Anton BRUCKNER : septième symphonie
Ce disque est un véritable événement. Cette rubrique ne suffirait pas pour décrire le poids historique et la qualité musicale d’une telle réalisation.
Sergiu Celibidache a été incontestablement un des plus grands chefs d’orchestre du XXe siècle. Il est né en Roumanie il y a juste cent ans. Sa notoriété moindre que celle d’autres géants (Karajan, Solti, Kleiber, Furtwängler, etc.) vient de l’absence totale d’enregistrements officiels, Celibidache ayant horreur du disque. Les témoignages qu’il nous reste sont exclusivement des enregistrements de concerts, ce qui les réservait aux spécialistes et les rendait absents des catalogues des grandes maisons de disques.
Son dédain pour l’enregistrement vient très naturellement de sa conception de la musique et du son : une lecture « horizontale » de la musique qui fait ressortir l’architecture de l’œuvre, mais avant tout une attention portée « verticalement » au son instantané lui-même, qui demandait des équilibres très sophistiqués des pupitres et un temps de répétition important, pour s’adapter aux différentes acoustiques. Et naturellement des tempos qui permettent au son de s’épanouir comme il le souhaitait, donc dépendant de l’acoustique de la salle.
Cette description très simplifiée de ce qui était en fait une vision quasi mystique du rôle de l’interprète permet de comprendre pourquoi la possibilité de reproduction illimitée d’un événement unique et encore plus celle d’enregistrement avec une dégradation inévitable du son entre le concert original et le disque sont des notions aux antipodes de la vision de la musique par Celibidache.
Le documentaire joint en bonus au DVD est passionnant, montrant comment Celibidache assimile rationalité (des études poussées de mathématiques, de physique, d’acoustique et d’harmonie) et subjectivité.
Mais la vision de Celibidache serait anecdotique si elle ne s’accompagnait d’une sublime capacité d’interprétation musicale. Certains enregistrements publics sont les perles des discothèques des connaisseurs (essayez de trouver ses Tableaux d’une exposition, orchestrés par Ravel, c’est proprement inouï).
Mais le compositeur pour lequel Celibidache est reconnu comme inégalable est Anton Bruckner. Ce compositeur autrichien laisse à sa mort uniquement une dizaine de symphonies (seules neuf sont officiellement numérotées, comme chez Beethoven, Schubert, Dvorak, Mahler), un Te Deum et trois messes. Ses symphonies, toutes sur la même structure (héritée de Beethoven), développent une orchestration wagnérienne assez impressionnante. Des œuvres monumentales, clairement adaptées au « système » Celibidache. La Septième Symphonie, créée en 1884, est considérée comme une des plus belles, sûrement celle par laquelle commencer sa découverte de l’univers brucknérien. Plusieurs enregistrements publics de Celibidache circulent de symphonies de Bruckner (notamment une Neuvième, à Munich, EMI, version de référence), tous marqués par des tempos très amples, et une tension très forte. Mais rien qui atteigne la force de cet enregistrement.
L’Orchestre philharmonique de Berlin est naturellement un des meilleurs orchestres au monde, certains disent le meilleur. Celibidache en fut le chef principal après la guerre, à une époque où Wilhelm Furtwängler attendait en Suisse sa dénazification. Au retour de Furtwängler, Celibidache continua à diriger Berlin, mais lorsqu’en 1955 Karajan en devint le chef (à vie!), Celibidache ne dirigea plus jamais ici. Jusqu’à cette soirée d’avril 1992, trente-huit ans plus tard, pour ce concert miraculeusement conservé, et unique.
Ce DVD permet de retrouver tout cela : un événement historique, un chef mythique qui n’avait plus dirigé cet orchestre phénoménal depuis près de quarante ans, un son formidable, chaud et épanoui, travaillé pendant des répétitions innombrables, rendu clair par des tempos d’une ampleur record (une heure pour les seuls deux premiers mouvements) et restitué magnifiquement en haute définition sur ce DVD (préférez le Blu-Ray, encore mieux défini, son restitué en 24 bits, la qualité du SACD). Et l’image, convertie au standard moderne seize neuvièmes, fait complètement oublier que l’on regarde une archive réellement historique.