Anthony Guillen

Anthony Guillen (X16), grimper vers les sommets !

Dossier : TrajectoiresMagazine N°803 Mars 2025
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

En 2021, alors qu’il com­mence un doc­to­rat consa­cré à des pro­blé­ma­tiques phé­no­mé­no­lo­giques liées à la théo­rie des cordes, Antho­ny Guillen découvre que de nom­breux jeunes cher­cheurs de son labo­ra­toire sont séduits par des cordes bien moins théo­riques : celles qui servent à la pra­tique de l’escalade. Cette décou­verte marque le début d’une pas­sion pro­fonde qui le condui­ra, en 2024, à rem­por­ter le cham­pion­nat de France dans cette dis­ci­pline et qui lui ouvri­ra de grands espoirs de par­ti­ci­pa­tion aux Jeux de Los Angeles en 2028. Dans la caté­go­rie para­lym­pique, car Antho­ny, atteint d’agénésie, est né sans main droite.

Durant son ado­les­cence, qu’il passe dans dif­fé­rentes petites villes de région pari­sienne au gré des évo­lu­tions de sa famille, Antho­ny Guillen, qui se défi­nit à l’époque comme un « geek stéréo­typique », se met à regar­der des vidéos de vul­ga­ri­sa­tion scien­ti­fique pos­tées sur You­Tube, celles des comptes Sci­Show et Veri­ta­sium par exemple. De là naît un goût pro­non­cé pour la phy­sique, goût qui le conduit, en 2014, en classes pré­pa­ra­toires au lycée Louis-le-Grand.

Bien sûr, l’École poly­tech­nique inté­resse le jeune étu­diant, mais son han­di­cap lui per­met-il d’être can­di­dat ? La mère d’Anthony se ren­seigne dis­crè­te­ment auprès de l’École, qui lui répond par la néga­tive, mais elle n’en dit rien à son fils. Et elle fait bien car, par arrê­té du 27 mai 2014 pris sous l’impulsion du direc­teur géné­ral de l’époque, Yves Demay (X77), le minis­tère de la Défense a assou­pli les condi­tions phy­siques exi­gibles pour l’admission des élèves.

Antho­ny pré­sente le concours sans trop savoir s’il entre dans ces nou­veaux cri­tères, il le réus­sit et la com­mis­sion médi­cale accepte son inté­gra­tion, avec trois res­tric­tions : pen­dant la for­ma­tion mili­taire, il ne pour­ra ni faire le par­cours du com­bat­tant, ni tirer au Famas, et – iro­nie du sort – à l’X il ne pour­ra pas s’inscrire en sec­tion esca­lade. Fina­le­ment, il par­vien­dra à lever les deux pre­mières de ces trois interdictions.

Le défilé, c’est du sport !

Il n’était pour­tant pas par­ti­cu­liè­re­ment spor­tif : à l’époque, sa prin­ci­pale expé­rience dans ce domaine demeu­rait la pra­tique du ten­nis – tou­te­fois, pen­dant une com­pé­ti­tion en double avec son beau-père, le stress l’avait para­ly­sé, au point qu’il en trem­blait encore des mois plus tard.

Mais à La Cour­tine sa volon­té l’emporte ; il se rend compte qu’il est tout à fait pos­sible de fran­chir avec un bras et demi la redou­table épreuve de la plan­chette irlan­daise et il finit par triom­pher de tous les obs­tacles. De même, consta­tant qu’il n’avait aucune dif­fi­cul­té à mani­pu­ler le Famas, on l’autorisera fina­le­ment à s’exercer au tir, pour que sa for­ma­tion mili­taire soit complète.

Et puis, tant qu’à être poly­tech­ni­cien, autant défi­ler sur les Champs-Ély­sées le 14 Juillet ! Antho­ny y serait-il auto­ri­sé ? N’ayant peur de rien, il pose direc­te­ment la ques­tion à l’ingénieur géné­ral Demay, qui donne son accord à condi­tion qu’il puisse tenir l’épée du côté droit, comme tout le monde. Soit. Antho­ny tente de réa­li­ser une pro­thèse spé­ci­fique, en uti­li­sant les impri­mantes 3D du FabLab de l’École, mais ses essais sont peu concluants. Il ren­contre alors Romain Lab­bé, un jeune thé­sard au labo­ra­toire d’hydrodynamique de l’X (le LadHyX), qui, en l’espace de deux après-midis, l’aide à conce­voir un modèle fonc­tion­nel, qui sera agréé par les auto­ri­tés militaires.

Ce suc­cès sus­ci­te­ra – et ce fut heu­reu­se­ment la seule occur­rence de ce genre de choses durant la sco­la­ri­té de notre cama­rade – de rares jalou­sies d’élèves valides écar­tés du défi­lé en rai­son du surnombre.

La physique, c’est aussi une compétition

À l’X, Antho­ny Guillen conti­nue de s’intéresser à la phy­sique ; avec son équipe, il rem­porte le Tour­noi fran­çais des phy­si­ciens (FPT) et se qua­li­fie ain­si pour le tour­noi inter­na­tio­nal (IPT), à Mos­cou, où il doit ten­ter de répondre à des ques­tions aus­si inat­ten­dues que l’étude de l’origine du bruit stri­dent que fait un bou­lon quand on le fait tour­ner dans un bal­lon de bau­druche. Son pre­mier stage l’emmène au Gabon, où il étu­die l’état des routes à Libre­ville ; le second au labo­ra­toire Leprince-Rin­guet, où il s’intéresse aux détec­teurs de neu­tri­nos. Un mas­ter à l’ENS, un autre à l’X, puis une thèse à Jus­sieu com­plé­te­ront son par­cours de jeune chercheur.

La para-escalade, voilà le sport !

Et puis, il y eut donc la révé­la­tion de l’escalade. D’une simple sor­tie heb­do­ma­daire entre doc­to­rants, la pra­tique de ce sport devient une pas­sion. Antho­ny s’inscrit alors au club pari­sien « Le 8 assure », où il est conseillé par Aris­tote Lion­tos, qui est aus­si l’entraîneur de l’équipe natio­nale de para-esca­lade (le lec­teur ira visi­ter son compte Ins­ta­gram pour voir des vidéos de notre cama­rade en action). Sur un coup de tête, Antho­ny s’inscrit en 2024 au cham­pion­nat de France, à Tarbes, et le remporte.

Sui­vront deux étapes de coupe du monde, à Inns­bruck, où il ter­mine sixième sur une dou­zaine de par­ti­ci­pants, et à Arco, où il atteint la finale et ter­mine qua­trième. Ensuite, au cham­pion­nat d’Europe, à Vil­lars-sur-Ollon, un inci­dent d’assurage freine mal­heu­reu­se­ment sa per­for­mance, ce qui n’entame en rien sa déter­mi­na­tion : ayant sou­te­nu sa thèse, il a mis son par­cours scien­ti­fique en pause pour se consa­crer entiè­re­ment à la com­pé­ti­tion spor­tive – il défen­dra son titre de cham­pion de France les 22 et 23 mars 2025 à Massy.

“Il défendra son titre de champion de France les 22 et 23 mars 2025 à Massy.”

Il aime­rait bien, main­te­nant, trou­ver une voie pro­fes­sion­nelle qui lui per­met­trait de faire fruc­ti­fier ses connais­sances scien­ti­fiques sans sacri­fier son entraî­ne­ment inten­sif – à l’instar de Lucie Jar­rige, chi­miste au CNRS et para-grim­peuse de légende.

Et puis, il y a encore d’autres cordes dans la vie d’Anthony Guillen. Les cordes vocales, tout d’abord, qu’il fit réson­ner en par­ti­ci­pant – sans avoir jamais appris le sol­fège aupa­ra­vant – à la cho­rale de l’X. Et celles du pia­no, ensuite, puisque, grâce à Patrice Holi­ner, il put décou­vrir, durant sa sco­la­ri­té, quelques pans du vaste réper­toire com­po­sé pour la seule main gauche. D’autres voies pour gra­vir d’autres sommets.

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