Améliorer la performance à travers l’approche par processus
Un nouveau modèle d’organisation et de fonctionnement des entreprises émerge depuis quelques années, en rupture avec les structures fonctionnelles traditionnelles.
Ce modèle construit l’entreprise autour de ses processus, de façon transverse et tournée vers le client, afin de répondre à des exigences de compétitivité sans cesse accrues : réactivité, flexibilité, qualité de service et réduction des coûts notamment.
Il permet des accroissements de performance bien au-delà de ce qu’offrent les méthodes classiques d’amélioration continue.
Il devient ainsi fréquemment possible d’atteindre une réduction des coûts globaux de fonctionnement de 20 à 40 %, d’accroître considérablement la réactivité tant commerciale – diminution d’un facteur 10 des délais de traitement d’une commande, qu’industrielle – délai de production passant de trois mois à trois jours – cycle de développement réduit d’un facteur 2 à 4 –, ainsi que d’élever de façon très significative la qualité de service au client.
La mise en œuvre de ce modèle s’appuie sur les processus clés de l’entreprise, et met en œuvre de façon étroitement liée cinq principes fondamentaux :
- remise en cause des enchaînements entre tâches et élimination des tâches superflues sans valeur ajoutée,
- réorganisation des processus de décision, diminution des contrôles inutiles et diminution du nombre de niveaux hiérarchiques,
- mise en place d’équipes autonomes et plurifonctionnelles,
- intégration des fournisseurs et des clients dans les processus,
- exploitation systématique des possibilités offertes par les systèmes d’information.
Cette réflexion s’inscrit dans la continuité de l’article de novembre 1996, « L’entreprise en mouvement », de Francis Meston, et s’attache à détailler les facteurs clés de succès concrets du changement. En effet, de nombreuses expériences engagées et réussies par A.T. Kearney au cours de ces dernières années permettent de faire ressortir les dix conditions de succès de ce changement qui, s’il est toujours complexe car bouleversant profondément la structure de l’entreprise et les habitudes des hommes qui la composent, n’en conduit pas moins à de spectaculaires sauts de performances.
Une vision stratégique claire
La définition d’un cadre stratégique précis constitue le préalable indispensable à tout projet de refonte d’une organisation. Ce cadre stratégique concerne autant la vision du positionnement de l’entreprise dans une perspective de cinq à dix ans, que son plan stratégique clients et produits à trois ans. Il est de plus indispensable qu’il soit parfaitement compris et partagé par tous les échelons de l’entreprise.
C’est en effet à partir de ces éléments qu’est fixé le cadre de travail du projet de changement : identification des principaux enjeux, cadre stratégique de référence, prise de conscience par tous de l’ampleur des transformations à conduire par mesure de l’écart entre la situation actuelle de l’entreprise et ses objectifs de compétitivité.
Par ailleurs, seule la connaissance des objectifs stratégiques de l’entreprise permet de garantir la cohérence des travaux avec ceux-ci, et donc d’assurer leur pérennité.
Ainsi par exemple, la remise à plat d’une structure et des pratiques commerciales ne pourra qu’être postérieure à la fixation d’une stratégie commerciale précise : quels marchés viser, quels canaux de distribution privilégier, quel niveau de service client atteindre. De même, la refonte d’un outil de production ne pourra être menée efficacement qu’après une clarification du plan produit de l’entreprise : quels développements produits, quelle politique « make or buy ».
Une méthodologie garantissant la dynamique du changement
Face à l’ampleur du défi que représente un tel projet de transformation, une approche structurée et pragmatique, associant étroitement refonte des processus et conduite du changement est un gage de succès.
Cette démarche garantit une mobilisation des énergies et un maintien constant de la motivation tout au long de cinq étapes successives :
- cadrage et focalisation sur les processus clés de l’entreprise – en général entre 5 et 10 qui présentent les plus forts leviers en termes d’amélioration de la performance (satisfaction des clients, accroissement de la qualité, réduction des coûts…),
- analyse détaillée de l’existant et fixation des objectifs d’amélioration,
- refonte des processus et définition de la cible,
- élaboration de plans d’actions détaillés,
- mise en œuvre.
En balisant le chemin du changement (tâches à accomplir, produits finis et résultats à obtenir), cette méthodologie légitime les travaux, rassure les participants et assure le respect d’un planning qui se doit d’être tendu pour cristalliser l’entreprise autour de son projet de transformation : entre quatre et six mois pour les quatre premières phases, de neuf à dix-huit mois pour l’ensemble, parfois plus.
Elle permet enfin de garantir que soient abordées conjointement les problématiques de refonte des processus, d’organisation de l’entreprise, de redéfinition des principes de gestion et de pilotage et d’évolution des systèmes d’information.
Une structure de projet et des moyens alloués significatifs
La structure de projet s’organise autour de groupes de travail pluridisciplinaires transverses correspondant aux processus étudiés, composés d’acteurs opérationnels de bon niveau et pilotés par un responsable de groupe motivé.
Ces groupes sont placés sous la responsabilité d’un chef de projet, ayant en charge la maîtrise d’œuvre opérationnelle du projet et rattaché directement à la Direction générale pour garantir son indépendance.
L’indispensable implication de la Direction générale est de plus assurée à travers un Comité de Pilotage, rassemblant le PDG et les principaux directeurs, qui fixe les priorités, attribue les ressources, valide les travaux et réalise les arbitrages nécessaires. La fréquence de ses réunions suit le rythme des travaux (typiquement toutes les trois semaines durant les quatre à six mois de diagnostic et de définition de la cible et des plans d’actions).
La disponibilité réelle des membres de l’équipe de projet, souvent accaparés par leurs responsabilités opérationnelles ou d’autres projets parallèles, constitue un facteur de risque important pour le projet. L’expérience montre une nécessaire disponibilité à temps plein du chef de projet et des responsables des groupes processus, ainsi qu’à mi-temps pour les membres de ces groupes. La rédaction d’une lettre de mission pour chacun et l’alignement des objectifs individuels avec ceux du projet garantit cette implication (il peut être nécessaire, par exemple, de revoir les objectifs annuels de chiffre d’affaires des commerciaux).
Une écoute attentive et spécifique des clients
Les opérationnels, en contact journalier avec leurs clients, déclarent souvent bien connaître les besoins de ceux-ci, et il n’est alors, selon eux, nul besoin d’engager une démarche client spécifique lors d’une opération de « reengineering ». L’étude menée début 1997 par les cabinets A.T. Kearney et Management Survey auprès de 200 entreprises françaises montre bien ce relatif désintérêt vis-à-vis de l’externe dans les opérations de changement, ce facteur étant classé avant-dernier sur une liste de huit critères.
Notre expérience indique, tout au contraire, la nécessité d’engager une démarche spécifique d’écoute des clients, la perception en interne étant souvent déformée et incomplète. Le contraste entre cette perception interne et la hiérarchie véritable des attentes des clients peut alors créer un véritable électrochoc mobilisateur. De plus, l’entreprise dispose de ce fait d’une référence pour faire les bons choix lors du « reengineering ».
En effet, la notion de dysfonctionnement interne peut alors s’apprécier non plus par rapport à un schéma de « normalité » pouvant manquer d’ambition, reflet en fait d’habitudes accumulées, mais plutôt en référence à une situation idéale telle que souhaitée par le client. Ce nouveau point de vue dynamise l’entreprise et fournit l’objectif juste.
Un étalonnage externe participatif (benchmark)
La mobilisation créée par la prise en compte des attentes clients peut se révéler insuffisante pour créer le mouvement. En effet, le découragement peut au contraire s’installer lorsque la situation interne est trop éloignée de l’objectif idéal. De plus, les solutions pour changer ne viennent pas toujours à l’esprit d’acteurs trop en prise avec leur environnement opérationnel immédiat.
C’est alors que peut intervenir un étalonnage concret impliquant des acteurs clés de l’entreprise, y compris parmi les plus réticents au changement. Plusieurs visites sont menées auprès de sociétés leaders dans un domaine d’activité transposable. Nous avons pu souvent constater quelle rupture s’opère alors dans les esprits, tandis que se confirme la possibilité d’améliorations considérables : les participants à l’étalonnage deviennent les champions internes du changement, après s’être appropriés des idées nouvelles qui ont amené le succès ailleurs.
Par la suite, des séances de créativité peuvent prendre le relais, et ainsi générer des idées nouvelles favorisées par un climat général plus ouvert. De plus, les contacts créés forment le noyau d’un véritable club potentiel d’échange d’expérience pour ainsi contribuer à pérenniser l’ouverture de l’entreprise sur l’extérieur.
Une indispensable ouverture vers le développement et la croissance
C’est à partir du bilan des dysfonctionnements constatés au sein des groupes de travail transverses que les axes de progrès potentiels sont identifiés.
Pour être pleinement efficace, toute action de refonte des processus se doit, dans la sélection de ces axes de progrès, de s’appuyer conjointement et de façon équilibrée sur les deux leviers de rentabilité de l’entreprise : la réduction des coûts et le développement du chiffre d’affaires. En effet, c’est seulement en mettant pleinement l’accent sur ses potentiels de croissance que l’entreprise mobilise réellement son personnel et pérennise son développement et sa compétitivité à moyen et long termes.
De plus, à l’issue d’opérations de formation ad hoc, il est souvent possible d’assurer ce développement en réaffectant une partie des personnels libérés par la productivité générée par les opérations de transformation.Ce levier, de par le fait qu’il est souvent plus difficile à appréhender et à quantifier que les réductions de coûts, et qu’il conduit à des résultats moins immédiats, est aujourd’hui très largement sous-exploité dans les opérations de transformation des entreprises françaises, ainsi que l’a montré l’étude A.T. Kearney – Management Survey.
Une quantification des axes de progrès : le cas économique
Au sein des axes de progrès identifiés, la détermination concrète des actions d’amélioration doit être complétée d’une évaluation de leur incidence en termes de bilan économique pour l’entreprise : développement du chiffre d’affaires, accroissement de la marge, réduction des coûts de stock, de non-qualité…
Une telle évaluation est difficile à mener précisément, surtout en termes de croissance du niveau d’activité, et les groupes de travail hésitent bien souvent à s’engager sur des chiffres.
Néanmoins, un premier niveau d’estimation, suffisamment ambitieux sans être irréaliste, met en général en évidence des gains impressionnants, suffisants pour servir de base à une logique d’investissement dans le projet de changement, en mettant en regard ces enjeux de progrès et les coûts de transformation associés. Par ailleurs, de telles données constituent également un des piliers de la mobilisation des salariés autour du projet.
Une refonte simultanée du système d’information et des processus
La refonte de l’organisation et des processus est à elle seule une source importante de progrès, en particulier dans l’amélioration des interfaces entre des fonctions cloisonnées, ou dans la réduction des « délais de corbeille ».
Néanmoins, s’arrêter là est insuffisant, car est alors négligé un fondement majeur de la plupart des processus actuels de l’entreprise, à savoir les systèmes d’information. Leur refonte est porteuse d’enjeux de progrès considérables, pourvu qu’on les considère non pas simplement comme une occasion d’automatisation de tâches parfois désuètes, mais plutôt comme un instrument de transformation de l’entreprise, permettant entre autres la distribution large de l’information et sa facilité d’accès, ainsi qu’une véritable aide à la décision.
De plus, l’importance des investissements consentis et la lourdeur de la mise en œuvre de nouveaux systèmes d’information rendent de telles opérations stratégiques pour l’entreprise.
L’expérience montre que seule la refonte simultanée des systèmes d’information et des processus permet d’optimiser les performances atteintes et de minimiser le temps et les efforts de développement, en évitant le cercle vicieux d’une refonte informatique pérennisant des modes de travail périmés. Ceci se traduit notamment à travers la participation d’experts du système d’information aux groupes de travail processus, pour prendre en compte en amont les contraintes ainsi que les opportunités de ce système. Le principe de la refonte couplée système d’information-processus permet enfin d’éviter le syndrome de développements informatiques tournés vers la performance technique, en orientant les choix retenus en fonction des attentes réelles des clients.
Une communication explicative, rassurante et mobilisatrice
Si l’importance de la communication est unanimement reconnue, elle n’en est pas moins souvent négligée, faisant ainsi courir un risque d’échec significatif au projet par manque de mobilisation et de compréhension par les opérationnels des objectifs poursuivis.
Une communication informelle s’établit grâce aux membres de l’équipe de projet, notamment à travers la prise de conscience par chacun des conséquences de ses méthodes de travail au sein des différents services de l’entreprise.
Mais cette communication doit être relayée, renforcée et formalisée pour lever réellement les résistances au changement, comportant souvent un fort aspect émotionnel, que soulève toute transformation profonde.
Pour cela, il est indispensable de mettre en place un dispositif de communication dédié au projet, sous l’autorité d’un responsable désigné, et qui fasse l’objet de revues au cours des Comités de pilotage au même titre que les travaux de refonte des processus. De nombreux outils existent, qui permettent de rythmer les grandes phases du projet : création d’une « lettre de projet », mise en place d’une boîte à idées projet (physique et électronique), organisation de « road show » - séances itinérantes de présentation et d’enrichissement des résultats des groupes processus à travers les différents sites de l’entreprise, « project room » avec entrée libre où sont affichés les résultats des travaux menés, vidéos de présentation des attentes clients (entretiens filmés)…
Ce plan de communication global, qui doit permettre à chacun d’exprimer ses vues et de trouver réponse à ses questions, pourra au besoin être complété d’actions spécifiques à destination de populations identifiées comme particulièrement réfractaires au changement, et ce dès le lancement du projet.
Une planification rigoureuse de la mise en œuvre
Un écueil fréquent dans lequel tombent beaucoup d’entreprises consiste à décréter la mise en œuvre des actions de progrès, et à laisser faire par la suite, avec le risque de voir retomber le niveau de mobilisation de tous autour du projet après le moment d’euphorie constitutif à la définition de la cible. C’est en effet à ce moment que des problèmes tels que des enjeux de pouvoir internes, des conflits de priorités ou des restrictions budgétaires peuvent contribuer à brouiller progressivement l’objectif à atteindre, et créer insensiblement mais sûrement une dérive vers un changement moins ambitieux.
Le changement est alors garanti par la continuité d’un noyau dur de la structure du projet initial ainsi que la poursuite des réunions du Comité de pilotage, en pilotant la transformation à partir d’un tableau de bord concret mesurant l’avancement des résultats vis-à-vis des moyens engagés.
Par ailleurs, le changement doit s’organiser par phase, par paliers successifs, en gérant les transitions entre ces paliers, depuis les premières expérimentations jusqu’aux actions lourdes de mise en œuvre. En particulier, l’identification et la mise en œuvre d’actions rapides d’amélioration, porteuses de résultats tangibles en quelques mois seulement, dopent la motivation et font passer le projet dans le domaine du concret.
Enfin, le plan d’action de changement doit prendre en compte des facteurs psychologiques liés au comportement différent face au changement de plusieurs populations d’acteurs de l’entreprise, et déployer des mesures adaptées à chaque cas (formation, accompagnement…).
Deux exemples concrets significatifs
• Le cas Leicester Royal Infirmary
A.T. Kearney a récemment conduit un « reengineering » du Leicester Royal Infirmary NHS Trust, un des plus importants hôpitaux universitaires d’Angleterre avec 6 000 employés gérant plus de 300 services, dans le cadre du programme de « reengineering » du National Health Service lancé par le gouvernement britannique.
Les résultats obtenus à travers une remise à plat totale de l’organisation s’avèrent spectaculaires en termes de qualité de service rendu au patient et d’efficacité. Par exemple, le nouveau processus de visite médicale permet à 95 % des patients de jour d’être reçus dans les trente minutes, alors que ce taux était de 0 % au préalable. Le gain de temps obtenu équivaut à plus de cinquante années d’attente ! Par ailleurs, la qualité de service est transformée, avec notamment la réduction de quatorze à deux jours du délai moyen écoulé entre la réception de la lettre de recommandation du généraliste et le rendez-vous, et des économies substantielles annuelles sont réalisées, de l’ordre de 360 000 livres sterling par an.
• Le cas d’une société française de matériels et systèmes électroniques
Afin d’améliorer le service aux clients et d’accroître la compétitivité, un « reengineering » complet a été récemment conduit par A.T. Kearney en préalable au renouvellement des solutions informatiques de gestion commerciale et de gestion de production de l’entreprise. Les travaux ont couvert les processus-clés, à savoir l’élaboration des prévisions commerciales à moyen/long terme, l’élaboration des devis et la prise de commandes, le suivi des commandes, la planification et l’ordonnancement de la production, les processus finance/gestion (budget, reporting, comptabilité…).
Les résultats ont permis de définir un objectif d’amélioration globale de 80 MF du résultat net pour un chiffre d’affaires de 1 milliard environ. Cet objectif était réalisable en dix-huit mois environ. À cette réduction de coût s’est ajoutée une nette amélioration de la qualité du service rendu aux clients ainsi que du niveau de flexibilité de l’entreprise.
Ainsi par exemple, le délai moyen de réponse à un client est passé de trois jours à une demi-journée, la proportion d’offres complètes lors de la remise au client de 50 à 100 %, les dérives de planning sur les affaires de 60 à 5–10 % des cas, les clients avertis d’un retard prévisible de 0 à 100 %, la durée totale du cycle de production des produits phares de un ou deux mois à deux ou trois jours entre les premières fabrications de sous-ensembles et l’expédition du produit intégré et testé, la charge de travail de réalisation du budget de cinquante-six mois x hommes sur la période août-décembre à trente mois x hommes sur octobre-novembre, la disponibilité du reporting mensuel de quinze à six jours après la fin du mois, avec des premières estimations après seulement deux jours…
Rôle du consultant
Dans cet environnement en pleine transition, le rôle du consultant est multiple. Il assure l’apport méthodologique indispensable ; il crée l’effet d’entraînement et de mobilisation pour un changement dynamique ; il contribue à la définition de solutions innovantes et ambitieuses grâce à son expérience de situations similaires ; il comprend et gère les résistances au changement ; il veille à l’appropriation par tous et, bien sûr, il fait en sorte que soient réunies les conditions clés du succès de la transformation.
Par la suite, après l’atteinte des résultats visés et en capitalisant sur cette approche, l’entreprise pourra alors s’engager dans une logique vertueuse d’amélioration continue, vers toujours plus de compétitivité et de qualité de service à ses clients, dans un souci permanent d’accroissement de valeur.