Anton Bruckner : les 9 symphonies
Orchestre Philharmonique de Berlin, direction Sir Simon Rattle, Seiji Ozawa, Christian Thielemann, Mariss Jansons, Zubin Mehta, Herbert Blomstedt, Bernard Haitink, Paavo Järvi
Coffret Berliner Philharmoniker Recordings
Un magnifique coffret, pour le débutant, pour l’amateur éclairé et pour le spécialiste. Toutes les symphonies de Bruckner (composées de 1865 à 1896) par le plus bel orchestre du monde, avec les chefs d’orchestre qui ont fait sa gloire dans les vingt dernières années. En disque compact et en Blu-ray vidéo haute définition, et avec un texte de présentation des œuvres et des artistes qui fait honneur à l’édition musicale. Notons aussi une interview filmée passionnante des chefs d’orchestre, notam-ment de Rattle parlant du final reconstitué de la dernière symphonie, ou de Paavo Järvi et Christian Thielemann racontant comment ils se sont nourris au Bruckner d’Herbert von Karajan.
L’œuvre de Bruckner est somme toute très réduit : onze symphonies achevées, une demi-douzaine de messes, un Te Deum, un quintette. En revanche il a de nombreuses fois retravaillé et révisé ses symphonies, et le choix de la version à interpréter est un régulier casse-tête pour les éditeurs et les interprètes.
La version de la Troisième Symphonie que nous voyons ici est passionnante car il s’agit de la version originale de 1873 de cette œuvre dédiée (et dédicacée) à Wagner. La version que l’on joue habituellement, révision de 1877, est la première qui ait été éditée et créée. Une création qui a été en 1877 un échec total (le jeune Mahler était dans la salle, à Vienne), les spectateurs partant en nombre au cours du premier mouvement. Les connaisseurs ont beaucoup lu et entendu que la version originale de 1873 intégrait de nombreuses citations de Wagner, éliminées lors des révisions successives. Quel plaisir de pouvoir enfin découvrir cette version originale. Et quelle surprise ! En effet ce que l’on entend (et voit) est effectivement très différent de l’œuvre habituellement jouée. Le premier mouvement est par exemple bien plus long, avec des phrases très modifiées. Les second et dernier mouvements sont également assez différents de ce que l’on entend d’ordinaire. La direction très lisible d’un Herbert Blomstedt, doyen des chefs d’orchestre à l’heure où sont écrites ces lignes, dirigeant assis, contribue à faire de cette symphonie une expérience mémorable. La Sixième Symphonie, dirigée par un Mariss Jansons serein deux ans avant son décès, est aussi la version originale (de 1881), mais peu différente des versions de musicologues Haass et Nowak de cinquante ans postérieures que l’on joue habituellement.
L’autre grande originalité de ce coffret est la version complète de la neuvième et dernière symphonie, sur laquelle travaillait Bruckner en mourant. Beethoven, Schubert, Dvořák n’ont édité que neuf symphonies. C’est le cas également de Bruckner. On sait d’ailleurs que c’est par peur de cette « malédiction » que Mahler a décidé de faire suivre sa Huitième Symphonie par une fausse symphonie, le fameux Chant de la Terre, pensant déjouer le destin (en vain, car Mahler mourra après sa Neuvième Symphonie, laissant une Dixième Symphonie très inachevée). On ne joue traditionnellement que les trois premiers mouvements de la Neuvième de Bruckner, le dernier mouvement étant usuellement considéré comme non interprétable. Mais sir Simon Rattle, directeur du Philharmonique de Berlin à l’époque de l’enregistrement, explique qu’il a manqué moins de deux mois à Bruckner pour achever sa symphonie, et que 600 sur 630 mesures que l’on joue sont d’une façon ou d’une autre de Bruckner. Ce final reconstitué jusqu’en 2010 est rarement joué et interprété, il est pourtant indis-pensable pour ressentir l’impression d’arche, de cathédrale, que constitue cette Neuvième Symphonie, les thèmes du premier mouvement revenant dans le final, comme pour la Septième de Mahler dix ans plus tard.
Naturellement, le spécialiste peut regretter que cet objet musicologique exceptionnel intégrant les versions originales des Symphonies nos 3 et 6 et la version complétée de la Symphonie n° 9 ne comprenne pas également les deux Symphonies de jeunesse, numérotées 0 et 00. Mais ces symphonies pourtant très brucknériennes ne sont jamais données en concert.
Tout le coffret est magnifique naturel-lement, citons aussi une paisible Quatrième Symphonie, « romantique », dirigée en 2014 par un Bernard Haitink de 85 ans, la direction majestueuse et autoritaire de Christian Thielemann dans la célèbre Septième Symphonie et une Huitième archi-romantique par Zubin Mehta.
Magnifique.