André Gempp (39), 1920–2005
André GEMPP, promotion 1939, nous a quittés le 14 août dernier ; il venait d’avoir 85 ans. Nous étions nombreux, du Génie maritime, officiers ou ingénieurs sous-mariniers, à Solliès-Toucas, près de Toulon pour assister à ses obsèques et aux honneurs militaires qui lui ont été rendus.
Entré à l’X à 19 ans, il choisit à la sortie le corps du Génie maritime. Après l’école d’application, il est affecté à Toulon où, très vite, on le charge de l’entretien des sous-marins, flotte hétéroclite d’origine française et allemande, avec une documentation et des rechanges à un très faible niveau.
Vers la fin de son séjour, il a la charge de la mise au point du premier bathyscaphe. En effet, si la validité du concept imaginé par le professeur Piccard avait été démontrée, l’engin qu’il avait conçu s’était révélé incapable d’une exploitation normale.
André Gempp enveloppe la sphère dans une structure remorquable en mer et transforme le sas d’accès en un véritable ballast de sous-marin. Il en résulte des relations difficiles avec le professeur qui quitte le projet pour ceux des Trieste, italien puis américain, qui reprennent les solutions imaginées à Toulon, validées par la plongée record à plus de 4 000 mètres au large de Dakar avec Houot et Willm (45) à bord, en février 1954.
À cette date, André Gempp avait quitté la métropole pour Saïgon où la Direction des constructions navales assurait l’entretien opérationnel de la flotte engagée en Extrême-Orient, mais il ne sera pas oublié dans l’attribution des récompenses qui suivront ce record, aujourd’hui trop oublié.
Après Saïgon et un bref séjour toulonnais, de février 1954 à mars 1956, il est désigné pour prendre le poste de chef de la section sous-marins du Service technique des constructions et armes navales à Paris, car, du fait de nombreux départs, il se trouve être le plus ancien des ingénieurs du Génie maritime sous-mariniers.
La charge de cette section aux effectifs réduits était lourde avec l’achèvement des Narval, la construction des Aréthuse et des Daphné, le suivi de la flotte en service et, à la fin des années 1950, le projet de sous-marin à propulsion nucléaire à uranium naturel qui échoue pour des raisons techniques. Mais on avait pu constater, à cette occasion, que l’organisation de liaison « Marine CEA » n’était pas satisfaisante et ne laissait pas assez d’initiatives au chef de la section sous-marins du STCAN.
Aussi, lorsque le général de Gaulle a décidé de doter notre force de dissuasion d’une composante navale sous-marine, une organisation, Cœlacanthe, a été mise en place, donnant à deux ingénieurs des fonctions très importantes : un maître d’œuvre principal chargé, entre autres, de la cohérence technique et calendaire de l’ensemble du projet, le MOP, et le maître d’œuvre constructions navales, architecte du navire, chargé du projet d’un sous-marin, innovant dans presque toutes ses performances, intégrant un système d’armes en cours de développement et devant être conduit avec un grand nombre de coopérants, de la DCAN, de la Marine, des services étatiques et de l’industrie privée !
Bensussan (27) a été le premier MOP, André Gempp, le premier architecte du navire. On lui doit, en particulier, l’initiative particulièrement féconde, d’avoir fait construire un sous-marin expérimental, Le Gymnote, qui servira à la mise au point des systèmes stratégiques, du M1 pour Le Redoutable jusqu’au M4 inclus, sans pénaliser le programme de mise au point des SNLE.
La réussite d’André Gempp dans ce rôle d’architecte sera reconnue puisque, devenu ingénieur général, il sera désigné pour prendre la suite de Bensussan comme MOP, à l’été 1966. Il étend alors son action vers les autres composantes du programme, dont l’environnement à terre : base de l’île Longue, pyrotechnies, station VLF de Rosnay, centres d’entraînement… Tous ceux qui ont travaillé à ses côtés, ingénieurs civils et militaires, officiers de marine évoquent toujours son action avec admiration, avec émotion.
Il occupe ce poste jusqu’à fin janvier 1972, date importante du programme puisque Le Redoutable appareille pour sa première patrouille opérationnelle tout début février. À la réunion du Conseil des ministres qui décide de sa nouvelle affectation, la direction de la DCAN de Toulon, le 19 janvier 1972, le ministre d’État chargé de la Défense nationale, Michel Debré, rend hommage à André Gempp » pour son action remarquable (…) qui avait trouvé son aboutissement dans la mise en service du premier sous-marin lanceur d’engins, Le Redoutable « . Déjà, en 1967, à l’occasion de la promotion spéciale suivant le lancement du Redoutable, il avait été promu officier de la Légion d’honneur.
Il restera à la tête de la DCAN de Toulon jusqu’à fin septembre 1979. C’était alors la plus » grosse » direction locale des constructions navales, avec plus de 8 000 emplois : entretien de la flotte, dont les porte-avions, entretien d’avions à Cuers, pyrotechnies, centres d’études et expérimentations pour les systèmes d’armes, les sous-marins… Avec compétence, avec autorité, avec l’entière confiance du directeur central, il dirige ce grand ensemble industriel dans le souci permanent du plein-emploi et de la productivité.
Il n’avait pas atteint la limite d’âge de son grade lorsqu’il décide de partir en deuxième section et de mettre ainsi un terme à sa carrière, entièrement au service des constructions navales militaires. Il était commandeur de la Légion d’honneur, allait devenir grand officier de l’ordre national du Mérite, commandeur du Mérite maritime et titulaire d’autres décorations.
Il aura été un ingénieur du génie maritime au sens plein du terme, alliant compétences techniques et scientifiques, sens de l’organisation, aptitude à la gestion de programmes complexes, un exemple pour beaucoup. Son autorité ferme sous une apparence bourrue, ses avis donnés de sa voix grave restent dans les mémoires.
Il s’est retiré à Solliès-Toucas, dans son mas au milieu de ses oliviers ; ses problèmes de santé s’étaient aggravés ces dernières années. Il vivait assez mal certaines évolutions de la société française. Tout récemment, il s’était indigné (il n’était pas le seul) de la façon dont la presse locale commentait le procès à Marseille, dit de la DCN de Toulon. Lui qui l’avait dirigée plus de sept ans connaissait l’intégrité des ingénieurs, leur souci d’accomplir leur mission, au détriment le cas échéant du strict respect de règles administratives de moins en moins adaptées à la conduite de tâches industrielles à incidences opérationnelles.
Peu après sa première affectation à Toulon, en 1946, il a épousé Pierrette. Elle est une petite-fille de l’amiral Daveluy qui est devenu célèbre, il y a une centaine d’années, par ses prises de position souvent prophétiques, pour les sous-marins en particulier. Ils ont eu sept enfants ; deux d’entre eux sont disparus dont l’un au printemps dernier. André Gempp m’avait annoncé en 1996 le début de la troisième génération…