Approche historique des relations de l’École polytechnique avec les élèves étrangers
La thèse d’Anousheh Karvar
La thèse d’Anousheh Karvar
La thèse qu’Anousheh Karvar a consacrée aux polytechniciens étrangers a mis en lumière la problématique des relations entre l’École polytechnique et ses élèves étrangers, de 1794 à 1985. Il semble bien que, pour la période considérée, il n’y a jamais eu de politique claire et volontariste, l’École s’est pliée aux évolutions des relations de la France avec d’autres pays. On peut déterminer plusieurs époques.
HOÀNG XUÂN HAN (X 1930).
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE
Dans ses débuts, alors que la France a conquis un certain nombre de départements sur ses voisins européens, l’École polytechnique accueille des étrangers qui deviennent français par conquête et on peut se demander si ce sont de » vrais » étrangers. C’est aussi l’époque de la grande renommée scientifique de l’École qui attire les étrangers par la qualité universellement reconnue de ses enseignants.
Après l’Empire, la situation change : d’une part, l’accès à l’École pour les étrangers devient plus difficile, d’autre part l’attraction scientifique diminue du fait de l’évolution de l’École mais aussi de la présence d’autres acteurs dans la formation scientifique en France. Les relations diplomatiques de la France vont jouer un rôle de plus en plus déterminant dans l’accueil des élèves étrangers, ce qui explique la présence de cohortes d’étudiants provenant soit d’un pays, soit d’un autre, au gré des décisions politiques.
Les choix de la diplomatie se portent plus sur des étudiants militaires que sur des étudiants scientifiques, afin de favoriser les alliances dans une Europe en équilibre fragile et de contrer les influences allemande et anglaise.
Le nombre des étudiants étrangers diminue très sensiblement après 1870. À cause de la défaite, l’École se replie sur elle-même et toujours à cause de la défaite, son prestige à l’étranger est fortement atteint. L’accueil des étudiants étrangers devient de plus en plus difficile.
Il faut attendre 1920 pour que l’École se préoccupe vraiment de ses élèves étrangers en leur donnant un statut et un titre, vraisemblablement sous l’instigation des diplomates afin de contrer l’influence allemande.
Cette ouverture n’a pas eu d’effet immédiat et le nombre d’étrangers admis à l’École reste très faible, en partie parce qu’ils doivent passer le même concours que les élèves français, donc être de formation française.
Ce n’est qu’à partir de 1954 que les effectifs des élèves étrangers vont se gonfler, avec la prépondérance des élèves originaires des pays de l’Empire colonial accédant à l’indépendance.
Force est de constater que l’École n’a assuré aucun suivi de ces élèves – et ce n’est que par l’A.X. qu’on a une idée de leur carrière et en particulier du taux de retour dans le pays d’origine.
» Vrai » et » faux » étranger
Les débats qui ont entouré la thèse ont tous été marqués par le besoin de définir ce qu’est un élève étranger pour l’École polytechnique. Peut-on considérer comme un » vrai » étranger l’élève qui a suivi tout son cursus scolaire dans le système français et qui surtout a fréquenté les classes préparatoires ? Les élèves étrangers sont en fait totalement incorporés dans un corps homogène constitué d’élèves ayant reçu le même type d’enseignement. Ils ne sont pas étrangers à la culture française. L’ouverture actuelle de l’École remet en cause ce schéma en faisant une place aux » vrais » étrangers, c’est-à-dire à des élèves qui ne sont pas de culture française.
La double vocation de l’École
L’un des problèmes que rencontre l’École depuis sa création, pour recruter des élèves étrangers, est sa double vocation, à la fois scientifique, donc très ouverte et soucieuse de partager les connaissances, et politique pour former la haute fonction publique du pays, donc réservée aux seuls Français. La question se pose depuis les origines : cette double vocation est-elle une contradiction insurmontable ou un enrichissement ?
La notion de modèle
N.D.L.R. : la couverture de ce numéro est un portrait du général Guillaume-Henri Dufour (X 1807), qui joua un rôle éminent dans l’histoire de la Confédération helvétique. Son action lors de la guerre du Sonderbund (1847) fut déterminante, et il participa étroitement à la création de la Croix-Rouge.
La Jaune et la Rouge a publié en mars 1988, sous la plume de Pierre Stroh (31), un article sur ce grand polytechnicien suisse.
Les intervenants ont aussi débattu du modèle polytechnicien. Ce modèle est très centré sur tout un système de formation et sur une organisation sociale. On peut légitimement se demander s’il est exportable en l’état et quel est son taux de recevabilité dans les pays comme l’Espagne, la Russie et l’Égypte au XIXe siècle et les pays du Maghreb au XXe.
L’élève » différent »
Les grandes écoles d’ingénieurs ont été marquées par un enseignement organisé pour des élèves masculins. L’introduction des filles, comme celle des élèves étrangers, impose une forte remise en cause de l’enseignement, de son organisation et de ses finalités.
Il ressort des communications et des débats de la matinée que l’ouverture actuelle vers l’étranger suscite beaucoup d’interrogations et qu’elle ne peut se faire qu’au prix d’une profonde remise en cause de l’institution et de son enseignement.