Ancêtre peu connue de l’Ecole polytechnique, l’Ecole royale du génie de Mézières et sa belle descendance (1748−1794)
L’École royale du génie de Mézières
Origine et création
L’École royale du génie de Mézières
Origine et création
Au milieu du XVIIIe siècle, le » département des fortifications « , direction du ministère de la Guerre, confié au comte d’Argenson, est rattaché au roi. Jusqu’alors c’était le même corps d’ingénieurs de l’État qui s’occupait, non seulement des travaux militaires de fortifications, mais aussi des travaux publics, parce que les routes étaient » dimensionnées » (tracé, largeur, résistance) en fonction des charrois les plus lourds, qui étaient ceux de l’artillerie (déjà Sully, 1560–1641, avait été successivement ou simultanément surintendant des finances, surintendant des fortifications, grand maître de l’artillerie et grand voyer).
C’est de cette époque que date l’expression » d’ingénieur civil » par opposition, non pas à » ingénieur militaire » au sens actuel du terme, mais à » ingénieur de l’État » (cette acception de l’adjectif » civil » fait une nouvelle carrière depuis quelques années dans » société civile « , antinomique non pas de » société militaire » mais de » société de l’administration et des services publics »).
L’École des ponts et chaussées ayant été créée en 1747 par Trudaine et Perronet, par contrecoup le corps des ingénieurs des fortifications se militarise. Les batailles de la guerre de succession d’Autriche (1740−1748), tout spécialement celle de Fontenoy en mai 1745, sont coûteuses en hommes et en ingénieurs, car » l’organisation du terrain » est insuffisante.
Il faut donc » professionnaliser » ce secteur ; les circonstances et l’esprit du temps y préparaient, car la paix revenue permettait de reconstruire l’armée et son administration, et c’était l’essor de la pensée des encyclopédistes dans le Siècle des lumières.
C’est ainsi que, le 11 avril 1748, d’Argenson, ministre de la Guerre, écrit aux » provinciaux » (les directeurs des fortifications) pour que chacun organise la formation de ses propres ingénieurs. Il y eut de premières réalisations intéressantes à Embrun et à Grenoble (écoles de topographie), à Metz, à Saint-Omer et à Neuf-Brisach (écoles d’attaque).
Mais c’est le projet de Mézières qui apparut comme le meilleur. Nicolas de Chastillon, gouverneur des places de la Meuse, est l’ingénieur en chef de Mézières, et, pour fortifier cette ville (bastions de la couronne de Champagne) se fait un devoir de former (en cours du soir au début) de nouveaux » ingénieurs volontaires « . Parallèlement, tout près de là, à Sedan, Henri de la Tour d’Auvergne avait créé » l’Académie des exercices » pour l’étude de la topographie, de la stratégie et de la tactique. Du coup, le roi décide de créer à Mézières une école unique pour l’ensemble des ingénieurs du Génie. D’ailleurs Mézières ne vient-il pas du latin maceriae maçonneries, murs, remparts ?
Dès 1749 l’École du génie de Mézières (qui ne deviendra » royale » qu’en 1777) est la seule pour former les futurs officiers et les futurs ingénieurs du Génie ; naturellement de Chastillon en est le premier commandant et assumera la transition de la pensée de Vauban vers le Génie moderne.
Régime
Charleville-Mézières, 7 mai 1999 : le drapeau de l’École polytechnique et sa garde devant l’ancienne École royale du génie de Mézières, actuellement préfecture des Ardennes. PHOTO 3e RÉGIMENT DU GÉNIE
Pour les dix à quinze élèves recrutés chaque année il y a d’abord une présélection (états de service, quartiers de noblesse). Les » prépas » sont les écoles militaires de Paris, Brienne et Pont-à-Mousson, ainsi que les pensions parisiennes Longpré et Berthaud. Puis c’est l’examen à Paris, essentiellement une épreuve de mathématiques ; en effet le recrutement est au mérite alors qu’à la même époque les Écoles des mines et des ponts et chaussées font une large place aux recommandations. Un candidat sur trois est pris ; les admis ont de seize à trente ans (vingt ans en moyenne).
Le » cursus » complet est de six années, avec tout d’abord deux ans à Mézières (première année : cours théoriques, exercices, topographie, stéréotomie, levers, métrés avec » contrôle continu des connaissances » ; deuxième année : exercices militaires, formation à l’encadrement).
Au début, les cours sont dispensés dans une maison louée et les élèves logent chez l’habitant ; puis l’École s’installe dans ses nouveaux locaux (devenus en 1800 préfecture des Ardennes, de 1914 à 1918 ils furent occupés par le Kronprinz impérial et son groupe d’armées qui y installèrent le grand quartier général et le grand état-major ; la salle du Conseil général, ancienne salle de dessin de l’école, était devenue la salle des opérations aux murs tapissés de cartes).
Les repas sont pris dans les auberges de la ville, en mélangeant les deux » promotions « . Les élèves s’impliquent dans la vie locale (académies scientifiques et artistiques, loges maçonniques). L’ensemble est tout à fait original en Europe. Après les deux ans à Mézières, les élèves servent deux ans dans un régiment d’infanterie puis encore deux ans dans une place ou une citadelle pour l’apprentissage aux côtés d’un ancien. En final c’est encore un examen pour l’intégration dans le corps des ingénieurs.
Corps enseignant et encadrement
Charles Étienne Camus, examinateur à l’entrée et à la sortie depuis l’origine, meurt en 1768. C’est l’abbé Bossut qui lui succède, membre de l’Académie des sciences, protecteur de Monge. L’abbé Nollet enseigne la physique à partir de 1761. Clouet est titulaire de la chaire de chimie, Lelièvre donne des leçons d’architecture, Leclerc enseigne la géographie, Marion professe la stéréotomie (taille des pierres) et la charpente, Savart se voit confier la mécanique, Hachette assume la géométrie et les mathématiques, Barré est le bibliothécaire.
Gaspard Monge tient une place toute particulière. Né à Beaune en 1746, fils d’un marchand forain, il enseigne la stéréotomie en 1764 et dans ce cadre crée la géométrie descriptive comme méthode universelle de représentation et d’étude de l’espace. Il est nommé professeur de mathématiques (auxquelles est rattaché le dessin) en 1769 lorsque l’abbé Bossut devient examinateur, puis fut de surcroît professeur de physique en 1770. Il entre en 1772 à l’Académie des sciences.
Monge sera l’âme de l’École de Mézières durant vingt ans de 1764 à 1783, année où il devient examinateur de la Marine à Paris, remplacé à Mézières par Pierre-Joseph Ferry comme professeur de mathématiques.
Les directeurs successifs sont d’une certaine longévité au début : Nicolas de Chastillon 1748–1765, Rault Ramsault de Rocourt 1765–1776, Caux de Blacquetot 1776–1792 ; puis tout s’accélère : Salaignac 1792-février 1793, de Villelongue (le seul commandant ancien élève de 1751 à 1752) février 1793-septembre 1793.
Les élèves
Au total cinq cent quarante-deux élèves seront passés par l’École de Mézières de 1748 à 1793, dont par la suite quarante-huit sont devenus généraux, sept sont morts pour la France, et vingt-six auront leur nom gravé sur les murs de l’Arc de Triomphe ; parmi les plus connus :
- Lazare Carnot (1753−1823), élève en 1771, est » l’organisateur de la victoire « ,
- Coulomb (1736−1806), élève en 1760–1761, a fait des découvertes essentielles en mécanique des sols, en électricité et à propos de l’électrostatique (loi q.q”/d2),
- Borda (1733−1799), élève en 1758–1759, fut un savant (balistique, navigation, trigonométrie) et un grand marin,
- Dejean (1749−1824), élève en 1766, » premier inspecteur général du Génie « , fut gouverneur de l’École polytechnique en 1814, puis grand trésorier de la Légion d’honneur,
- Caffarelli du Falga (1756−1799) commanda le Génie de l’expédition d’Égypte, puis créa l’Institut du Caire avant de trouver la mort sous les murs de Saint-Jean-d’Acre,
- Haxo (1774−1838), officier du Génie, fit les campagnes de Napoléon comme général puis devint inspecteur général des fortifications et enfin pair de France,
- Meusnier de la Place (1754−1793), élève en 1774–1775, théoricien de l’aérostation, inspira Monge pour la géométrie descriptive, puis fut tué au siège de Mayence,
- Rouget de Lisle (1760−1836), élève en 1782–1783, qu’il est inutile de présenter,
- du Portail (1743−1802), élève en 1762–1764, créa le Génie américain,
- Pierre L’Enfant (1754−1825) fut l’urbaniste de Washington et à ce titre est enterré au cimetière militaire d’Arlington (son passage à Mézières est controversé),
- Bertrand (1773−1844) sapeur-pontonnier, grand maréchal du palais, fidèle à Napoléon dans ses deux exils insulaires,
- Cugnot (1725−1804) se rendit célèbre par la mise au point en 1769 de son » fardier » à vapeur de trois roues, premier véhicule » automobile « ,
- Prieur-Duvernois, dit de la Côte-d’Or (1763−1832), l’un des fondateurs de l’École polytechnique,
- Marescot (1758−1832) élève en 1778, premier inspecteur général du Génie,
- Chasseloup-Laubat (1754−1833), général du Génie, etc.
Les élèves de Mézières étaient demandés partout : Constantinople, Saïgon, Hué, Hanoi, La Guadeloupe, La Martinique, Saint-Domingue, Gorée (Dakar), Canada, Louisiane… L’un est assassiné en Mésopotamie, un autre disparaît avec La Pérouse sur l’Astrolabe en 1788, etc.
En 1791–1792, quatre-vingt-six émigrent en Angleterre (soixante-huit nobles, dix-huit roturiers) dont trois seront fusillés après le débarquement de Quiberon ; soixante-sept démissionnent (trente-neuf nobles, vingt-huit roturiers).
Déclin et fin
À partir de 1781 il faut en principe quatre quartiers de noblesse pour pouvoir entrer à l’École de Mézières, ce qui renforce le caractère aristocratique du recrutement : la proportion de non-nobles chute de 40 % à 14 %. Il en résulte de vives tensions au moment de la Révolution.
Au début de celle-ci la situation est calme : en juillet 1791, de Villelongue, les professeurs et les élèves prêtent serment de fidélité. Mais dès 1792, les tensions s’aggravent : les élèves aristocrates s’opposent de plus en plus vivement aux professeurs engagés politiquement dans les clubs et assemblées de la ville (Ferry et Hachette en particulier). Démissions et désertions sont enregistrées chez les élèves. Épuisé, de Villelongue, révoqué, doit se retirer puis passe un an en prison, comme son adjoint.
Desprez dirige l’École de septembre 1793 à novembre 1793 ; sa suite est prise par Lecomte, officier retraité, qui reprend du service comme volontaire pour » défendre la liberté et la justice « . Mais, n’arrivant pas à s’imposer, écœuré par les dénonciations, il se suicide le 18 janvier 1794.
Devant l’impossibilité de ramener le calme à Mézières, Carnot, ancien élève, décide la fermeture de l’École. Elle est recréée le 12 février 1794 à l’abbaye de Saint-Arnould à Metz aux ordres du capitaine Duhays. Mais, comme l’indique le grade relativement modeste de cet officier, il ne s’agit plus que d’une école de siège, la formation théorique supérieure revenant de fait à l’École polytechnique, en cours de création à ce moment-là.
Longtemps, l’École d’application de l’artillerie et du génie de Metz sera encore appelée » École de Mézières « , comme a conservé son nom l’École » de Saint-Cyr » bien qu’elle soit depuis des dizaines d’années en Ille-et-Vilaine et non plus près de Versailles. Les ouvrages de la bibliothèque sont partagés entre l’École du génie de Metz et l’École des ponts et chaussées. Les » collections de physique » (ces splendides instruments en laiton et en acajou, exposés récemment) sont dévolues à l’École polytechnique.
N’ayant existé que quarante-six ans, l’École du génie de Mézières laisse le souvenir d’une lacune, d’une impasse et d’une promesse :
- une lacune : pas d’enseignement de l’histoire,
- une impasse : la guerre n’est pas rationalisable,
- une promesse : l’articulation des sciences théoriques et des techniques de l’ingénieur.
La filiation de l’École polytechnique et de l’École du génie de Mézières
À l’époque révolutionnaire l’École des ponts et chaussées, fondée en 1747, était dirigée par Lamblardie, lequel constatait avec regret que son établissement était peu fréquenté parce que l’École du génie de Mézières lui enlevait les meilleurs élèves et que la rareté des étudiants, liée à l’agitation de ces années-là, ne permettrait pas d’en recruter d’autres. La même crise du recrutement touchait aussi l’École des mines, l’École des ingénieurs de la marine, etc.
C’est pour y faire face que Lamblardie eut alors l’idée d’une école préparatoire pour les Ponts et Chaussées et pour tous les corps d’ingénieurs. Il en parla à Monge, très qualifié puisque longtemps professeur à Mézières.
C’est ainsi que » l’École centrale des travaux publics » fut créée par décret du 21 ventôse an II (11 mars 1794) avec vocation à former des ingénieurs pour les Ponts et Chaussées, le Génie, le Service géographique et le Service hydrographique. Quatre personnages en sont à l’origine : Lamblardie, Monge, Lazare Carnot et Prieur-Duvernois dit de la Côte-d’Or dont les portraits dans de beaux cadres dorés ovales ornent la salle du Conseil d’administration de l’École polytechnique ; les trois derniers étaient anciens professeurs ou anciens élèves de Mézières.
La naissance effective de l’école procède de la loi du 7 vendémiaire an III (28 septembre 1794). Son nom d’École polytechnique lui fut donné par la loi du 15 fructidor an III (1er septembre 1795). Une nouvelle loi du 30 vendémiaire an IV (22 octobre 1795) fit de l’artillerie un nouveau débouché pour les élèves.
Pour organiser l’enseignement de la nouvelle école, Monge s’inspira des méthodes de l’École du génie de Mézières : grande place à la géométrie descriptive et à ses applications (stéréotomie – architecture – fortifications), peu de mathématiques, de physique et de chimie – à tel point qu’elle sera appelée » l’école de Monge » jusqu’à la Restauration (puis » l’école de Laplace » lorsque l’analyse mathématique y deviendra prépondérante).
Le monopole d’accès des polytechniciens aux écoles d’application de l’époque fut considéré dès le début comme un » privilège » tout de suite attaqué (et ceci jusqu’à nos jours, malgré des accommodements progressifs). L’École de Mézières (à Metz) fut très vite hostile à ce » privilège » car le corps des Ponts et Chaussées attirait plus les élèves que les carrières d’officiers du Génie ou de l’Artillerie, ce qui était désagréablement ressenti par les généraux du prestigieux » Comité des fortifications « .
Lamblardie fut le premier directeur de la jeune école jusqu’à ce qu’il reprenne la direction de l’École des ponts et chaussées en 1796 (il mourra en 1797). Monge lui succéda, avant de » s’absenter » de mai 1798 à octobre 1799 pour cause d’expédition d’Égypte en compagnie de cinq professeurs ou examinateurs et de quarante-deux élèves ou anciens élèves.
Sous l’Empire, le décret du 27 messidor an XII (16 juillet 1804) instaura le régime militaire de l’école. Celle-ci dépendra alors du ministère de la Guerre et non plus de celui de l’Intérieur, ce qui ne modifiera pas beaucoup la vie courante puisque ce dernier avait déjà imprimé un régime strict : internat, uniforme, solde de sergent d’artillerie… Le classement de sortie unique fut institué en 1806.
Vers 1811 l’École de Metz relança les critiques contre l’École polytechnique, fustigeant la faiblesse de ses élèves en dessin, comme si le trait au tire-ligne et le lavis étaient les activités primordiales des officiers.
Puis, en 1818, ce fut la mort de Monge qui avait tant fait pour l’École ; créateur, directeur, professeur, protecteur, bienfaiteur… après avoir joué un rôle tout aussi déterminant en faveur de l’École de Mézières. Après ce triste événement pour les deux maisons, la petite sœur ayant clairement pris sa place en amont de l’aînée, il n’y eut plus de relations entre l’École polytechnique et les écoles successives du Génie autres que les relations normales et confiantes entre une école de formation générale et une école d’application.
Aux États-Unis : Génie et écoles
L’épopée de Du Portail
En cette fin du XVIIIe siècle la guerre d’indépendance fait rage en Amérique. À la bataille de Boston, en 1775, le siège de Bunkerhill met en évidence le rôle de la fortification. Washington fait appel à la France pour disposer d’ingénieurs qualifiés, et dépêche Benjamin Franklin à Versailles pour obtenir de l’aide et négocier une alliance.
“ Essayons ” est la devise du blason du Génie américain depuis deux siècles. PHOTO INSPECTION DU GÉNIE
C’est ainsi qu’au début de 1777 Louis XVI accepte l’envoi secret en Amérique (sous couvert d’une disponibilité de deux ans pour convenances personnelles) de quelques officiers du corps royal du Génie, conduits par le capitaine Le Bègue du Portail (nommé rapidement lieutenant-colonel) les autres étant La Radière et de Gouvion. Louis Le Bègue du Portail, né à Pithiviers en 1743, fut élève à Mézières en 1762–1764, scolarité émaillée d’une année de forteresse pour s’être opposé à l’admission dans sa promotion de quatre ingénieurs de la Marine qu’il jugeait de trop basse extraction.
En juin 1777 l’équipée arrive à Philadelphie puis rejoint Washington à Coryells Ferry. Le Congrès le nomme colonel puis brigadier général et lui ordonne de prendre le commandement de tous les sapeurs américains qu’il assumera de juillet 1777 à octobre 1783, participant à ce titre aux travaux du Conseil de guerre à Valley Forge, où il installe la première école du Génie en juin 1778. En mai 1778 Washington crée un » département du Génie » ; du Portail organise le corps du Génie tout en établissant divers projets de fortifications et en supervisant la construction des défenses de West Point.
En mars 1779, un décret crée l’arme du Génie et du Portail en est nommé commandant en chef, dépendant directement du Congrès. Il se rend alors dans le sud où la situation militaire est délicate, ce qui lui vaut d’être fait prisonnier (avec L’Enfant) par les Anglais en mai 1780, lors de la reddition de Charlestown par le général Lincoln.
Rochambeau négocie un échange de prisonniers, du Portail se retrouve donc à Philadelphie en février 1781, puis accompagne Washington et Rochambeau vers le sud pour faire campagne : sous les ordres du second, siège de Yorktown (avec Bechet de Bellefontaine) jusqu’à la capitulation des Anglais le 19 octobre 1781.
Cela lui vaut d’être nommé major général (équivalent de général de corps d’armée) en octobre 1781, à trente-huit ans, quatre ans et demi après avoir déposé ses trois modestes galons de capitaine français.
Dans son » mémoire de proposition » Washington loue non seulement ses compétences et réussites militaires, mais aussi la pertinence de son jugement en toutes circonstances.
Du Portail rédige en 1783 un mémoire sur la création d’un corps » de l’Artillerie et du Génie » et jette les bases de l’académie militaire devant être l’école mère de ces deux armes. De proche en proche ces travaux aboutissent à la création en 1795 de l’école militaire de West Point, à la fois, comme à Mézières, académie militaire et école d’ingénieurs.
Ses programmes sont inspirés de ceux de l’École polytechnique, eux-mêmes héritiers de ceux de l’École de Mézières. En 1802, sous l’influence de Jefferson, » West Point » devient l’Académie militaire des États-Unis (« United States Military Academy »), tout en restant la seule école d’ingénieurs du pays jusqu’en 1824.
De retour en France en 1783, du Portail est honoré par Louis XVI, sert auprès du roi de Naples, est fait maréchal de camp en 1788, puis est ministre de la Guerre d’octobre 1790 à décembre 1791. Déclaré suspect en tant que noble il se cache à Paris en 1792 puis émigre aux USA et s’établit fermier près de Valley Forge (son ancien quartier général) de 1792 à 1802. C’est alors que Napoléon le rappelle, mais il meurt durant la traversée.
Les liens entre West Point, le Génie américain et l’École polytechnique
Au début, le français était couramment utilisé à West Point pour l’enseignement des cadets. Le Génie américain a comme devise » Essayons » toujours lisible sur les boutons d’uniforme et sur le blason officiel (une devise dans notre langue, si elle n’est pas rare en Angleterre » Dieu et mon droit « , » Honni soit qui mal y pense » est exceptionnelle aux États-Unis). Sur les mêmes éléments, le château (stylisé) flanqué de deux tours figurerait la » porte chaussée » de Verdun.
Le » Corps of Engineers « , parti des fortifications, a étendu ses compétences à presque toutes les branches des Travaux publics : routes, canaux (Panama), ouvrages d’art, voies ferrées, et, plus récemment, aérodromes, génie civil des programmes nucléaires, bases de la NASA. Dans le courant du XIXe siècle West Point devint une académie militaire de formation générale, comparable à notre École de Saint-Cyr ; cela conduisit à créer une école du Génie séparée, successivement établie à Wields Point (New York), Washington D.C., Fort Belvoir D.C., enfin à Fort Leonard Wood (Missouri).
Le signe concret le plus visible du lien de West Point et de l’École polytechnique est la statue de Theunissen. L’originale (désormais à Palaiseau en bordure de la cour des cérémonies) fut inaugurée rue Descartes le 8 juillet 1914 par Raymond Poincaré, président de la République, en hommage à la part prise par les élèves de l’École dans la défense de Paris les 29 et 30 mars 1814. Sur son socle cylindrique est sobrement écrit : » L’École polytechnique à la Défense de Paris – 1814 « . Une réplique de cette statue bien connue de tous les polytechniciens fut offerte par la S.A.S. (Société amicale de secours – ancêtre de l’A.X.) à West Point le 21 octobre 1919, en hommage à la fraternité d’armes franco-américaine née en 1776–1778 et renouvelée en 1917–1918.
Sa base en tronc de pyramide porte l’inscription » L’École polytechnique de France à l’École sœur des États-Unis d’Amérique entrés dans la lutte pour la liberté du monde le 8 avril 1917 » (date de l’entrée en guerre des USA). Lors de la cérémonie militaire de l’inauguration les cadets américains défilèrent avec leur grand uniforme : habit à la française, baudrier blanc croisé, shako à plumet rouge… précisément la tenue des polytechniciens de 1814, figée dans le bronze par Theunissen.
À partir de 1830 les élèves des deux écoles échangèrent des » adresses « , messages solennels voire emphatiques pour les grands événements : mort de Vaneau (promotion 1829, tombé héroïquement le 28 juillet 1830 durant les Trois Glorieuses), Guerre mondiale en 1918. Le 12 décembre 1944, le » sesquicentenaire « 1 de l’École polytechnique fut marqué par une cérémonie militaire à West Point et un grand dîner de gala de 1 200 personnes au Waldorf Astoria de New York.
Désormais à Palaiseau, la statue de Theunissen
inaugurée rue Descartes le 8 juillet 1914.
À West Point, la réplique de la statue de Theunissen
inaugurée le 21 octobre 1919. PHOTO PIERRE BRAULT
Simon Bernard
Né à Dole en 1779, il entre à l’École polytechnique en 1794 dans la première promotion (à quinze ans, ce qui n’était pas rare à l’époque). Il aborde une carrière classique dans le Génie : École de Metz, armée du Rhin, Italie, fortifications d’Anvers, grands travaux en Dalmatie, puis avec Napoléon jusqu’à Waterloo (en reconnaissance vers une lointaine cavalerie le 18 juin 1815, c’est lui qui rapporte la nouvelle que c’était Blücher et non Grouchy ; est-ce pour cela que l’Empereur ne voulut pas qu’il l’accompagnât à Sainte-Hélène ?).
Il part ensuite aux États-Unis et, recommandé à La Fayette, prend comme général du Génie américain la tête d’une équipe de bâtisseurs pour créer des forts, des routes, des canaux : grand canal Chesapeake-Ohio, Fort Monroë en Virginie » le Gibraltar de la baie de Chesapeake » où est un musée à la mémoire de celui surnommé » le Vauban du nouveau monde « . En 1831 Simon Bernard rentre en France et devient ministre de la Guerre en 1834. Il meurt en 1839.
Claudius Crozet et le Virginia Military Institute
Né en 1790, Crozet entre à l’École polytechnique en 1805, puis fait les campagnes napoléoniennes. Il abandonne ensuite la carrière militaire et va en 1816 aux USA où il rencontre Simon Bernard. Il devient professeur de génie militaire à West Point dès cette année-là et applique le modèle de Monge en utilisant la géométrie descriptive, qu’il traduit en anglais. Puis il se met au service de l’État de Virginie dont il est » principal engineer » au » Virginia Board of Public Works » et à ce titre construit de nombreuses infrastructures (routes, canaux, voies ferrées avec en particulier le chemin de fer à travers les Appalaches).
Pour pouvoir disposer d’ingénieurs compétents, il conçoit en 1835 le » Virginia Military Institute » qu’il crée à Lexington. Les élèves, âgés de 17 à 21 ans, portent l’uniforme de West Point (lui-même dérivé de celui de l’École polytechnique), et reçoivent une instruction scientifique générale de haut niveau ainsi qu’une formation d’ingénieurs militaires.
L’inauguration officielle du » V.M.I. » aura lieu en 1839, la première promotion comportant vingt-trois élèves. Président de l’établissement de 1837 à 1845, Crozet est honoré en tant que père fondateur, comme Monge pour l’École polytechnique et du Portail pour West Point. Son nom a été donné au hall principal, le » Crozet Hall « . Sa tombe fut transférée dans les jardins en 1947. Le 11 novembre 1989 fut célébré le » sesquicentenaire » du V.M.I. en présence d’une délégation de l’École polytechnique conduite par le général Parraud (58), alors son directeur général.
Dans le cadre du bicentenaire de l’École polytechnique, un bataillon de trente-sept cadets du Virginia Military Institute participa à la prise d’armes du 10 mars 1994 à Palaiseau, et le 29 mars 1994, proclamé » École polytechnique Day » par le maire de New York, fut organisé dans cette ville un débat entre le président Valéry Giscard d’Estaing (44) et l’ancien secrétaire d’État Henri Kissinger » la démocratie représentative et le monde de l’après-guerre froide « .
Pour conclure au sujet des établissements d’enseignement militaire supérieur américains liés à l’École polytechnique, West Point en serait plutôt la sœur aînée et le Virginia Military Institute la fille cadette.
Les écoles françaises du Génie
Recréée donc à Metz en février 1794 après sa fermeture à Mézières, l’École du génie connaîtra de nombreuses évolutions ne faisant que refléter les propres modifications du Génie (et de l’Artillerie) ; mais ces péripéties avaient commencé bien avant. En 1690 Vauban crée le corps des ingénieurs militaires :
- ingénieurs ordinaires (construire, améliorer, entretenir les places),
- ingénieurs extraordinaires en cas de conflit (ingénieurs civils et officiers d’infanterie).
Le terme » génie » apparaît officiellement en février 1744. Le corps du Génie est réuni à celui de l’Artillerie le 8 décembre 1755 pour former le » corps royal de l’Artillerie et du Génie « . Mais dès le 5 mai 1758 Artillerie et Génie reprennent leur indépendance, le Génie s’appelant » corps royal des ingénieurs « .
La nouvelle entrée de l’École du génie à Angers réalisée en 1995 (Caserne Eblé).
L’ordonnance du roi du 31 décembre 1776 est considérée comme ayant véritablement fondé le Génie, en créant le » corps royal du Génie » et en conférant aux ingénieurs militaires le titre » d’officier audit corps royal « . Au-delà des désignations, l’essentiel est la réunion de l’arme du Génie (unités combattantes, pontonniers, artificiers) et du service du Génie (maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre des fortifications, casernements et autres infrastructures).
Dans un domaine différent, c’est comme s’il y avait fusion entre les officiers de marine et les ingénieurs du génie maritime… C’est aussi à ce moment-là que le Génie est doté d’un insigne officiel : » corcet d’armes » (cuirasse) et » pot-en-tête » (casque) sur velours noir avec liseré rouge. Le 21 mars 1793, pour faire face aux besoins des guerres de la Révolution, sont intégrés dans le Génie des officiers des autres armes, des ingénieurs géographes et des ingénieurs des Ponts et Chaussées.
Pour en revenir à » l’École de Mézières « , désormais à Metz, le 20 vendémiaire an XI (13 octobre 1802) sont réunies les Écoles de l’artillerie et du génie. En 1831 l’Artillerie cherche à imposer des enseignants indépendants de leur arme d’origine, d’où un partage des cours entre les deux armes, ce qui entraîne une baisse de la qualité des enseignants (tous les cours ne sont pas rédigés). Il y a » alternance » Génie/Artillerie à la tête de l’École et pour tous les postes importants (bibliothécaire, etc.). La réunion des écoles était souhaitée par l’Artillerie car l’École du génie était réputée, mais le Génie était réticent. L’enjeu était en fait non la seule réunion des écoles, mais la fusion des deux armes, rivales pour les rangs de sortie de l’École polytechnique de leurs futurs officiers.
Au milieu du XIXe siècle, le régime militaire de l’École de Metz est de plus en plus marqué. En 1870, en raison de la guerre avec l’Allemagne, l’École d’application de l’artillerie et du génie de Metz est fermée, puis est recréée à Fontainebleau en décembre 1871, bien que ce site ne soit guère favorable : pas de fortification, pas de polygone, pas de plan d’eau… En octobre 1912, l’École du génie, séparée de celle de l’artillerie, s’installe à Versailles, aux Mortemets (route de Saint-Cyr), s’appelant à partir de 1925 École militaire et d’application du génie. Dans les années trente de nombreux officiers et sous-officiers sont mutés de l’arme dans le service pour la construction de la ligne Maginot. Le Génie décline, l’ère des savants fait place à l’ère des ingénieurs.
En 1940, l’École du génie s’installe à Avignon. L’arme et le service sont séparés, seule la première comptant dans l’armée de l’armistice limitée à 100 000 hommes. En novembre 1942, l’École est fermée, après l’envahissement de la zone jusqu’alors non occupée.
L’École d’application du génie est créée en octobre 1945 à Angers, où elle dispose de plans d’eau et de polygones pour former les officiers de l’arme. Ceux du service sont instruits à Versailles où l’École supérieure technique du génie est créée en 1946 et prendra le nom d’École supérieure du génie militaire en 1974 ; elle délivre le titre d’ingénieur.
Dissoute en juillet 1995, en fait elle fusionne avec l’École d’application du génie pour former l’École supérieure et d’application du génie, communément appelée » École du génie « , comme en témoigne l’enseigne au-dessus du portail principal, pour faire plus court (et pour faire oublier l’association d’un adjectif et d’un génitif). Après la séparation de 1912, l’École d’artillerie reste quelque temps seule à Fontainebleau, puis va à Châlons-sur-Marne en 1953 et enfin est transférée à Draguignan en 1976.
Dans l’armée, tout ce qui est nouveau et technique naît au sein du Génie puis prend son essor :
- l’aérostation de 1874 à 1914, avant d’être rattachée à l’aéronautique militaire, (il y avait déjà eu des aérostiers militaires de 1794 à 1799 avec une école à Chalais-Meudon),
- les transmissions de 1878 à 1942 où elles deviennent une arme autonome (les transmissions garderont l’insigne du Génie décrit ci-dessus, si ce n’est qu’un liseré bleu remplace le liseré rouge),
- l’aviation de 1910 à 1912, avant d’être une arme autonome, » l’aéronautique militaire « , puis de devenir » l’armée de l’air » en 1928 (avec un ministère de l’Air),
- la topographie en 1793,
- les sapeurs-pompiers, dont l’origine remonte aux » sapeurs de la Garde impériale » de 1810, intégrés au Génie en 1965, régiment puis brigade des sapeurs-pompiers de Paris,
- et ceci en plus des destins individuels : comme les deux capitaines du Génie, Pierre Vernier 1580–1637 (l’inventeur de ce pied à coulisse très particulier pour mesurer les petites longueurs à l’œil nu avec une précision d’un dixième ou d’un vingtième de millimètre), Claude Chappe 1763–1805 (l’homme de la courte et belle histoire du télégraphe optique), etc.
Lorsqu’il y eut moins de polytechniciens dans l’armée, il y eut moins d’ingénieurs. Les besoins restant les mêmes, cela conduisit à augmenter le niveau scientifique des saint-cyriens, ceux de l’option sciences y recevant le titre d’ingénieur. Ainsi, après de nombreuses péripéties, perdure le souci de ne pas laisser diverger la technique et la tactique, et de donner à une partie des officiers une formation d’ingénieurs généralistes, comme à l’École de Mézières voici deux cent cinquante ans.
__________________________________
1. Cent cinquantième anniversaire. Ce terme de » sesquicentenaire » n’est rencontré nulle part ailleurs que dans l’histoire de l’École polytechnique et est absent des dictionnaires. Peut-être arrivé sous forme de plaisanterie, il n’en est pas moins » étymologiquement correct « , le préfixe » sesqui » correspondant au multiplicateur 1,5, comme dans le sesquioxyde de fer Fe2O3 qui comporte bien trois atomes d’oxygène pour deux atomes de fer. Toujours dans le vocabulaire polytechnicien (du moins jusqu’en 1975) » sesqui » signifie couloir dérobé car dans l’ancien bâtiment Foch un étage technique de faible hauteur était desservi par un tel passage et, avec le niveau inférieur, équivalait à un étage et demi, un » sesquiétage « .
2 Commentaires
Ajouter un commentaire
Colonel du Génie (er)
Economica,vient defaire paraître mon livre« Duportail(1seul mot)le Génie de George Washington ». S’il créa le Corps of Engineers, il le commanda et fut surtout conseiller écouté de stratégie pour Washington. Il meurten 1801 et non en 1802, et son oeuvre de réorganistion de l’armée sous la Constituante fut bien utile à Carnot comme à Bonaparte . Mon livre vous en dira plus .
LEBLANC Jean François LEBLANC JeanJacquesMarieAugustin
les anciens officiers du genie au XXVIIIéme siécle
grace aux registres de la légion d’Honneur je retrouve bien JJMAugustin LEBLANC (1798–1852)colonel du Génie, X 1817 (du reste sur le site de l’X n’est porté que l’acte de naissance,je tiens son acte de deces à disposition)
mais où trouver les annuaires comportant son pére ( mon arriére…arriére grand’pére)jean françois inscrit capitaine du Génie sur l’acte de naissance de son fils ‚au Quesnoy (nord)?
famille originaire du NORD ce jean françois fut-il un éléve à MEZIERES ?
Votre article est tres interessant,en permettant de suivre l’évolution de cette discipline au cours des siécles précédents
En vous remerciant par avance