le potentiel de l’intelligence artificielle dans la santé

Appariement des données : le potentiel de l’IA dans le parcours de soins

Dossier : Intelligence artificielleMagazine N°781 Janvier 2023
Par Isabelle LAFORGUE (X01)

L’intelligence arti­fi­cielle trouve des appli­ca­tions déter­mi­nantes dans le trai­te­ment de la don­née indus­trielle, mais elle est encore limi­tée dans le domaine de la san­té, en par­ti­cu­lier à cause d’une dis­per­sion de la don­née entre les dif­fé­rents acteurs. Tout en pré­ser­vant la confi­den­tia­li­té de la situa­tion indi­vi­duelle du patient, il serait pos­sible de faire béné­fi­cier tous les patients de pro­grès ines­ti­mables pour leurs soins grâce à un par­tage de la donnée.

Dans tous les sec­teurs et toutes les indus­tries, il est un lieu com­mun que de dire que l’émergence de don­nées mas­sives cou­plées aux nou­velles capa­ci­tés de cal­cul ouvre des pers­pec­tives formi­dables. La grande consom­ma­tion, le trans­port… nour­rissent jour après jour leurs algo­rithmes de don­nées géné­rées par leur acti­vi­té et celle de leurs uti­li­sa­teurs, et bâtissent des chefs‑d’œuvre de modèles d’intelligence arti­fi­cielle. À la fois pour plus d’efficacité dans leurs opé­ra­tions et éga­le­ment pour pré­dire et anti­ci­per tous les sou­haits de leurs uti­li­sa­teurs, qu’ils soient col­la­bo­ra­teurs ou consom­ma­teurs. Le poten­tiel de ce phé­no­mène dans le sec­teur de la san­té est encore plus pro­met­teur. Par­mi les don­nées de tous les sec­teurs, la don­née de san­té est très particulière.

Une protection particulière en France

Elle est par­ti­cu­lière tout d’abord par sa nature. En France, elle est très pro­té­gée et son accès ain­si que son trai­te­ment sont enca­drés par des règle­ments et obli­ga­tions très pro­tec­teurs pour l’individu, qui, dans ce cas pré­cis, est sou­vent un patient. Les don­nées de san­té sont pro­té­gées par la loi infor­ma­tique et liber­tés, le RGPD et le Code de la san­té publique, et les auto­ri­sa­tions de trai­te­ment sont déli­vrées par la Cnil (Com­mis­sion natio­nale de l’informatique et des liber­tés), le régu­la­teur fran­çais. L’ensemble de ces pro­tec­tions garan­tit la nature des trai­te­ments de la don­née de san­té, per­met­tant à tous, patients comme orga­ni­sa­tions, d’évoluer avec des règles connues et res­pec­tueuses de la vie pri­vée des personnes. 

La richesse de la donnée de santé

Une carac­té­ris­tique forte de la don­née de san­té, c’est son incom­pa­rable richesse. La don­née dans le domaine de la san­té, c’est avant tout la don­née géné­rée tout au long du par­cours de soins d’un patient, depuis les méde­cins qu’il a consul­tés, les exa­mens qui lui ont été pres­crits, leurs résul­tats, les médi­ca­ments qu’il a pris, son pas­sage à l’hôpital… Des don­nées extrê­me­ment riches, non seule­ment par la mul­ti­pli­ci­té des acteurs qui par­ti­cipent à les géné­rer, mais aus­si par leur nature elle-même. Ce sont des don­nées tabu­laires (donc struc­tu­rées) de par­cours de soins, des don­nées non struc­tu­rées comme de l’imagerie médi­cale, des résul­tats d’examens cli­niques, bio­lo­giques, géno­miques, pro­téo­miques… une véri­table richesse d’informations.

Une exceptionnelle base de données en France

La struc­tu­ra­tion de cette don­née de san­té est aus­si propre à la France : notre sys­tème de soins cen­tra­li­sé nous a per­mis d’établir un recueil des don­nées de soins des patients unique au monde. Le SNDS (Sys­tème natio­nal des don­nées de san­té) ras­semble toutes les don­nées de consul­ta­tion, de pres­crip­tion, d’actes et rem­bour­se­ment de soins de 66 mil­lions de Fran­çais depuis vingt ans, en un unique endroit. Et, au-delà, les nou­velles bases consti­tuées au cours de la pan­dé­mie comme la base des dépis­tages Covid SI-DEP, sys­tème d’informations de dépis­tage. Cette cen­tra­li­sa­tion per­met aujourd’hui d’avoir toutes ces don­nées sur une seule pla­te­forme, acces­sible dans le res­pect des obli­ga­tions régle­men­taires propres aux don­nées per­son­nelles de santé.

Mais une dispersion persistante

Toutes les pro­messes de la don­née de san­té ne tiennent que si cette don­née est acces­sible à des pro­jets de recherche. En France, l’accès à ces don­nées hau­te­ment sen­sibles est aujourd’hui régi par des règles bien défi­nies, et le che­min régle­men­taire, s’il est contrai­gnant, n’en est cepen­dant pas moins clair. 

Délais et dis­per­sion des don­nées de san­té sont aujourd’hui les freins majeurs à l’exploitation de cette don­née, et donc à la recherche, à l’innovation et à l’amélioration des par­cours de san­té. Si le SNDS cen­tra­lise les don­nées de rem­bour­se­ment de la Sécu­ri­té sociale, en revanche les résul­tats d’analyse bio­lo­gique, d’examen médi­cal… sont des don­nées dis­po­nibles dans les éta­blis­se­ments de soins (pri­vés et publics) et les labo­ra­toires (pri­vés) d’analyse.

Ces don­nées sont aujourd’hui dis­per­sées dans dif­fé­rents lieux phy­siques et sous la res­pon­sa­bi­li­té de dif­fé­rents acteurs. Accé­der à ces don­nées est pos­sible, mais au prix de temps de mise à dis­po­si­tion tech­nique et régle­men­taire sou­vent longs de plu­sieurs mois. L’éclatement des acteurs rend le sys­tème inef­fi­cace, et l’accès, quand il est pos­sible, est sou­vent limi­té à une seule base de don­nées à la fois, dans l’espace de sto­ckage de la struc­ture qui a géné­ré cette don­née (l’entrepôt de don­nées d’un hôpi­tal, le ser­veur d’un labo­ra­toire d’analyse, etc.).

Le rêve d’une base de données intégrale

Pour­tant, si l’on par­ve­nait à récon­ci­lier toutes ces don­nées, on aurait accès à des par­cours de soins exhaus­tifs, une richesse et une com­plé­tude d’informations qui per­met­traient ensuite de nour­rir puis­sam­ment des modèles d’intelligence arti­fi­cielle pour le sui­vi lon­gi­tu­di­nal des patients. 

De manière très sché­ma­tique, on pour­rait ima­gi­ner pou­voir récon­ci­lier les don­nées du SNDS (les infor­ma­tions sur les soins reçus par le patient) déte­nues par la Caisse natio­nale de l’assurance mala­die avec les résul­tats des ana­lyses bio­lo­giques pres­crites héber­gées par le labo­ra­toire bio­lo­gique qui les a réa­li­sées, et éga­le­ment avec des résul­tats d’examens du centre d’imagerie médi­cale où le patient s’est ensuite ren­du. Une « vraie vie » médi­cale de bout en bout recons­ti­tuée au ser­vice des patients, pour leur per­mettre indi­vi­duel­le­ment par la suite de béné­fi­cier de meilleurs trai­te­ments et sui­vis, et col­lec­ti­ve­ment de nour­rir de nou­velles études cli­niques à par­tir de ces don­nées de vie réelle. 

Des initiatives publiques et privées

Cette récon­ci­lia­tion, qui s’appelle de l’appariement de don­nées et que l’IA per­met aus­si de faci­li­ter via des modèles de cor­ré­la­tion sta­tis­tique, néces­site de ras­sem­bler la don­née en un unique lieu. Des ini­tia­tives publiques et pri­vées de regrou­pe­ment des don­nées se déve­loppent en France, menées en tête par le Health Data Hub, la pla­te­forme des don­nées de san­té lan­cée par le gou­ver­ne­ment fran­çais en 2019. Des ini­tia­tives pri­vées telles que celles de l’Inca-Ariis ou d’Agoria San­té (aux­quelles par­ti­cipe Astra­Ze­ne­ca) com­plètent cette démarche avec une pleine res­pon­sa­bi­li­té d’émulation et d’accélération.

Au-delà de l’enjeu natio­nal, toutes ces ini­tia­tives devront per­mettre à la France de tirer le plein poten­tiel de son sys­tème de soins cen­tra­li­sé, ce fameux SNDS unique en son genre, et de se dis­tin­guer au niveau euro­péen. Dans un cadre régle­men­taire clair et constant, c’est à pré­sent aux acteurs de la don­née de san­té, pro­duc­teurs de don­nées comme por­teurs de pro­jet d’intelligence arti­fi­cielle, acteurs pri­vés et publics, de col­la­bo­rer pour per­mettre l’émergence de dis­po­si­tifs de cen­tra­li­sa­tion. Les inté­rêts par­ti­cu­liers doivent lais­ser place à une dyna­mique com­mune pour atteindre un équi­libre col­lec­tif supé­rieur à l’ensemble des équi­libres individuels. 

L’application de l’intelligence artificielle

L’intelligence arti­fi­cielle appli­quée à la don­née de san­té est por­teuse d’une grande pro­messe et d’un grand défi pour le sec­teur de la san­té et ses acteurs, publics comme les centres de soins ou pri­vés comme les start-up ou les labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques. Une grande pro­messe, car la don­née de san­té est d’une richesse inéga­lée et les pers­pec­tives de ce que pour­ra y appor­ter l’intelligence arti­fi­cielle sont très exci­tantes. Ce poten­tiel ne s’exprimera cepen­dant pas encore plei­ne­ment, et ne s’exprimera que si une néces­saire col­la­bo­ra­tion entre les acteurs, publics et pri­vés, se met en place. Un grand défi éga­le­ment, car ce poten­tiel est aujourd’hui peu exploi­té dans une indus­trie qui a pour­tant fait de la science et des décou­vertes scien­ti­fiques les piliers de son développement. 

Le domaine des essais cliniques

Un exemple éclai­rant est celui des essais cli­niques. Tan­dis que les indus­tries plus tech­niques comme l’aéronautique ou l’automobile ont depuis long­temps uti­li­sé la modé­li­sa­tion infor­ma­tique pour limi­ter le recours aux essais « en vie réelle », l’industrie phar­ma­ceu­tique com­mence seule­ment à tra­vailler sur le sujet des bras de contrôle syn­thé­tique dans ses essais cli­niques. L’idée est simple : en dis­po­sant de don­nées médi­cales suf­fi­sam­ment nom­breuses de par­cours de soins de patients, on peut dans un essai cli­nique se dis­pen­ser d’une cohorte de patients à qui l’on délivre nor­ma­le­ment un pla­ce­bo, par une modé­li­sa­tion du com­por­te­ment de ces patients. 

La démarche a aujourd’hui prou­vé son effi­ca­ci­té pour cer­taines appli­ca­tions, et elle va conti­nuer à se per­fec­tion­ner tech­ni­que­ment et scien­ti­fi­que­ment. Cepen­dant elle reste encore com­plexe à déployer car les auto­ri­tés sani­taires doivent accep­ter cette nou­velle méthode pour per­mettre aux indus­triels de l’intégrer dans leurs dos­siers d’autorisation. Les pre­mières auto­ri­sa­tions ont été accor­dées par la FDA (Food and Drug Admi­nis­tra­tion) aux USA et l’EMA (Agence euro­péenne des médi­ca­ments) en Europe, les réflexions avancent, mais sont encore fri­leuses au regard des enjeux pour les patients. 

Des patients acceptent de rejoindre des essais cli­niques, avec l’espoir d’un trai­te­ment plus pro­met­teur, et cer­tains reçoivent aujourd’hui un pla­ce­bo ou le trai­te­ment stan­dard, là où demain l’intelligence arti­fi­cielle pour­ra leur per­mettre de béné­fi­cier du trai­te­ment. FDA et EMA en par­ti­cu­lier sont des acteurs majeurs de cette col­la­bo­ra­tion entre acteurs, régu­la­teurs et indus­triels, néces­saire pour per­mettre l’émergence de tout le poten­tiel de la don­née de san­té dans les essais cliniques.

Construire le parcours de soins

Un autre domaine dans lequel une col­la­bo­ra­tion entre acteurs publics et pri­vés, indus­triels et start-up est néces­saire est le par­cours de soins du patient. L’intelligence arti­fi­cielle peut per­mettre à un patient d’être diag­nos­ti­qué plus effi­ca­ce­ment et plus tôt, trai­té et accom­pa­gné au cours de sa mala­die, et là encore, si la tech­no­lo­gie existe, elle n’a cepen­dant pas encore pu expri­mer tout son poten­tiel. Les capa­ci­tés pré­dic­tives des modèles d’intelligence arti­fi­cielle, cou­plées à la grande quan­ti­té de don­nées dis­po­nibles, per­mettent aujourd’hui de déve­lop­per de nom­breux outils d’aide à la déci­sion et au diagnostic.

Ces modèles per­mettent par exemple d’accompagner la lec­ture d’une image d’examen (radio­gra­phie, IRM…) ou d’un résul­tat d’analyse médi­cale. Ils per­mettent éga­le­ment d’anticiper des évé­ne­ments de soins dans la vie du patient, comme une hos­pi­ta­li­sa­tion ou un risque de réci­dive. Les dis­po­si­tifs existent ; un grand nombre d’entre eux sont déve­lop­pés en France par des start-up à par­tir d’une cohorte de patients en réponse à une ques­tion médi­cale (sur­vie, diag­nos­tic, par exemple).

“Libérer grâce à l’IA toutes les promesses de la donnée au service du patient.”

Un modèle d’intelligence arti­fi­cielle a besoin pour être effi­cace et per­ti­nent d’être nour­ri d’une grande quan­ti­té de don­nées – le plus pos­sible – et de don­nées de qua­li­té, d’où l’importance de l’accès à cette don­née de san­té. Déve­lop­per un modèle d’intelligence arti­fi­cielle per­ti­nent est une pre­mière étape tech­no­lo­gique néces­saire ; la sui­vante est régle­men­taire, avec l’éventuelle auto­ri­sa­tion d’être un dis­po­si­tif médi­cal, soit un outil auto­ri­sé dans la pra­tique d’un pro­fes­sion­nel de san­té. Enfin reste l’ultime et déci­sive étape de l’adoption.

intelligence artificielle et santé : des améliorations possibles grâce à l'appariement des données
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Former les professionnels de santé

Ces dis­po­si­tifs doivent pour être uti­li­sés en pre­mière étape être accep­tés par les auto­ri­tés de san­té, dont on a déjà vu la néces­saire col­la­bo­ra­tion dans le déve­lop­pe­ment des pro­duits de l’intelligence arti­fi­cielle en san­té. Les étapes pour deve­nir un dis­po­si­tif médi­cal sont aujourd’hui claires et connues, à défaut d’être simples. L’adoption par les pro­fes­sion­nels de san­té est une seconde étape clé pour leur usage. Des freins existent sur la manière d’intégrer ces nou­veaux outils dans les usages médi­caux, à la fois sur le volet pra­tique et sur le volet théorique. 

Le constat en France est que nos pro­fes­sion­nels de san­té ne sont pas for­més sys­té­ma­ti­que­ment à ces nou­velles tech­no­lo­gies au cours de leur cur­sus uni­ver­si­taire, ni au cours de leur for­ma­tion conti­nue. For­mer, accom­pa­gner les pro­fes­sion­nels de san­té à l’intelligence arti­fi­cielle et à son impact dans la détec­tion, le par­cours de soins et le sui­vi du patient devient néces­saire, au risque qu’un écart ne se creuse entre le poten­tiel de l’intelligence arti­fi­cielle en san­té et la réa­li­té dans la pra­tique de nos pro­fes­sion­nels de santé. 

Acteurs de santé, encore un effort ! 

Auto­ri­tés de san­té et pro­fes­sion­nels de san­té ont une res­pon­sa­bi­li­té de col­la­bo­ra­tion aux côtés des indus­triels pour per­mettre le déploie­ment des solu­tions d’intelligence arti­fi­cielle au ser­vice des patients. Cette arti­cu­la­tion doit se mettre en place afin de lais­ser la tech­no­lo­gie de l’intelligence arti­fi­cielle s’installer dans la pra­tique médi­cale et le par­cours de soins. Notre sys­tème de san­té est robuste, mais écla­té entre les acteurs his­to­riques des soins, sou­vent déten­teurs de la don­née de san­té, et des nou­veaux acteurs qui, eux, sont déten­teurs de la tech­no­lo­gie pour tirer tout le poten­tiel de cette don­née. Le sec­teur de la san­té est peut-être conser­va­teur par nature, pru­dent car inter­ve­nant sur l’être humain ; il doit cepen­dant ras­sem­bler et arti­cu­ler ses acteurs pour per­mettre de libé­rer grâce à l’IA toutes les pro­messes de la don­née au ser­vice du patient.


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