Antoni Calvo Armengol (89) , 1970–2007
Toni nous a quittés brutalement le 3 novembre 2007. Son cœur s’est arrêté sans prévenir. Il avait 37 ans. Il laisse Goretti, son épouse, Yann et Tomás, ses deux enfants de 6 et 3 ans ; il laisse ses parents, sa sœur, sa famille en Andorre, tous ses amis là-bas ; il laisse ses collègues et amis, chercheurs en économie dans les meilleures universités en Europe et aux États-Unis ; il nous laisse nous-mêmes, ses amis de la promo 89.
Il en parlait de l’Andorre, il l’affichait son Andorre, dans sa chambre couverte de posters de glaciers, bouquetins, pierriers, pâturages, pistes de ski ; et puis il nous y emmenait en Andorre, souvent, pour nous faire éprouver l’hospitalité et la beauté de cette terre. Ses qualités » d’ambassadeur » étaient si bien reconnues par les siens, qu’il le devint vraiment, occupant le poste d’ambassadeur d’Andorre non-résident, d’abord pour le Portugal, puis pour la Suisse et auprès des organisations internationales à Genève.
La passion du débat d’idées
Mais Toni était aussi polytechnicien, dans l’âme. D’abord par ses qualités intellectuelles : il avait intégré l’X facilement, après une scolarité brillante au lycée Fermat de Toulouse ; et ses travaux, sur lesquels nous reviendrons, font honneur à notre communauté. Mais Toni était aussi polytechnicien dans l’esprit ; il avait la passion du débat d’idées, et lors de nos longues soirées d’étudiants, on le voyait souvent s’échauffer et s’enflammer, révélant alors des idées fidèles à notre tradition héritée des Lumières : croyant en l’homme et à sa capacité de faire le meilleur ; croyant au progrès apporté par la science et l’examen rationnel des choses ; croyant au destin de fraternité, de justice et de liberté des hommes ; courageux instinctivement pour toutes ces idées.
À sa sortie de l’X, et après un rapide passage en entreprise, Toni soutint brillamment une thèse d’économie à l’École des ponts et l’Universitat Pompeu Fabra de Barcelone. Il obtint immédiatement un poste à l’Universidad Carlos III de Madrid et, peu de temps après, à l’Universitat Autònoma de Barcelone. Il se lança avec enthousiasme dans la recherche économique en explorant un thème original et en plein essor : le rôle des réseaux sociaux dans l’économie, avec des applications dans des domaines aussi variés que les processus de négociation, la théorie des organisations, l’activité criminelle et, en particulier, la mobilité sociale et le marché du travail. Ses travaux, bien reconnus, portant sur ce dernier sujet expliquent la persistance des inégalités par le rôle des différents réseaux sociaux mobilisés par un individu pour trouver un emploi. Son pays également inspira ses recherches, car il illustrait à ses yeux l’importance du collectif dans la vie sociale et économique. Il publia ainsi un article désormais classique sur la Crema, une institution andorrane reposant sur un dispositif traditionnel d’assurance contre les incendies. En quelques années, Toni était devenu un économiste reconnu, récompensé et invité à de nombreuses reprises dans les grandes universités étrangères. Il avait choisi de rester à Barcelone, mais ses qualités de chercheur et d’enseignant étaient appréciées unanimement aussi bien par ses étudiants et collègues que par la communauté scientifique internationale. Tous ceux qui l’ont croisé se rappellent que Toni était un » personnage « , une figure qui sortait de la masse sans se mettre en avant, quelqu’un d’affectueusement connu et reconnu au sein de la promo. C’est qu’il rayonnait d’un éclat spécial, fort et chaleureux. Tout cela qu’il avait en abondance : corps, coeur, intelligence, âme – tout cela s’unissait en lui en une intensité de vie et de gaîté.
Pour nous tous aujourd’hui, le souvenir de Toni brûle d’abord et avant tout de cette intensité. Comme une injonction forte, une injonction à vivre, et l’aimer tant ce temps qui reste.