Apprendre à apprendre.
L’accélération du progrès technologique, l’explosion de la demande au niveau des utilisateurs, en particulier en logiciels et services, font que l’informatique a un bel avenir devant elle.
La nouvelle donne est que le système d’information est le résultat des initiatives personnelles. Nous sommes en passe d’assister à une véritable appropriation par l’homme, les grands systèmes devenant les médias-serveurs pour les utilisateurs dans un cadre convivial, multimédia.
Bernard Dufau, Supelec, président-directeur général d’IBM France – dont tout le parcours professionnel s’inscrit dans la vie du plus grand et du plus beau fleuron mondial de l’industrie informatique – affiche son optimisme. Cultivant son goût intellectuel pour les concepts et les idées, aimant faire partager son savoir et ses motivations, il nous livre son analyse.
Dans l’échange homme-machine, la technologie doit permettre à l’homme de conduire la machine. Une machine appelée à coller aux sens de l’homme (la parole, la vision, l’ouïe). Ce tableau réjouissant porte toutefois une ombre : tous les pays ne marchent pas au même rythme, la France accusant un certain retard en la matière. Son élite tend à préserver ses acquis et manifeste une certaine condescendance vis-à-vis du monde de l’informatique. Rétive, elle doit pourtant savoir se préparer à vivre dans le monde du doute, du changement, de la complexité.
Interview de Bernard DUFAU par Philippe BROUSSE
Où en est aujourd’hui IBM en France ? Après l’orage, votre compagnie est revenue en force. Quels impératifs stratégiques déterminent votre développement ?
Bernard Dufau : IBM en France, en 1997, c’est trois activités : la première a trait à la commercialisation de notre offre vis-à-vis du marché français. C’est la plus connue. La deuxième concerne la fabrication de produits spécifiques (mémoires à Corbeil-Essonnes et grands systèmes à Montpellier) où notre objectif est d’avoir le meilleur prix de revient. La troisième activité porte sur le développement de nouveaux produits de réseaux à La Gaude.
Au cours de ces dernières années, nous avons profondément transformé notre compagnie. Nous sommes devenus très actifs en matière de logiciels et de services. Cet aspect dépasse désormais celui du matériel proprement dit. Notre stratégie repose aujourd’hui sur deux métiers fondamentaux, la technologie et l’accompagnement de la technologie chez nos clients afin qu’ils l’utilisent.
Ce second métier est devenu aussi important que le premier. Il affiche de forts taux de croissance alors que pour notre métier de base, la croissance est plus faible voire nulle, seul l’environnement PC enregistrant un développement satisfaisant.
Où en sont les valeurs connues et reconnues d’IBM ?
B. D. : Les valeurs d’IBM restent les mêmes : l’éthique dans les affaires, l’excellence dans le fonctionnement interne et la prédominance du client. Il est vrai, que la valeur client marque un grand retour. Elle est fondamentale. Le client est au coeur de notre évaluation, de notre système de management. Il doit conduire l’évolution d’IBM.
Comment voyez-vous l’avenir de l’industrie informatique ?
B. D. : Je suis très positif sur l’avenir de ce secteur. C’est d’ailleurs une énorme chance d’y travailler. Il ne cesse pas de se développer.
Cette industrie est jeune, et doit connaître encore des bouleversements. L’informatique va davantage pénétrer les entreprises, les foyers, modifiant l’acquisition des connaissances ou la relation entre le citoyen et l’administration, par exemple.
La seule question que je me pose, c’est de savoir à quelle vitesse cette transformation va se faire ? Il y a un véritable différentiel selon les continents, les pays, les tranches d’âge quant à la capacité d’accès au savoir, à l’information. Prenons Internet : en France, trop peu de personnes l’utilisent, en particulier le milieu de l’enseignement y semble rétif ou tout du moins les autorités compétentes ne l’incitent guère à se l’approprier.
Quelle sera la conséquence d’une telle attitude ? Je ne le sais pas mais je constate qu’un écart se creuse avec d’autres pays. Or, être en dehors de ce monde-là cloisonne très fortement le développement des connaissances. Avoir accès à l’information ne va pas à l’encontre de l’esprit critique. Il convient de savoir associer les capacités technologiques avec la pédagogie. De leur côté, les responsables des grandes administrations et un nombre non négligeable de chefs d’entreprise considèrent toujours que l’informatique est un centre de coûts alors qu’il s’agit d’un investissement de compétitivité.
Notre élite n’est-elle pas, pour partie, responsable de cette situation ?
B. D. : L’élite de notre pays est un peu condescendante vis-à-vis du monde de l’informatique. Pourtant, l’informatique est un outil et non une finalité. Elle permet d’avoir une information plus réactive, plus rapide. Mais être familier de l’outil, se l’approprier, ne semble pas encore, en France, bien réalisé.
La France possède pourtant d’importants atouts dans le domaine de la haute technologie.
B. D. : Nous avons des capacités industrielles et technologiques. Elles sont liées à la recherche, à l’innovation, à la qualité de nos ingénieurs reconnue au niveau mondial. Cette industrie est une opportunité pour la France. Mais nos atouts sont, pour le moment, freinés par nos handicaps culturels. Le réflexe de la protection l’emporte encore trop souvent sur celui de l’ouverture des frontières. Ce qui est nouveau rebute. Les Français restent sceptiques devant la nouveauté.
Le défi de l’industrie informatique est de faire en sorte que les applications aient un sens pour la vie de chacun, d’être un formidable facteur de progrès humain. Comment la technologie doit-elle permettre à l’homme de conduire la machine, de lui redonner plus de valeur ajoutée, plus d’initiatives, plus de responsabilités ?
B. D. : L’échange homme-machine passe par un comportement culturel. Il faut dépasser le niveau primaire du concept informatique. On ne sait pas encore parler à une machine. On impose des contraintes. Par rapport à cela, les individus se sentent défensifs. Les progrès de l’informatique devraient faciliter cette nouvelle approche des individus. Le domaine où l’on doit faire le plus de progrès et qui nécessite le plus de recherche, est dans la relation, le dialogue homme-machine. Il s’agit de discipliner la technologie de base pour aller dans le sens de la convivialité.
Parmi les atouts de la France, vous avez fait référence à la qualité de ses ingénieurs. Pour vous, quel est le profil de l’ingénieur de demain ?
B. D. : L’un des problèmes majeurs en France est l’importance accordée au diplôme. Cette situation n’aide pas à intégrer l’idée de changement. La certitude qu’apportent les diplômes de haut niveau d’une part, et la nécessité au changement d’autre part, sont deux notions antinomiques. L’une repose sur la protection, l’autre sur la remise en cause. Il y a là un problème d’adaptabilité, de changement d’état d’esprit.
Il conviendrait ici de parler de la gestion du changement dans les entreprises. Il est important de se renouveler, de s’adapter. Il faut inculquer aux jeunes ingénieurs cet impératif d’apprendre en permanence, par eux-mêmes. Ils doivent l’intégrer dans leur emploi du temps, être curieux de ce qui se passe, et se remettre en cause. Ce « commandement » doit être présent systématiquement dans leur esprit. Il convient de se former constamment afin d’assimiler plus facilement les changements qui interviennent. C’est le concept de connaissance et de savoir-faire.
Nos grandes écoles sont une très bonne formation pour apprendre le raisonnement. Mais la formation reçue n’est pas une fin en soi. Elle n’est que le début d’une carrière. Les projets pédagogiques doivent aborder rapidement cette question déterminante, et les élèves recevoir une formation plus ouverte, plus imaginative, qui associe la culture, la technologie et les sciences humaines.
Des compagnies comme les nôtres ont besoin d’ingénieurs, bien sûr, mais aussi d’hommes de marketing, de communication, de scénaristes – le monde littéraire doit jouer un rôle de plus en plus grand dans l’entreprise -, bref de profils de pensée, de visions différentes, de compétences complémentaires.