Anthony Guillen (X16), grimper vers les sommets !

En 2021, alors qu’il commence un doctorat consacré à des problématiques phénoménologiques liées à la théorie des cordes, Anthony Guillen découvre que de nombreux jeunes chercheurs de son laboratoire sont séduits par des cordes bien moins théoriques : celles qui servent à la pratique de l’escalade. Cette découverte marque le début d’une passion profonde qui le conduira, en 2024, à remporter le championnat de France dans cette discipline et qui lui ouvrira de grands espoirs de participation aux Jeux de Los Angeles en 2028. Dans la catégorie paralympique, car Anthony, atteint d’agénésie, est né sans main droite.
Durant son adolescence, qu’il passe dans différentes petites villes de région parisienne au gré des évolutions de sa famille, Anthony Guillen, qui se définit à l’époque comme un « geek stéréotypique », se met à regarder des vidéos de vulgarisation scientifique postées sur YouTube, celles des comptes SciShow et Veritasium par exemple. De là naît un goût prononcé pour la physique, goût qui le conduit, en 2014, en classes préparatoires au lycée Louis-le-Grand.
Bien sûr, l’École polytechnique intéresse le jeune étudiant, mais son handicap lui permet-il d’être candidat ? La mère d’Anthony se renseigne discrètement auprès de l’École, qui lui répond par la négative, mais elle n’en dit rien à son fils. Et elle fait bien car, par arrêté du 27 mai 2014 pris sous l’impulsion du directeur général de l’époque, Yves Demay (X77), le ministère de la Défense a assoupli les conditions physiques exigibles pour l’admission des élèves.
Anthony présente le concours sans trop savoir s’il entre dans ces nouveaux critères, il le réussit et la commission médicale accepte son intégration, avec trois restrictions : pendant la formation militaire, il ne pourra ni faire le parcours du combattant, ni tirer au Famas, et – ironie du sort – à l’X il ne pourra pas s’inscrire en section escalade. Finalement, il parviendra à lever les deux premières de ces trois interdictions.
Le défilé, c’est du sport !
Il n’était pourtant pas particulièrement sportif : à l’époque, sa principale expérience dans ce domaine demeurait la pratique du tennis – toutefois, pendant une compétition en double avec son beau-père, le stress l’avait paralysé, au point qu’il en tremblait encore des mois plus tard.
Mais à La Courtine sa volonté l’emporte ; il se rend compte qu’il est tout à fait possible de franchir avec un bras et demi la redoutable épreuve de la planchette irlandaise et il finit par triompher de tous les obstacles. De même, constatant qu’il n’avait aucune difficulté à manipuler le Famas, on l’autorisera finalement à s’exercer au tir, pour que sa formation militaire soit complète.
Et puis, tant qu’à être polytechnicien, autant défiler sur les Champs-Élysées le 14 Juillet ! Anthony y serait-il autorisé ? N’ayant peur de rien, il pose directement la question à l’ingénieur général Demay, qui donne son accord à condition qu’il puisse tenir l’épée du côté droit, comme tout le monde. Soit. Anthony tente de réaliser une prothèse spécifique, en utilisant les imprimantes 3D du FabLab de l’École, mais ses essais sont peu concluants. Il rencontre alors Romain Labbé, un jeune thésard au laboratoire d’hydrodynamique de l’X (le LadHyX), qui, en l’espace de deux après-midis, l’aide à concevoir un modèle fonctionnel, qui sera agréé par les autorités militaires.
Ce succès suscitera – et ce fut heureusement la seule occurrence de ce genre de choses durant la scolarité de notre camarade – de rares jalousies d’élèves valides écartés du défilé en raison du surnombre.
La physique, c’est aussi une compétition
À l’X, Anthony Guillen continue de s’intéresser à la physique ; avec son équipe, il remporte le Tournoi français des physiciens (FPT) et se qualifie ainsi pour le tournoi international (IPT), à Moscou, où il doit tenter de répondre à des questions aussi inattendues que l’étude de l’origine du bruit strident que fait un boulon quand on le fait tourner dans un ballon de baudruche. Son premier stage l’emmène au Gabon, où il étudie l’état des routes à Libreville ; le second au laboratoire Leprince-Ringuet, où il s’intéresse aux détecteurs de neutrinos. Un master à l’ENS, un autre à l’X, puis une thèse à Jussieu compléteront son parcours de jeune chercheur.
La para-escalade, voilà le sport !
Et puis, il y eut donc la révélation de l’escalade. D’une simple sortie hebdomadaire entre doctorants, la pratique de ce sport devient une passion. Anthony s’inscrit alors au club parisien « Le 8 assure », où il est conseillé par Aristote Liontos, qui est aussi l’entraîneur de l’équipe nationale de para-escalade (le lecteur ira visiter son compte Instagram pour voir des vidéos de notre camarade en action). Sur un coup de tête, Anthony s’inscrit en 2024 au championnat de France, à Tarbes, et le remporte.
Suivront deux étapes de coupe du monde, à Innsbruck, où il termine sixième sur une douzaine de participants, et à Arco, où il atteint la finale et termine quatrième. Ensuite, au championnat d’Europe, à Villars-sur-Ollon, un incident d’assurage freine malheureusement sa performance, ce qui n’entame en rien sa détermination : ayant soutenu sa thèse, il a mis son parcours scientifique en pause pour se consacrer entièrement à la compétition sportive – il défendra son titre de champion de France les 22 et 23 mars 2025 à Massy.
“Il défendra son titre de champion de France les 22 et 23 mars 2025 à Massy.”
Il aimerait bien, maintenant, trouver une voie professionnelle qui lui permettrait de faire fructifier ses connaissances scientifiques sans sacrifier son entraînement intensif – à l’instar de Lucie Jarrige, chimiste au CNRS et para-grimpeuse de légende.
Et puis, il y a encore d’autres cordes dans la vie d’Anthony Guillen. Les cordes vocales, tout d’abord, qu’il fit résonner en participant – sans avoir jamais appris le solfège auparavant – à la chorale de l’X. Et celles du piano, ensuite, puisque, grâce à Patrice Holiner, il put découvrir, durant sa scolarité, quelques pans du vaste répertoire composé pour la seule main gauche. D’autres voies pour gravir d’autres sommets.