et de la qualité sous la poussée en particulier des donneurs d’ordre ;
- le mouvement d’externalisation permettant à l’entreprise, quelle que soit sa taille, de se concentrer sur le cœur de son métier intégrant des compétences extérieures et l’orientation » vente de services » au-delà de la vente de biens, en particulier pour les fabricants d’équipements.
Les évolutions technologiques et leur accompagnement
Ces évolutions organisationnelles doivent s’accompagner d’une forte mutation technologique orientant l’entreprise vers une approche plus globale avec comme objectif d’évoluer :
- pour les sous-traitants de capacité (usineur, emboutisseur, forgeron…) vers une sous-traitance d’excellence liée à des procédés évolutifs ou vers une offre plus globale de petits systèmes ;
- pour les fabricants de composants (transmission, pompes, vannes…) vers une offre fonctionnelle anticipant les besoins des différentes filières et intégrant les impératifs réglementaires ;
- pour les fabricants d’équipements de production (machines-outils, machines agricoles, matériel de TP…) vers une offre de système anticipant sur les besoins du processus client.
Cette indispensable » fuite en avant » à réaliser par des PME pose le problème, au-delà de l’orientation stratégique (choix d’un marché de niche ou intégration d’un groupe international pour un marché plus large), de la capacité d’investissement immatériel de l’entreprise et de la possibilité d’utiliser au mieux les compétences multidisciplinaires existantes (matériaux, mesures, informatique, électronique…) pour les intégrer dans une innovation ciblée.
La réussite de cet effort nécessite :
- l’existence dans l’entreprise de chefs de projets assurant une veille technologique et concurrentielle capable d’assurer une conception pluridisciplinaire à partir d’un cahier des charges fonctionnel. De la personnalité de ce chef de projet, de sa capacité d’ouverture, de sa curiosité dépendra très souvent la qualité du partenariat en recherche et développement – innovation entre l’entreprise et les structures environnantes et donc la réussite du projet ;
- l’évolution des relations de l’entreprise avec le monde de la recherche. La problématique est ici différente de celle des grandes sociétés, la PME a traditionnellement peu de relations avec le monde de la recherche, sa demande est également différente, elle attend de ses interlocuteurs une approche plus globale de ses problèmes alors que les grandes entreprises possèdent en leur sein les compétences capables d’analyser les problèmes, de les traduire en langage ciblé pour les compétences spécifiques des laboratoires et de récupérer les résultats pour les consolider dans le cadre d’un projet.
Cette exigence des PME se heurte, tout en reconnaissant la valeur de la recherche française, à la difficulté majeure de la compartimentation de la recherche autour des grands thèmes scientifiques et à la faible masse critique des quelques laboratoires universitaires qui, en mécanique, ont une approche globale autour d’un procédé ou d’une fonction par rapport aux moyens de leurs principaux concurrents européens (en particulier les Allemands).
Pour permettre de résoudre cette difficulté fondamentale pour le devenir d’une branche industrielle, des efforts ont été menés sur deux plans.
À l’initiative des organisations professionnelles (FIM et syndicats sectoriels), la mise en place de moyens collectifs, par exemple dans le cadre de centres techniques industriels (pour la mécanique le CETIM, le CETIAT, le CTDEC, l’Institut de soudure, le CTICM)
Ces centres, pilotés par les industriels, ont mis en place une recherche technologique avec des partenaires du monde de la recherche. Autour de démonstrateurs, ils fournissent aux entreprises des méthodes, des outils et des données adaptés à leur culture facilitant l’intégration des évolutions technologiques dans les principaux processus ou fonctions mécaniques.
Pour le CETIM, par exemple, les pôles usinage à grande vitesse, forge, découpage, emboutissage, assemblage…, dans le domaine des procédés, les pôles hydrauliques industriels, transmission… dans le domaine des fonctions mécaniques.
La constitution de réseaux coopératifs permettant de concentrer et d’amplifier la recherche technologique sur les verrous les plus importants
Dans ce cadre, un groupe d’industriels associés le plus souvent au centre technique de la branche met en place, grâce à un financement mixte (industrie-pouvoirs publics) et significatif (5 à 10 M€), un projet de durée limitée s’appuyant sur un certain nombre de laboratoires de recherche dans un cadre contractuel où les règles de propriété intellectuelle et industrielle ont été définies.
Quelques exemples :
FIM : Fédération des industries mécaniques.
CETIM : Centre technique des industries mécaniques.
CETIAT : Centre technique des industries aérauliques et thermiques.
CTDEC : Centre technique de l’industrie du décolletage.
CTICM : Centre technique de la construction métallique.
- les actions concertées » Forge » menées depuis dix ans sous le pilotage d’une vingtaine d’industriels (donneurs d’ordre, sous-traitants et élaborateurs de matière) ont permis de développer une compétence unique dans la modélisation de ce processus de mise en œuvre, permettant aux industriels d’accélérer la conception des gammes de fabrication et des outillages et de répondre aux impératifs de tenue en service par la maîtrise de la déformation thermomécanique et de ses conséquences en tout point des pièces ;
- l’action » Machine à grande vitesse » qui regroupe une quinzaine d’équipementiers et de fabricants de composants a permis d’étudier, grâce à la mise au point de démonstrateurs, les problèmes posés par la grande vitesse sur la génération et la commande des principaux mouvements et d’optimiser leur intégration dans un système complet ;
- le projet » Conception intégrée en emboutissage » en cours regroupant une quinzaine d’élaborateurs de matériaux, d’outilleurs et de transformateurs qui permettra, autour d’un atelier virtuel multisites associant base de compétences, bases de données et logiciels de modélisation, de faciliter et d’accélérer la conception et le lancement des pièces embouties.
Le développement de ces types d’approches collectives ou coopératives apparaît (au-delà des résultats attendus) indispensable pour apprendre aux entreprises à travailler ensemble en intégrant la recherche et développement dans la notion d’entreprise étendue. Il a également comme avantage de pousser les laboratoires à finaliser leurs compétences scientifiques vers une application fonctionnelle donnée et ce de façon plus pérenne que par le passé.
Souvent, en effet, la thèse (CIFRE (Convention industrielle de formation pour la recherche) par exemple) passée, le laboratoire » oubliait » la compétence fonctionnelle traitée pour en aborder une autre. Enfin, cette compétence fonctionnelle dans le cadre d’un réseau a une incidence forte sur la formation des chercheurs, sur des applications technologiques et sur l’attractivité qu’elles présentent pour eux. Par exemple, l’action » Modélisation Forge » a permis à la profession d’intégrer un certain nombre de jeunes issus de la recherche alors que son image traditionnelle était jusque-là peu attirante pour eux.
Le futur
Sur le plan technologique et scientifique, il paraît donc indispensable de développer ces actions collectives et coopératives. Les moyens et la volonté existent au plan national.
En mécanique, des structures comme les centres techniques industriels, les associations regroupant les chercheurs et les ingénieurs comme l’Association française de mécanique (AFM) sont des supports importants de cette dynamique. Il paraît important que soit intensifiée filière par filière l’analyse des verrous technologiques importants et que se développe le nombre d’industriels motivés voulant s’investir dans l’indispensable pilotage des projets.
Au-delà, divers obstacles dont il faut avoir conscience peuvent freiner cette dynamique destinée à faciliter l’innovation des PME mécaniciennes.
Le particularisme régional
La volonté des régions d’avoir une stratégie technologique est une excellente chose mais, compte tenu des moyens disponibles et des coûts de la recherche technologique, il ne faut pas qu’elle conduise à des redondances mais à l’intégration des initiatives dans des projets plus vastes.
La mise en place de réseaux transrégionaux pour mener à bien un projet technologique est encore à développer.
Le » risque » européen
Dans certains secteurs la nécessité de la mise en place d’un réseau européen (voire mondial) apparaît évidente (c’est le cas des secteurs où l’internationalisation des capitaux est importante).
Dans d’autres le particularisme national est encore à défendre.
Dans ces derniers secteurs, il est indispensable d’avoir constitué un réseau national solide avant de l’élargir au niveau européen, sous peine de voir disparaître les moyens français à brève échéance, compte tenu des forces en présence et de l’éparpillement actuel de la recherche technologique française.
Les difficultés de contractualisation des projets, qu’ils soient collectifs ou coopératifs
Les projets réunissant plusieurs entreprises et des laboratoires doivent être contractualisés de façon précise. Cette démarche, souvent longue et interactive, est peu incitative pour les partenaires. À partir des expériences acquises, un cadre contractuel devrait être établi pour faciliter et accélérer le montage des projets futurs.
Chercheur spécialiste de la propreté particulaire en hydraulique pour la société Sofrance spécialisée dans la conception, la fabrication et la vente de systèmes de filtration en particulier dans le domaine de l’hydraulique. SOFRANCE
Conclusion
Pour se développer dans un contexte mondial l’industrie mécanique française doit faire face à des défis imposés par son marché et améliorer son avantage concurrentiel. Sur le plan technologique, il apparaît indispensable, compte tenu de la taille moyenne des entreprises, de limiter le coût de leurs investissements immatériels, en réalisant une partie de leur recherche et développement dans un cadre collectif ou coopératif.
La mise en place sous le pilotage des industriels d’actions collectives ou de réseaux coopératifs apparaît indispensable, avec l’aide d’abondements publics, pour développer avec le milieu de la recherche une approche fonctionnelle pluridisciplinaire permettant une intégration rapide des résultats dans la stratégie d’innovation individuelle des PME. Malgré quelques exemples très significatifs et une volonté nationale, cette orientation est encore à développer.
Cette évolution permettra en outre aux laboratoires, sans avoir à rechercher le difficile contact individuel avec les PME, de mieux s’intégrer dans des projets ayant un réel impact économique sur ce secteur industriel français. Elle aura aussi pour conséquence d’intensifier dans les écoles et les universités la formation de spécialistes sur les principaux procédés ou fonctions en mécanique.