André DEWAVRIN (32) (colonel Passy), 1911–1998
Au nom de l’Ordre de la Libération, dont il fut un illustre Compagnon, au nom de ses amis, je viens aujourd’hui rendre un dernier hommage à notre Compagnon André Dewavrin.
Pour nous, saluer nos morts, ce n’est pas seulement témoigner de fraternelle estime et d’affection, c’est affirmer qu’au travers des divergences inhérentes à la vie, au travers de l’oubli et du temps qui passe, une flamme est entretenue. C’est maintenir l’exigence qui nous a réunis sous l’autorité du général de Gaulle, celle de la liberté personnelle attachée à l’indépendance de la Nation. C’est transmettre le récit d’une existence, aujourd’hui celle de notre Compagnon André Dewavrin, les choix d’un homme et son emprise sur une parcelle de notre Histoire.
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André Dewavrin est né à Paris le 9 juin 1911 dans une famille d’industriels. Polytechnicien de la promotion 1932, il choisit l’arme du Génie à sa sortie de l’École. Il est également licencié en droit.
La guerre le trouve capitaine à l’École de Saint-Cyr, où il dirige le cours de fortification. Volontaire pour aller se battre, il participe à la campagne de Norvège sous les ordres du général Béthouard. De retour de Narvik, il apprend en débarquant à Brest, le 17 juin, que l’armistice va être signé, et il rembarque immédiatement pour l’Angleterre.
Affecté dans un camp britannique, ayant entendu parler du général de Gaulle, il se présente à Saint-Stephen’s House, à l’état-major des Forces françaises libres, vers la fin du mois de juin. Il est présenté au général de Gaulle, qui lui confie la direction des 2e et 3e bureaux. À 29 ans, sans argent et sans moyens, il organise ces services avec une équipe réduite.
Parti de rien, sans expérience, il réussit à organiser une formidable centrale de renseignements, sous le patronyme de Passy et avec l’aide d’un industriel, André Manuel. Ces services constituent une des aventures les plus réussies et les plus impressionnantes du général de Gaulle en terre britannique.
Il met sur pied un service de renseignements qui devait devenir le Bureau central de renseignements et d’action (le BCRA), puis, en 1943, la Direction générale des services secrets (la DGSS), qui regroupe toutes les activités de renseignements.
Grâce à l’impulsion qu’il donne à ces organismes, la France libre peut porter à son crédit l’acquisition d’une masse de renseignements militaires et civils sur la situation de l’ennemi en France. Et à la fin de la guerre, le BCRA a acquis une renommée égale à celle de l’Intelligence Service grâce à des méthodes originales et des résultats exceptionnels.
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Homme du Nord, froid et lucide, il rencontre à Londres en avril 1942 Pierre Brossolette, homme chaleureux, socialiste, très politique.
Ces deux hommes très dissemblables, de générations différentes, vont devenir des amis. Passy choisira de soutenir Brossolette qui s’oppose parfois à Max (Jean Moulin) entre autres sur la question de savoir s’il faut en appeler ou non aux anciens dirigeants des partis politiques de la IIIe République.
En mars, ils effectuent en zone occupée la mission Arquebuse Brumaire.
Durant six semaines, Passy et Brossolette vont faire en zone Nord un recensement systématique des moyens de la Résistance et de la France combattante.
Cette mission constitue probablement un fait unique dans les annales des services secrets. Malgré les recherches particulièrement acharnées de la Gestapo, à laquelle ils échapperont plusieurs fois de justesse, Passy ne cessa jamais son activité, apportant une contribution inappréciable à l’organisation tant civile que militaire de la Résistance.
Pierre Brossolette ne souhaitait pas que les anciens partis de la IIIe République soient représentés.
Jean Moulin était d’une opinion complètement opposée, mais cela n’empêchera pas Passy d’assister à la cérémonie au cours de laquelle, à Londres, le général de Gaulle remit à Jean Moulin la croix de la Libération. Seuls étaient présents le général Delestraint, Billotte, André Philip et Manuel.
Après les arrestations de Caluire à l’automne 1943, Passy, aidé par Bourgès-Maunoury, accentue la décentralisation de l’organisation militaire et met en place dans toute la France les délégués militaires de région (DMR), chargés de coordonner et de déclencher les plans d’appui du débarquement :
- le plan « vert » prévoyant la destruction d’un millier de ponts sur le réseau ferroviaire ;
- le plan « Tortue » sur les axes routiers de la zone Nord avec pose de mines enterrées destinées à ralentir les mouvements de l’ennemi ;
- le plan « violet » ayant pour objet la destruction des lignes téléphoniques souterraines, qui devait paralyser les liaisons des unités ennemies avec le grand quartier, et les obliger à utiliser les moyens radio, en n’ayant pas toujours le temps de chiffrer les messages.
Les services du colonel Passy comptaient au départ une soixantaine d’hommes. À la fin de la guerre, ils en compteront 350.
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Le BCRA a parfaitement rempli son rôle, qui était de servir de trait d’union entre Londres et la France occupée. Il a ainsi rapproché la Résistance de la France combattante. Il a grandement contribué à l’unification de la Résistance.
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Passy, éminence grise du général de Gaulle, et le BCRA, domaine réservé du général, ont déchaîné beaucoup de haines et suscité de nombreuses calomnies. Le colonel Passy eut ainsi à faire face à de nombreuses difficultés, et tout d’abord aux intrigues et aux machinations montées par les services britanniques. Il parvient tant bien que mal à garder les contacts avec le MI6. Il a besoin, en effet, de l’aide de ces services pour l’organisation des parachutages, des transmissions et du chiffre.
Il aura des relations très délicates avec le SOE du colonel Buckmaster, qui a créé en France une section purement britannique d’action subversive.
Il y a également des inimitiés inévitables en période de crise. C’est ainsi que ses rapports avec Emmanuel d’Astier de La Vigerie, qui fonda en 1943 son propre parti, laissaient parfois à désirer : Passy le soupçonnait de jouer le jeu des Britanniques.
Le BCRA tentera de prévoir la mise en place en France de nouvelles structures militaires, s’attirant selon Passy des « rancunes innombrables et tenaces » de contestataires qui lui reprochaient de freiner le passage de la Résistance à l’action armée.
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En février 1944, il quitte la DGSS et devient chef d’état-major du général Koenig, commandant en chef des Forces françaises en Angleterre et des Forces françaises de l’intérieur. Son travail sera à l’origine de la constitution de groupes intégrés aux Forces françaises de l’intérieur.
Parachuté le 5 août 1944 dans la région de Guingamp pour assister la résistance bretonne, le colonel Passy, à la tête de 2 500 FFI associés à des éléments américains, contribuera à la libération de Paimpol, où il y aura 2 000 prisonniers.
Il revient aux services secrets en septembre 1944 et est chargé par le général de Gaulle de diverses missions aux Amériques, aux Indes, en Chine et en Indochine. Il est alors colonel.
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Pour reconnaître tant de courage et de dévouement au service de la Patrie, le général de Gaulle décernera la croix de la Libération au colonel Passy par décret en date du 20 mai 1943. Le général de Gaulle écrivait à son propos dans ses Mémoires de Guerre, L’Appel : Sitôt désigné, il fut saisi pour sa tâche d’une sorte de passion torride qui devait le soutenir sur une route ténébreuse où il se trouverait mêlé à ce qu’il y eut de meilleur et à ce qu’il y eut de pire.
Pendant le drame quotidien que fut l’action en France… il tint la barque à flot contre le déferlement des angoisses, des intrigues, des déceptions.
Lui-même sut résister au dégoût et se garder de la vantardise qui sont les démons familiers de cette sorte d’activité.
C’est pourquoi, quelques changements qu’ait dû subir le Bureau central de renseignements et d’action à mesure des expériences, je maintins Passy en place à travers vents et marées.
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Le colonel Passy avait été élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur. Il était Compagnon de la Libération, titulaire de la croix de guerre 39–45 avec 4 citations, de la médaille de la Résistance, du Distinguished Service Order, de la Military Cross, et de la croix de guerre norvégienne.
Après la Libération, le colonel Passy est nommé à la Direction générale des études et recherches (DGER).
Il transforme cet organisme en SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), rattaché à la présidence du Conseil, jetant ainsi les bases de nos services secrets actuels.
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Le général de Gaulle démissionne le 20 janvier 1946. Quelques semaines plus tard, Passy démissionne à son tour pour rejoindre l’industrie privée.
Il exerce ainsi des responsabilités à la tête de plusieurs sociétés jusqu’à la fin des années 1970.
Il a écrit une série d’ouvrages, dont quatre tomes successifs sur ses missions secrètes1.
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Me tournant vers la famille au nom de ses camarades de combat et de ses amis, au nom de tous ceux qui sont ici présents par le cœur et la pensée, je lui adresse les condoléances les plus attristées de l’Ordre des Compagnons de la Libération.
Puissent ces témoignages d’amitié et d’affection lui être de quelque réconfort dans son grand malheur.
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1. Colonel Passy. Souvenirs. Tome I : 2e Bureau à Londres. Tome II : Duke Street (Éditions Solar, Monaco, 1947–1948). Tome III : Missions secrètes en France (Éditions Plon, 1951). L’auteur a renoncé à publier le tome IV.