Anton Bruckner : Symphonies nos 4, 6, 8
Voici de remarquables interprétations des Symphonies nos 4, 6, 8 d’Anton Bruckner. Sergiu Celibidache a été incontestablement un des plus grands chefs d’orchestre du XXe siècle. Sa notoriété, moindre que d’autres géants (Karajan, Solti, Kleiber, Furtwängler…), vient de l’absence totale d’enregistrements officiels, Celibidache ayant horreur du disque. Les témoignages qu’il nous reste sont exclusivement des enregistrements de concert, par conséquent connus seulement des spécialistes et absents des catalogues des grandes maisons de disques.
Son dédain pour l’enregistrement vient très naturel-lement de sa conception de la musique et du son : une lecture « horizontale » de la musique qui fait ressortir l’architecture de l’œuvre, mais avant tout une attention portée « verticalement » au son instantané lui-même, qui demandait des équilibres très sophistiqués des pupitres et un temps de répétition important pour s’adapter aux différentes acoustiques. Et naturellement des tempos qui permettent au son de s’épanouir comme il le souhaitait, donc dépendant de l’acoustique de la salle.
Cette description très simplifiée, de ce qui était en fait une vision quasi mystique du rôle de l’interprète, permet de comprendre pourquoi la possibilité de reproduction illimitée d’un événement unique, et encore plus celle d’enregistrement avec une dégradation inévitable du son entre le concert original et le disque, sont des notions aux antipodes de la vision musicale de Celibidache. Ses interviews montrent comment il assimilait rationalité – des études poussées de mathématiques, de physique, d’acoustique et d’harmonie – et subjectivité.
Mais la vision de Celibidache ne serait qu’anecdote, si elle ne s’accompagnait pas d’une sublime capacité d’interprétation musicale.
Le compositeur pour lequel Celibidache est reconnu comme incontournable est Anton Bruckner. Ce compositeur autrichien laisse à sa mort uniquement une dizaine de symphonies – seules neuf sont officiel-lement numérotées, comme chez Beethoven, Schubert, Dvořák, Mahler –, un Te Deum et trois Messes. Ses symphonies, toutes sur la même structure héritée de Beethoven, développent une orchestration wagnérienne assez impressionnante.
Des œuvres monumentales, clairement adaptées au « système » Celibidache. Tous les enregistrements publics de Celibidache des symphonies de Bruckner sont marqués par des tempos très amples et une tension très forte. Les tempos extrêmement larges de Celibidache donnent à entendre une foule de détails qui échappent à l’oreille dans d’autres versions plus classiques (Jochum, Böhm, Karajan). Il y a une musicalité, une profondeur d’expression et une puissance pure et simple dans cette performance qui est vraiment stupéfiante et nous sommes submergés par une spiritualité qui éclaire et ennoblit. Il s’agit d’une véritable intelligence musicale, signe du génie.
En particulier, Celibidache et son dernier orchestre, le Philharmonique de Munich, sont en feu dans ces enregistrements de Bruckner. Et, si les tempos sont lents (par exemple 82 minutes pour la Quatrième Symphonie, contre 68 minutes pour la version de référence de Karl Böhm à Vienne), les symphonies rayonnent avec une intensité éclatante.
Nous avons ici le maestro roumain en forme, même s’il se déplace difficilement et dirige assis. Il était au moment des enregistrements en poste à Munich depuis environ quatre ans et il avait déjà modelé l’orchestre à son goût – il les félicite d’ailleurs discrètement à la fin de la Quatrième Symphonie. Nous sommes confrontés à des versions profondes, dans le style mystique et transcendant auquel nous a habitués le maestro. Sa lenteur caractéristique semble toujours naturelle, car Celibidache est unique dans l’utilisation du temps. Ses équilibres dans l’exposition horizontale et verticale de la musique, établissant une logique expressive unique entre la régulation dynamique du son et le tempo utilisé, semblent magiques.
Vous l’avez compris, des interprétations méditatives, majestueuses, infinies, qui ne lâchent pas le spectateur, et une tension qui ne tombe jamais sous la direction miraculeuse de Celibidache.
L’orchestre est superbe, avec notamment un cor solo fantastique. Des DVD fantastiques.
Orchestre Philharmonique de Munich, Sergiu Celibidache
3 DVD Sony, 1 DVD Arthaus