Anticiper le risque de complications médicales pour mieux le prévenir et le traiter
Et s’il était possible de prédire le risque de complication post-opératoire à partir d’une simple prise de sang ? C’est justement ce que la jeune pousse française SurgeCare propose grâce à une technologie de pointe développée dans les laboratoires de Stanford. Brice Gaudillière (X97) et Julien Hedou (X15), cofondateurs de la start-up médicale, nous en disent plus. Rencontre.
Quelle est la genèse de SurgeCare ?
Brice Gaudillière : Pendant ma formation à Polytechnique, je me suis intéressé à la biologie et aux sciences du vivant. Après l’École, j’ai fait un PhD en sciences biomédicales. Puis des études de médecine au sein du programme Health Science and Technology entre Harvard et le MIT, un programme d’études de médecine conçu et orienté pour les ingénieurs.
Je dirige maintenant un laboratoire d’immunologie à Stanford, en parallèle d’une pratique clinique en tant qu’anesthésiste réanimateur. Au sein du laboratoire, nous utilisons des techniques de “single-cell omics” qui permettent d’étudier avec une précision inégalée le système immunitaire des patients.
Notre intérêt se porte sur des questions de santé globale à fort impact, telles que le traumatisme qui représente la première cause de mortalité chez les individus âgés de 18 à 45 ans, ou encore la prématurité, qui est la première cause de mortalité infantile. La chirurgie est un exemple typique de traumatisme, pour lequel nous avons mis au point un « test de stress » du système immunitaire. Ce test permet de reproduire le stress post-traumatique afin d’identifier, avant la chirurgie, les troubles immunitaires fonctionnels associés aux complications postopératoires, telles que les infections. C’est de là qu’est née l’idée d’industrialiser ce test pour mieux prédire, et donc réduire, les complications post-opératoires.
Julien Hedou : Après Polytechnique, j’ai fait un master en informatique biomédicale avec une spécialisation en intelligence artificielle à Stanford. Au cours de ma formation, j’ai travaillé au sein du laboratoire de Brice et je me suis notamment intéressé aux algorithmes permettant d’intégrer les données du système immunitaire pour développer des scores prédictifs. De cette collaboration est née SurgeCare en 2021. SurgeCare se positionne à l’interface de l’immunologie, l’IA, la médecine de précision et la recherche clinique, et s’appuie sur une très belle équipe notamment composée de Benjamin Choisy, Dyani Jones, Valentin Picot et Franck Verdonk.
Concrètement, à quelles problématiques du monde de la santé répondez-vous ?
J.H : L’ambition de SurgeCare est de surmonter l’incapacité à prédire les complications postopératoires. Les échelles cliniques actuellement disponibles pour anticiper le risque de complications postopératoires sont très imprécises, ce qui limite leur utilité pour les cliniciens dans leur processus de prise de décision. Notre objectif est de fournir aux cliniciens des informations précises et personnalisées pour chaque patient en utilisant un test qui permette de quantifier le risque de complications postopératoires. Le problème auquel nous nous attaquons est majeur : plus de 60 millions de chirurgies sont effectuées chaque année aux Etats-Unis, et 8 millions en France. Or une chirurgie sur trois se solde par une complication postopératoire, dont le coût représente jusqu’à 70 000 dollars aux États-Unis, et 10 000 euros en France.
« L’ambition de SurgeCare est de surmonter l’incapacité à prédire les complications postopératoires. »
B.G : Nous nous intéressons tout particulièrement aux infections du site opératoire dont on estime le risque après une chirurgie majeure à 10–30 % en moyenne. Toutefois, il est difficile de déterminer précisément ce risque pour un individu donné, ce qui rend la personnalisation de sa prise en charge impossible. La technologie de SurgeCare résout cette difficulté en évaluant la capacité du système immunitaire d’un patient donné à répondre et à récupérer face au stress immunitaire considérable provoqué par la chirurgie. En exposant un échantillon sanguin à des cytokines et des protéines inflammatoires répliquant le traumatisme chirurgical, nous prenons, si je puis dire, une empreinte digitale immunitaire du patient à partir de laquelle nous pouvons prédire s’il est capable de supporter le trauma chirurgical, de se défendre contre une infection et de récupérer dans de bonnes conditions.
Aujourd’hui, concrètement que proposez-vous ?
J.H : Notre premier produit, PreCyte, est une solution diagnostique qui permet de prédire et d’anticiper les infections de site opératoire en chirurgie abdominale majeure. En amont de la chirurgie, PreCyte communique une information fiable relative au risque d’infection. Grâce à ce nouvel outil, il est possible d’optimiser le parcours de soins du patient non seulement pendant la chirurgie, mais également en phase préopératoire (en modifiant et en optimisant les aspects nutritionnels, pharmacologiques, physiques, etc.) et en phase postopératoire (en adaptant le suivi du patient, par exemple en organisant une réanimation ou un suivi à domicile).
Quelle est la valeur ajoutée de votre technologie pour les différentes parties prenantes et les patients ?
J.H : La mise à disposition de ces informations fiables et précises permet d’optimiser le parcours de soins du patient, de diminuer les risques de complications, et de diminuer les coûts qui y sont associés. Un service de chirurgie compte en moyenne 40 lits, et traite jusqu’à 2 500 patients par an. Une solution comme la nôtre permettrait de réduire le nombre de complications au sein d’un service de ce type d’au moins 40 %, ce qui représente une diminution des coûts annuels de ce service d’environ 9 millions de dollars aux États-Unis et d’environ 1,5 millions d’euros en France.
B.G. : Notre kit de prélèvement est associé à un score de risque dont la précision dépasse les 90 %, alors que les outils existants ont une performance inférieure à 70 %. Une solution comme PreCyte donnera une meilleure visibilité aux patients sur leur chirurgie, et permettra surtout au chirurgien et à l’anesthésiste d’adapter le parcours de soins pour réduire, voire éviter, ces complications. Ces informations sont également stratégiques pour les systèmes de santé qui cherchent à mieux gérer et optimiser les coûts associés à ces interventions chirurgicales lourdes.
Quels sont les freins et enjeux auxquels vous êtes confrontés dans le cadre de votre développement ?
J.H : Il y a une dimension règlementaire autour de la mise sur le marché de notre technologie et de notre produit. Nous menons actuellement une étude clinique pour confirmer les performances de notre solution. Sur le moyen terme, nous anticipons des besoins importants pour l’industrialisation et la commercialisation de ce premier produit, ainsi que de nouveaux développements technologiques pour étendre nos outils à de nouvelles indications et améliorer leurs performances.
Quelles sont les prochaines étapes pour SurgeCare ?
B.G : Notre première étude clinique, en partenariat avec l’hôpital Foch et AP-HP a démarré il y a quatre mois. Elle vise à tester notre solution sur 240 patients, dont une centaine sont déjà inclus, et optimiser notre premier produit PreCyte qui prédit le risque d’infection postopératoire. Nous avons aussi réalisé un premier tour de financement pour un total de 2,5 millions d’euros à l’été 2022 et nous préparons actuellement la prochaine levée de fonds.
Notre objectif est de poursuivre la recherche et le développement scientifique afin d’étendre notre capacité à décrypter le système immunitaire à d’autres types de complication. À court terme, SurgeCare compte s’attaquer au problème des complications de grossesse telles que la prématurité et la prééclampsie.