Anne Delaigue, cheffe du service psychologie de l'école polytechnique

Anne Delaigue, 44 ans au service de psychologie de l’École polytechnique

Dossier : TrajectoiresMagazine N°766 Juin 2021
Par Alix VERDET

Anne Delaigue est une psy­cho­logue cli­ni­cienne à la car­rière et au témoi­gnage excep­tion­nels puisque son seul et unique poste a été celui de psy­cho­logue puis de cheffe du ser­vice de psy­cho­lo­gie de l’École poly­tech­nique. Une expé­rience unique qui révèle com­bien l’École a été très tôt pré­cur­seur dans sa prise en compte de la san­té men­tale des élèves.

Quel est votre parcours et comment êtes-vous arrivée à l’École polytechnique ?

Anne Delaigue : Je suis diplô­mée de l’École de psy­cho­logues pra­ti­ciens (Psy­cho-prat”), for­ma­tion cli­nique en cinq ans, où l’on est, entre autres, for­mé aux tests dits pro­jec­tifs dont le test de Ror­schach que tous les élèves poly­tech­ni­ciens pas­saient à leur arri­vée à l’École depuis l’origine du ser­vice, pen­dant la semaine d’incorporation. Ma mère, elle-même pro­fes­seur de psy­cho­lo­gie, est deve­nue veuve à 38 ans et a déci­dé de pas­ser sa thèse à la Sor­bonne. Début juillet 1975, elle y a vu une offre d’emploi pos­tée par l’École poly­tech­nique indi­quant que l’École cher­chait des cor­rec­teurs pour les tests de Ror­schach des élèves, annonce qu’elle m’a aus­si­tôt transmise.

À l’École de psy­cho­logues pra­ti­ciens, on com­mence à étu­dier les tests pro­jec­tifs en troi­sième année et on pour­suit cette for­ma­tion éga­le­ment pen­dant la qua­trième année et la cin­quième année. Cela signi­fie que, lorsqu’ils sortent de cette école, les étu­diants ont une connais­sance appro­fon­die de ces tests, qui sont des outils pré­cieux et dif­fi­ciles à cor­ri­ger. C’était le colo­nel Jean-Jacques Sega­len, méde­cin-psy­cho­logue, qui était à l’époque chef du ser­vice de psy­cho­lo­gie. Nous étions cinq psy­cho­logues recru­tés pen­dant un mois pour cor­ri­ger ces tests de manière appro­fon­die, afin de déce­ler notam­ment les 10 % d’élèves à risque qu’il fal­lait pro­té­ger au moment du choix de leur affec­ta­tion pour leur année militaire.


Le test de Rorschach 

Le psy­chiatre suisse Her­mann Ror­schach a éla­bo­ré ce test en sou­met­tant des cen­taines de planches à une popu­la­tion de sujets nor­maux et patho­lo­giques. Il en a sélec­tion­né défi­ni­ti­ve­ment dix par­ti­cu­liè­re­ment repré­sen­ta­tives. Elles consti­tuent le maté­riel du test, que l’on pré­sente au sujet. La pre­mière planche est en noir et blanc, puis la pré­sence du noir et de rouge amène à l’inconscient cer­tains chocs, per­met à cer­tains conte­nus latents de s’exprimer, court-cir­cuite les méca­nismes de défense habi­tuels. Les trois der­nières planches sont pas­tel. Le choix des cou­leurs cor­res­pond donc à une dyna­mique pré­cise. Chaque planche pré­sente un sym­bo­lisme par­ti­cu­lier (planche de la mère, du père, de la sexua­li­té etc.). Ces tests donnent une grande quan­ti­té d’informations : orga­ni­sa­tion intel­lec­tuelle, orga­ni­sa­tion défen­sive, qua­li­té des défenses, angoisses… Si l’on pré­sente au sujet un maté­riel flou, la pro­jec­tion de l’inconscient au conscient peut se faire natu­rel­le­ment et librement. 

« Nous avons eu l’idée, afin de pou­voir les faire pas­ser col­lec­ti­ve­ment, de faire faire des dia­po­si­tives et des cahiers impri­més avec ces dix planches, en res­pec­tant stric­te­ment les cou­leurs, afin que chaque élève puisse écrire direc­te­ment ses réponses. Ces pas­sa­tions en groupe (inédites et non pré­vues par H. Ror­schach) ont été étu­diées et recon­nues comme per­ti­nentes et ont été pour­sui­vies pen­dant plus de cin­quante ans. » Anne Delaigue


Que s’est-il passé après cette première expérience à Polytechnique ?

Anne Delaigue : Après cet été de tra­vail pour le ser­vice de psy­cho­lo­gie, j’ai été choi­sie par­mi les cinq cor­rec­teurs pour être psy­cho­logue cli­ni­cienne dans les nou­veaux locaux de l’École poly­tech­nique tout juste ins­tal­lée à Palai­seau. C’était la pre­mière fois qu’une femme civile inté­grait le ser­vice. Mon poste était par­fois mena­cé de sup­pres­sion car son uti­li­té était régu­liè­re­ment mise en doute.

Les chiffres de fré­quen­ta­tion du ser­vice par les élèves avaient pour­tant aug­men­té lors de leur ins­tal­la­tion dans les nou­veaux caserts de l’École, c’est-à-dire à par­tir du moment où les élèves ont ces­sé de vivre en col­lec­ti­vi­té et se sont retrou­vés tout seuls dans leur chambre, sur le pla­teau de Palai­seau tota­le­ment désert, ce qui chan­geait du Quar­tier latin plein de vie et de lieux de socia­bi­li­té. Les archi­tectes de l’École avaient bâti des bâti­ments cir­cu­laires, ce qui fait que les élèves ne voyaient per­sonne dans les couloirs.

À l’époque, il n’y avait pas encore de bars d’étage et la soli­tude pou­vait être extrême. J’ai donc œuvré pour gar­der les trois postes de psy­cho­logues à plein temps et ai réus­si à en créer un qua­trième, en me bat­tant pen­dant quinze ans, et plus récem­ment un cin­quième à l’arrivée des bache­lors et enfin un poste pour les doc­to­rants IP Paris.

Quel est l’historique du service de psychologie de l’École polytechnique ?

Anne Delaigue : Il com­mence pen­dant la Deuxième Guerre mon­diale avec la pré­sence de l’armée amé­ri­caine pour qui déjà des psy­cho­logues s’occupaient des élèves offi­ciers. Il y a eu un dia­logue fruc­tueux entre Fran­çais et Amé­ri­cains à pro­pos des élèves de l’X qui étaient aus­si des élèves offi­ciers. L’École s’était ren­du compte que les élèves de l’X n’avaient pas – et c’est encore vrai aujourd’hui – de moti­va­tion très claire pour pas­ser les concours et n’arrivaient pas faci­le­ment à faire des choix sco­laires ou professionnels.

En 1946, per­sonne ne consi­dé­rait qu’il était impor­tant de s’occuper de la san­té men­tale des étu­diants et encore moins de ceux des grandes écoles. Com­ment admettre qu’un élève brillant puisse aller mal et que ce n’était pas une pro­tec­tion d’avoir réus­si le concours de Poly­tech­nique ? L’atout de l’École poly­tech­nique est l’année mili­taire, qui dure neuf mois aujourd’hui. Mais la semaine d’incorporation pou­vait être trau­ma­tique pour cer­tains qui démis­sion­naient quand ils décou­vraient le sta­tut mili­taire de l’École. Le ser­vice de psy­cho­lo­gie a donc eu la mis­sion d’évaluer la fra­gi­li­té de cer­tains élèves pour évi­ter les affec­ta­tions ris­quées et les démissions.

Comment se fait-il que ce mythe de l’élève brillant sans problème perdure ?

Anne Delaigue : Les mythes sont très dif­fi­ciles à débou­lon­ner. Les poly­tech­ni­ciens sont sou­vent à la tête de grosses entre­prises, et admettre que ce sont des gens comme les autres, avec leurs fra­gi­li­tés, leurs doutes et par­fois leurs incom­pé­tences humaines, fait peur à beau­coup. Dans la men­ta­li­té fran­çaise, un enfant qui tra­vaille bien est un enfant qui va bien. Aux États-Unis, les psy­cho­logues consi­dèrent plu­tôt que ce sont les pre­miers de classe qui vont mal. Plu­sieurs élèves m’ont dit qu’ils auraient pré­fé­ré ne pas avoir si bien réus­si sco­lai­re­ment, pour qu’on s’occupe d’eux. Ça fait beau­coup souf­frir d’être « l’enfant sage » de la famille.

Pavillon Broca, service de psychologie de l’École polytechnique.
Pavillon Bro­ca, ser­vice de psy­cho­lo­gie de l’École polytechnique.

Comment se passaient les tests ?

Anne Delaigue : En 1976, on fai­sait venir les élèves par sec­tion dans l’amphi Poin­ca­ré et on leur expli­quait qu’ils allaient pas­ser un dos­sier de tests pour lequel on leur deman­dait d’être le plus hon­nête pos­sible. Nous leur garan­tis­sions la confi­den­tia­li­té de ces résul­tats : seuls les psy­cho­logues et le méde­cin-chef avaient accès aux comptes ren­dus. Les élèves détec­tés à risque étaient affec­tés dans des ser­vices admi­nis­tra­tifs et non dans un avion ou sur un champ de tir. Nous fai­sions donc de la prévention.

Les archives de psy­cho­lo­gie de l’École poly­tech­nique sont le seul lieu de l’École dont les pom­piers n’ont pas la clé, qui est déte­nue uni­que­ment par la cheffe du ser­vice de psy­cho­lo­gie. Elles contiennent tous les dos­siers des poly­tech­ni­ciens des pro­mo­tions 1946 à 1997, sauf celui de quelque pré­sident de la Répu­blique qu’un de mes pré­dé­ces­seurs a cru intel­li­gent de brû­ler. À leur retour un an plus tard, les élèves étaient en droit de venir cher­cher leurs résul­tats de tests.

“L’École polytechnique a été totalement précurseur dans ce domaine.

L’École poly­tech­nique a été tota­le­ment pré­cur­seur dans ce domaine. Alors que pen­dant long­temps la psy­cho­lo­gie était réser­vée « aux malades », nous étions les seuls à faire pas­ser des tests qui s’occupaient de la per­son­na­li­té des élèves, et pas uni­que­ment de leurs capa­ci­tés intel­lec­tuelles. Nous fai­sions pas­ser cinq tests, deux tests d’intelligence, un ques­tion­naire médi­co-bio­gra­phique assez com­plet et deux tests de per­son­na­li­té, le test de Ror­schach et le test du por­trait. Il s’agit de deux pages vierges sur les­quelles les élèves devaient écrire leur « por­trait fait par votre meilleur ami » et au ver­so leur « por­trait fait par un cri­tique sévère ».

Les tests d’intelligence étaient le BV16 (Binet ver­bal n°16), un test qui nous per­met­tait de com­pa­rer leur niveau ver­bal à leur niveau logi­co-mathé­ma­tique, tes­té par le BLS4. Avec ce dos­sier de tests, les élèves avaient un pré­texte tout trou­vé pour venir au ser­vice de psy­cho­lo­gie. C’est vrai­ment le plus de l’École polytechnique.

Pourquoi ces tests se sont arrêtés en 1997 et par quoi ont-ils été remplacés ?

Anne Delaigue : C’est au moment de l’arrivée mas­sive d’élèves inter­na­tio­naux non fran­co­phones qui ne pou­vaient pas s’exprimer en fran­çais pour répondre aux tests. Comme je tenais à ce contact avec les élèves au moment de la semaine d’incorporation, nous avons choi­si de les ren­con­trer par groupes de dix pen­dant une heure lors de laquelle on leur explique ce qu’est un ser­vice de psy­cho­lo­gie, mais aus­si où on les fait par­ler de leur pré­pa ou fac d’origine, et par­fois des drames qui s’y sont pas­sés, car à ce stade de leur cur­sus on n’a pas le temps de trai­ter les évé­ne­ments graves.

« L’arrivée à l’X, juste après la réussite au concours, est un moment où ils posent beaucoup de questions. »

L’arrivée à l’X, juste après la réus­site au concours, est un moment où ils posent beau­coup de ques­tions. Une fois, j’ai lais­sé échap­per la phrase sui­vante : « Vous n’avez pas besoin d’attendre d’avoir des idées noires pour venir nous voir ; en revanche, si vous en avez, je com­pren­drais que vous veniez vite. » À peine étais-je ren­trée dans mon bureau que je rece­vais un coup de télé­phone d’un élève qui m’avouait avoir le désir pres­sant de mettre fin à ses jours, après un stage mili­taire dif­fi­cile et des idées mor­bides enra­ci­nées depuis l’adolescence. Il ne par­lait à per­sonne, vivait une situa­tion fami­liale com­pli­quée, fai­sait sem­blant d’exister, ce qui est beau­coup le cas des « enfants sages » qui sont priés d’aller et de tra­vailler bien. Cet élève m’a dit que ce jour-là je lui avais sau­vé la vie.

Il est impor­tant de pré­ci­ser que les consul­ta­tions de psy­cho­lo­gie n’ont jamais été obli­ga­toires, qu’elles ont tou­jours été à l’initiative des élèves et qu’il était très facile de nous joindre. Ils pou­vaient nous lais­ser un mes­sage en direct sur nos répon­deurs sans pas­ser par un secré­ta­riat, puis un cour­riel à l’arrivée d’internet. Ce contact direct a été un atout majeur pour notre fonc­tion­ne­ment et a per­mis une sécu­ri­té abso­lue en termes de confidentialité.

Anne Delaigue, cheffe du service psychologie de l'école polytechnique et Florence Robin, médecin-chef militaire.
Anne Delaigue et Flo­rence Robin, méde­cin-chef militaire.

Existe-t-il un homo polytechnicus ?

Anne Delaigue : C’est une ques­tion qui est dans l’imaginaire de tout le monde et la réponse est non. Mais il existe cer­tains points com­muns aux étu­diants des grandes écoles en géné­ral dans les méca­nismes de défense : l’intellectualisation qui les pro­tège et qui les isole éven­tuel­le­ment de leur vie affec­tive. On voit par­fois un déca­lage net entre la matu­ri­té affec­tive et intel­lec­tuelle des bons élèves.

Un jour un poly­tech­ni­cien très brillant, qui déto­nait dans sa famille où son père et ses frères étaient maçons, est venu me voir sans savoir ce qui l’y pous­sait. Après l’avoir écou­té, je lui ai dit qu’il était sans doute venu pour me par­ler de lui et de sa per­son­na­li­té. Ce à quoi il a répon­du ces paroles ter­ribles : « Ah non ! De per­son­na­li­té je n’en ai pas, je n’ai que des masques et der­rière il n’y a que du vide. » Je dirais que ce qui est dou­lou­reux chez les élèves de Poly­tech­nique et des grandes écoles, c’est qu’ils ont appris à fonc­tion­ner en masque, à faire comme si tout allait bien, comme des per­son­na­li­tés as if disent les Anglais, donc à ne jamais faire de vagues.

Que pouvez-vous nous dire de l’épisode dramatique qui a vu deux élèves en 2016 se donner la mort ?
C’est un événement hautement traumatique qui a laissé des traces chez les alumni.

Anne Delaigue : À cette époque, même si ce n’est pas la rai­son pour laquelle ces élèves ont mis fin à leurs jours, je m’inquiétais de la trop longue liste d’attente pour accé­der au ser­vice de psy­cho­lo­gie. Les demandes aug­men­taient comme la taille des pro­mo­tions et un soir on m’apprend le sui­cide de Coline. C’était la pre­mière fois qu’une fille poly­tech­ni­cienne met­tait fin à ses jours. Elle n’était pas sui­vie par nous mais, avec le recul je pour­rais dire, avec toute la nuance qui s’impose, que c’était sans doute une élève qui fonc­tion­nait en masque, à qui, en appa­rence, tout réus­sis­sait, qui fai­sait sans doute sem­blant d’aller bien alors qu’elle n’allait pas bien du tout.

Nous avons pro­po­sé des groupes de parole aux élèves qui le sou­hai­taient mais, une semaine après exac­te­ment, Maxence, un élève fra­gi­li­sé per­son­nel­le­ment et en dif­fi­cul­té sco­laire, a pris le même che­min. C’était extrê­me­ment trau­ma­tique pour toute l’École. Nous avons pris des mesures dras­tiques et, avec l’aide de l’Hôpital d’instruction des armées Per­cy, nous avons convo­qué toutes les sec­tions et orga­ni­sé des entre­tiens en groupe obli­ga­toires, afin d’éviter plus de conta­gion, et elle s’est heu­reu­se­ment arrê­tée. Les élèves que nous avons tous ren­con­trés ain­si que le per­son­nel soi­gnant étaient extrê­me­ment cho­qués et attris­tés par la mort de leurs cama­rades qui avaient toute leur vie devant eux. Le chef de corps, le colo­nel Tour­neur, a été remar­quable et a appor­té tout son sou­tien au ser­vice de psy­cho­lo­gie. C’est un épi­sode que nous n’oublierons jamais.

Pour continuer sur ce sujet si difficile, est-ce que les polytechniciens sont davantage sujets au suicide des jeunes ?

Anne Delaigue : Sta­tis­ti­que­ment ils le sont moins que la moyenne natio­nale car il y a jus­te­ment plus d’accompagnement et de sou­tien. Actuel­le­ment avec la crise sani­taire, l’ARS estime à 45 % le pour­cen­tage des étu­diants qui vont très mal. J’ai par­ti­ci­pé il y a quelque temps à un col­loque sur la souf­france des étu­diants des grandes écoles avec le réseau Resp­pet (Réseau de soins psy­chia­triques et psy­cho­lo­giques pour les étu­diants) et je suis inter­ve­nue sur le syn­drome de l’imposteur.

C’est para­doxa­le­ment à Poly­tech­nique que ce syn­drome se déve­loppe car il y est plus dif­fi­cile de deman­der une expli­ca­tion quand on n’a pas com­pris. Et, quand les élèves arrivent en stage de 2A, il est très fré­quent qu’on attende d’eux qu’ils trouvent des solu­tions à tout puisqu’ils sont poly­tech­ni­ciens. Il existe une injonc­tion très forte qui repose sur leurs épaules de choi­sir sans cesse la voie royale. Puisqu’ils sont entrés à Poly­tech­nique, ils vont for­cé­ment tout réus­sir. En réa­li­té rares sont ceux qui ont une voca­tion en arri­vant à l’École.

Un des élèves qui venait me consul­ter a inven­té le binet Aty­piX pour jus­te­ment créer un lieu où l’on puisse sor­tir de cette injonc­tion. Être un enfant « char­gé de mis­sion » comme les appe­lait Fran­çoise Dol­to, char­gé de la mis­sion de réus­sir, d’être la fier­té de la famille, ne donne pas la pos­si­bi­li­té de se plaindre, ni de cher­cher sa propre trace. Il y a là une injonc­tion para­doxale qui fabrique de l’angoisse.

Avez-vous gardé contact avec des anciens élèves ?

Anne Delaigue : Vingt ans après mon arri­vée à Poly­tech­nique, j’ai ouvert une consul­ta­tion le soir, uni­que­ment des­ti­née aux élèves qui avaient enga­gé un tra­vail de thé­ra­pie avec moi et qui refu­saient d’être orien­tés vers d’autres col­lègues. À leur arri­vée, nous signa­lons aux élèves qu’ils sont ayants droit toute leur vie du ser­vice de psy­cho­lo­gie qui pro­pose de les orien­ter vers des adresses sérieuses, dans toute la France.

J’ai eu aus­si le plai­sir d’avoir des nou­velles d’anciens élèves qui m’appelaient par­fois vingt ans plus tard pour me deman­der les résul­tats de leurs tests ou reve­naient faire un point sur eux-mêmes. J’ai même eu, il y a une dizaine d’années, un élève de la pro­mo­tion 48 qui m’a deman­dé à voir son dos­sier de tests !

“C’est extraordinaire pour les anciens de pouvoir relire leurs résultats de tests
des années plus tard.

C’est extra­or­di­naire pour eux de pou­voir relire leurs résul­tats des années plus tard et de voir quelles étaient leurs aspi­ra­tions de l’époque, com­ment ils se décri­vaient et ce qu’ils sont devenus.

Anne Delaigue lors de la cérémonie des médaille d'honneur du ministère des armées le 12 janvier 2018
Anne Delaigue lors de la céré­mo­nie des médaille d’hon­neur du minis­tère des armées le 12 jan­vier 2018.

Après 44 ans passés à l’École polytechnique, que vous reste-t-il de cette expérience singulière ?

Anne Delaigue : Le plai­sir de mon­ter, d’étoffer et de sécu­ri­ser un vrai ser­vice de psy­cho­lo­gie qui est une véri­table vitrine pour le monde étu­diant. Grâce au ser­vice de psy­cho­lo­gie de l’X, les grandes écoles (HEC en 1956), puis à par­tir de 1988 toutes les uni­ver­si­tés fran­çaises, ont déci­dé elles aus­si de pro­po­ser des consul­ta­tions à leurs étu­diants. Mais nous sommes les seuls à avoir de vrais postes à temps plein.

Le plai­sir d’être celle qui va témoi­gner de l’importance de prendre soin de la san­té men­tale des élèves des grandes écoles. Le plai­sir de tra­vailler avec une popu­la­tion jeune, qui vous pousse à vous renou­ve­ler tout le temps. C’est très sti­mu­lant intel­lec­tuel­le­ment et j’ai eu chaque année des élèves qui m’ont dit : « Mer­ci, Madame, vous m’avez sau­vé la vie. »

Colo­nel Ber­nard Tour­neur, chef de corps, et Anne Delaigue.

Que voudriez-vous dire à toutes ces générations de polytechniciens que vous avez rencontrées ?

Anne Delaigue : D’abord je vou­drais les remer­cier, leur dire qu’ils conti­nuent à être très pré­sents à mon esprit et qu’ils m’ont tous appor­té quelque chose. Ça a été une joie de ren­con­trer des poly­tech­ni­ciens de tous les milieux, puis du monde entier, d’accompagner des jeunes filles qui venaient de pays où elles n’avaient pas les mêmes liber­tés qu’en France, etc. J’ai énor­mé­ment appris à leur contact, j’ai enten­du des his­toires de vie extra­or­di­naires et ils sont tou­jours aus­si impor­tants pour moi.


Pour joindre Anne (Saboureault)-Delaigue : delaigue.anne@gmail.com

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