Apprendre avec les robots : futile ou indispensable ?
Nous connaissons une accélération technologique sans précédent. Ces transformations soudaines induisent des ruptures de plus en plus rudes et brutales. Le rôle de l’école s’en trouve renforcé mais également complexifié. Comment donner des bases solides sans être à la traîne du monde en marche ? Tel est le défi permanent de l’enseignement qui doit réinventer sans cesse ses méthodes. Il est temps d’introduire un Plan robotique à l’école.
Les années 2000 ont installé l’Internet dans notre quotidien. L’école, un temps débordée par cette nouvelle technique de collaboration et d’information, a progressivement refait son retard en proposant des processus pédagogiques en ligne. Elle a introduit avec succès le temps réel, l’actualité, la wikiculture dans les salles de classe.
Après l’ère de l’outil et de la machine, bienvenue dans l’ère du robot. Cette révolution technologique, cette robolution, doit également être comprise et accompagnée. Il faut initier des réflexes et des habitudes de travail avec les robots. Le premier pas vers cette collaboration homme-robot est d’utiliser la robotique comme vecteur d’enseignement des matières traditionnelles.
REPÈRES
Dans les années quatre-vingt, à la naissance des ordinateurs personnels, les jeux ludoéducatifs ont voulu ouvrir la voie de nouveaux modes d’apprentissage. L’initiative du Plan informatique pour tous, tant critiqué, est à ce titre un remarquable exemple d’anticipation scolaire des bouleversements de la société. Il a permis à des millions d’enfants d’avoir accès à des ordinateurs pour être préparés à leur société future.
Comment capitaliser sur les expériences numériques précédentes pour réussir l’entrée du robot à l’école ? L’utilisation de l’ordinateur à l’école semble déjà une vieille idée même si elle n’est qu’à peine trentenaire. Pour que son extension à la robotique ne soit pas qu’une répétition de l’histoire, il convient d’en tirer un bilan pédagogique. Nul ne doute que les jeux vidéo en milieu scolaire ont démontré leur impact positif sur la motivation des élèves, l’acquisition accrue de certaines compétences (sociales, spatiotemporelles, intellectuelles) et la création d’une dynamique collaborative positive entre les enfants, les parents et les enseignants.
Ludoéducatif
Les premiers jeux vidéo éducatifs tels que Snooper Troops, en 1982, pour la résolution de problèmes ou Where in the world is Carmen Sandiego ? en 1985, pour l’apprentissage de la géographie remplissaient cette mission. Les termes de edutainment en Amérique du Nord et de » ludoéducatif » en France définissaient alors un nouveau marché.
Toutefois, les chercheurs en sciences de l’éducation se sont posé la question du réel potentiel éducatif des jeux sur ordinateurs dont l’approche initiale consistait simplement à développer des interactions ludiques pour faire apprendre différents contenus. En effet, ils reposaient souvent sur un modèle simpliste dans lequel alternaient des problèmes éducatifs à résoudre et des systèmes de récompenses. La pauvreté des modèles cognitifs sous-jacents était leur principale faiblesse.
Trente-six principes d’apprentissage
Dans les années 2000, une recherche différente partant de l’observation des jeux vidéo non éducatifs s’est mise en place. Elle a souligné 36 principes d’apprentissage employés instinctivement par les concepteurs de jeux. Les modes de gratification notamment pouvaient être transférables aux activités éducatives et améliorer les validations d’acquis. Ils demeurent encore aujourd’hui largement ignorés. En 2005, après une phase de repli du marché ludoéducatif, le serious game annonçait le retour en grâce du développement de jeux conçus pour favoriser des apprentissages. Néanmoins, l’écart flagrant entre l’ambition et l’exécution de la plupart des jeux décrédibilisait leur valeur pédagogique.
Des capacités non exploitées
Les logiciels ludoéducatifs, pour l’essentiel, transcrivent les méthodes classiques d’apprentissage. Ils n’explorent pas les capacités intrinsèques des nouveaux moyens technologiques. Les nouveaux usages liés à la 3D, la connexion en réseau ou la géolocalisation ne sont pas exploités. Ces technologies sont employées comme un habillage nouveau par exemple.
L’utilisation des technologies numériques n’a finalement que transposé l’ancien vers le nouveau. Peut-on aller plus loin avec d’autres outils ? Mais tout d’abord, pourquoi la robotique prendelle du sens à l’école ?
Connaissances déclaratives ou procédurales
Tous les savoirs ne sont pas équivalents. On distingue deux types de connaissances, qualifiées de déclaratives ou procédurales. Les premières, déclaratives, sont descriptives et explicables verbalement. L’apprentissage du vocabulaire en fait partie comme celui des noms de pays. Les connaissances procédurales concernent tous les phénomènes mettant en jeu des habiletés ou des savoir-faire comme pédaler sur un vélo ou accorder des verbes au sujet. Les processus actuels d’acquisition, notamment dans le domaine des matières scientifiques, pèchent par diverses limites pratiques comme la représentation ou la localisation. Ces connaissances ne sont en effet pas » visualisables » par les outils traditionnels de l’enseignement (texte, diagramme, photo). Les phénomènes complexes, tels que le repérage
Une approche parcellaire
Certaines notions souffrent d’une approche parcellaire ou réduite. L’écosystème naturel, par exemple, n’est compréhensible que dans son ensemble et nécessite d’appréhender différents » lieux » qui sont rarement visibles et surtout manipulables depuis la salle de classe.
dans l’espace et le temps ou le cycle de l’eau par exemple, manquent ainsi de représentation. L’introduction de la robotique dans le champ d’expérience pédagogique est une réponse crédible à la transmission de ce type de savoirs. On constate de plus une nette désaffection pour les matières scientifiques et techniques qui représente un risque à la fois pour le renouvellement des cadres scientifiques et techniques, mais aussi pour l’industrie et la compétitivité. Diverses démarches proposent ainsi de favoriser un enseignement fondé sur les démarches d’investigation scientifique où la robotique prend tout son sens.
Une évolution majeure de la société
On ne peut enfin ignorer la préparation des enfants à leur quotidien de demain. Des signes forts indiquent une évolution majeure d’une société des technologies de l’information vers un monde d’intelligence avec des robots, futurs compagnons de vie, que ce soit pour nos loisirs, nos apprentissages ou à notre service. L’usage de la robotique en milieu scolaire est là, un terrain de jeu pour expérimenter des relations aux machines qui seront très différentes de celles d’aujourd’hui.
Les connaissances procédurales mettent en jeu des habiletés ou des savoir-faire
La robotique à l’école apporte donc des outils de meilleure appréciation d’un monde complexifié et induit un nouveau rapport à la machine nécessaire à la construction de notre société future. Mais quels produits mettre en place et dans quel but précis ? Un robot se définit comme un système qui intègre des capteurs, un processeur et des actionneurs, et opère de façon autonome ou semiautonome en coopération avec les humains. Il développe au travers d’une intelligence artificielle une capacité d’adaptation aux environnements imprévisibles. Comment les robots peuvent efficacement apporter des solutions pédagogiques ?
Un support pédagogique
L’essentiel des objets robotiques d’enseignement se présente sous la forme de kits ou plateformes robotiques à monter soi-même ou prémontés avec des capacités de programmation. Les robots servent alors de support pédagogique pour appréhender et appliquer les notions de mécanique, électronique, ou programmation informatique.
Une motivation accrue
Les professeurs ayant utilisé des robots dans un cadre pédagogique témoignent certes de certaines difficultés dans la mise en place du cours ou du projet incluant l’expérience robotique, mais surtout des aspects positifs de leur expérience : motivation des élèves accrue (ancrage dans le monde réel et relation » émotionnelle » à l’objet) ; amélioration des apprentissages des concepts scientifiques « abstraits » (tangibilisation des concepts); multidisciplinarité c’est-à-dire développement de l’esprit collaboratif et de l’intelligence émotionnelle (relationnel, confiance en soi, résolution de problèmes).
Agir sur le réel
Les robots sont donc perçus comme des outils efficaces d’apprentissage qui tissent un lien émotionnel avec les élèves. Mais cela n’est que la partie émergée de l’iceberg qu’il faut compléter par des logiciels bénéficiant du savoir-faire des jeux ludoéducatifs. Mixer la complexité des mécanismes d’immersion et
Le mariage raté des robots et des jeux vidéo
Une première approche consiste à utiliser le robot en tant que périphérique d’entrée ou de sortie d’un jeu. Le dispositif robotique est alors à la fois proposé comme outil en tant que tel et comme moyen d’agir sur les personnages ou événements d’un jeu vidéo. L’une des rares initiatives dans ce sens fut ROB (Robotic Operating Buddy) pour la console Nintendo. Son échec commercial dans les années 1980 s’explique par le peu de logiciels prévus pour ce dispositif. L’état actuel de la robotique et le développement du jeu vidéo online permettent une approche beaucoup plus riche que ce qui était disponible à l’époque.
de gratification de jeux vidéos et les innovations robotiques apparaît comme la synthèse des expériences pédagogiques numériques. On ne se contente plus de regarder par la fenêtre de l’écran des simulations virtuelles mais on agit sur le réel avec une communication et des formules logicielles sophistiquées. Pour aller plus loin, connecter un robot à l’Internet pour l’utiliser comme son » supercerveau « , à la fois centre de traitement, base de données, captage d’information à distance ou émetteur d’ordre sur des actionneurs distants (caméras, sondes) permettra d’utiliser un robot capable de voir et d’agir au-delà de la salle de classe et de percevoir et manipuler des données ou des objets à distance.
Des outils efficaces d’apprentissage qui tissent un lien émotionnel avec les élèves
À l’inverse, le pilotage d’un robot à distance donne aux élèves la possibilité d’explorer des territoires extérieurs à leur environnement direct. Le robot devient alors une extension de l’action humaine et ouvre le champ d’expérimentations sans risque, sources majeures d’apprentissage.
Amplifier le champ d’expérience
L’utilisation de la robotique dans l’enseignement amplifie considérablement le champ d’expérience des élèves que l’on peut résumer en quelques points majeurs : 1) la possibilité d’engager des apprenants dans des activités fondées sur un nouveau mode de gratification, provenant des jeux vidéo, et basé sur les mécaniques ludiques ; 2) la pertinence des robots dans l’apprentissage des connaissances procédurales et leur aptitude à faciliter le transfert aux apprenants des savoirs non descriptifs et en lien avec des phénomènes complexes ; 3) l’interface innovante que représente la robotique en tant que mode d’appréhension du monde grâce à des capteurs nomades ouvre la voie à un contact direct avec l’espace physique et le renouveau des instruments de collecte ou de mesure ; 4) la mise en place de situations collaboratives d’apprentissage puisqu’elles ont prouvé leur valeur pédagogique, mais sont peu employées dans les jeux sérieux ; 5) l’introduction à l’école d’un appareil technologique attractif et innovant afin de préparer la génération d’aujourd’hui à l’environnement technologique de demain et de susciter un intérêt renouvelé des enfants, y compris des jeunes filles, pour les matières scientifiques et techniques. Tous ces avantages ne peuvent néanmoins être mis en évidence qu’avec une volonté politique de mise en place de robots dans l’enseignement.
Un Plan robotique à l’école
Il faut une volonté politique de mise en place de robots dans l’enseignement
La France a l’opportunité de saisir la robolution en marche pour préparer les générations futures au défi de demain. Au regard des atouts de l’introduction des robots en milieu scolaire, une prise de conscience de leur intérêt n’est qu’un premier pas.
Suite à la volonté politique et à l’implantation des ordinateurs dans les écoles, les ingénieurs français en génie logiciel font référence dans le monde entier. Établir les bases d’un véritable Plan robotique à l’école donnerait un nouvel élan à l’intérêt pour la science, permettrait la formation de roboticiens et d’établir notre pays en leader de ce secteur majeur du XXIe siècle.
La Corée en pointe
Un rapide tour du monde démontre que seule l’Asie a déjà intégré la robotique dans son cursus scolaire. Aux États-Unis, l’utilisation de robots pour l’éducation est concentrée essentiellement au sein des grandes universités comme le MIT, Carnegie Mellon ou Stanford. Elle reste embryonnaire et réservée aux clubs robotiques dans le reste du système scolaire américain. En Europe, la robotique est très peu présente et principalement au sein d’universités ou établissements d’enseignement supérieur à dominantes scientifiques et techniques. En Asie, le vieillissement de la population et la volonté d’excellence technologique ont amené les gouvernements à développer des programmes nationaux robotiques ambitieux. En Corée, le plan gouvernemental « 21st Century Initiative » engage l’État à investir 1 milliard de dollars sur dix ans de 2002 à 2012 pour la recherche et l’éducation dans le domaine de la robotique. Cet investissement sans précédent a eu une conséquence immédiate dans le monde de l’éducation avec la présence de robots à l’école dès la maternelle et l’offre par 80% des cursus d’After Class d’un programme spécifique robotique. L’objectif de ce pays est de devenir le premier producteur de robots de service au monde en 2020 et ils forment une génération pour cela.