Après Fukushima : comment communiquer sur le nucléaire ?
Dès le début de l’accident de Fukushima, et après les premières inquiétudes concernant de possibles conséquences radiologiques de l’accident hors du Japon, les médias sollicitent les différents experts et porte-parole de l’industrie nucléaire pour expliquer et commenter l’accident.
Ils leur posent aussi, souvent au cours de débats avec des opposants, la question la plus importante pour le public : « Est-ce qu’un tel accident peut se produire chez nous, sur nos centrales ?»
Un désastre naturel
Est-ce qu’un tel accident peut se produire chez nous, sur nos centrales ?
Question d’autant plus pertinente qu’il s’agit cette fois, à la différence de l’URSS de Tchernobyl, d’un pays réputé pour sa sophistication technologique. Le public comprend que l’origine de l’accident est un désastre naturel exceptionnel : un tremblement de terre d’amplitude 9.0, suivi d’un tsunami.
Il s’initie aussi, au fil des débats, au fonctionnement technique d’une centrale nucléaire : il apprend par exemple qu’il faut continuer à refroidir le cœur même après la mise à l’arrêt de la centrale, ou découvre le rôle des piscines de déchargement.
Alors que la question des déchets et du risque terroriste était, avant l’accident, la première préoccupation des Européens en matière nucléaire1, la question de la sûreté lors du fonctionnement des centrales revient au premier plan. La confiance se rétablit néanmoins dans les mois qui suivent, à la faveur de la publication des résultats des stress tests et vérifications de sûreté dans l’ensemble des pays.
Rétablir la confiance
Réalisée dix-huit mois après l’accident dans vingt-quatre pays, une étude Ipsos Mori montre que la proportion des personnes interrogées qui se disent très favorables à l’énergie nucléaire a regagné en moyenne 14 points entre avril 2011 et septembre 20122. En France, le gain est de 32 points. Reflet de la confiance envers les autorités de sûreté – très proactives et transparentes pendant l’accident, elles ont conforté leur crédibilité auprès du grand public –, ce gain peut aussi être relié à la réalisation et la publication des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) sur les installations nucléaires, et à l’annonce du plan de travaux d’EDF sur le parc des centrales.
Cette restauration de la confiance aura été finalement très rapide en comparaison avec l’accident de Tchernobyl, pour lequel il avait fallu presque quinze ans. L’étude montre au total sur tous les pays 45 % d’opinions en faveur du nucléaire, avec des écarts très significatifs entre des pays comme les États-Unis (66 %), le Royaume-Uni (59%) ou la Pologne (53 %), et à l’opposé l’Allemagne (26 %) ou le Japon (36 %).
Apprivoiser les réseaux sociaux
L’information sur l’accident passe désormais aussi bien sûr par Internet et les médias sociaux. Le volume des mentions du terme nuclear energy sur Internet est multiplié par 20 entre février 2011 et mars 2011, avec entre autres les commentaires de personnalités connues sur Twitter, propagés auprès de leurs nombreux abonnés.
Communiquer en temps de crise
Au mois de mars 2011, les experts nucléaires sont confrontés à de sérieux défis pour garantir la transparence de l’information relative à l’accident. Au Japon, Tepco, débordé dans les trois premiers jours, ne publie ensuite qu’en japonais. Le Japon Atomic Industrial Forum (JAIF), forum des industriels, se voit alors confier la publication de l’information en anglais.
Il publie quotidiennement sur son site un récapitulatif détaillé sur les événements de la journée et l’état des réacteurs. Malheureusement, l’inventaire comptera encore pendant de nombreuses semaines beaucoup d’inconnues, et l’information mise en ligne par le JAIF, très technique, reste compréhensible par les seuls spécialistes.
En France, l’ASN et l’IRSN, qui publient en français sur leur site des informations compréhensibles par des audiences non techniques, restent relativement peu connus du grand public.
Le volume retombe soudainement dès le mois d’avril au même niveau qu’avant l’accident. Toujours selon l’étude Ipsos Mori, un peu plus de la moitié des personnes interrogées jugent en avril 2011 que les officiels japonais communiquent de manière « honnête » et « en temps réel ». Dans un tel contexte, on peut se dire que ce n’est finalement pas si mal : en tout cas, c’est beaucoup mieux qu’avant.
Cependant les médias traditionnels, focalisés sur la partie initiale événementielle de l’accident, réduisent rapidement leur couverture, pour ne s’intéresser de nouveau à l’accident qu’à l’occasion des anniversaires. Deux ans après l’accident, quel bilan tirer sur les médias, qu’ils soient traditionnels ou Internet ?
Confusions médiatiques
Un premier point tout d’abord : la confusion aujourd’hui est très grande, dans les grands médias, sur l’information concernant le nombre des victimes de l’accident. On peut entendre Claire Chazal prononcer, le 9 mars 2013, au journal de 20 heures de TF1 : « Deux ans après la catastrophe de Fukushima qui a fait plus de 19 000 morts. » Philippe Labro reproduit la même confusion dans Direct Matin le 15 mars. Dans les esprits, les victimes du tsunami sont devenues les victimes de l’accident nucléaire, lequel à ce jour pourtant, même s’il s’agit bien sûr d’une catastrophe, n’a toujours pas officiellement produit un seul décès lié à la radioactivité.
En cause, entre autres, certainement une question de vocabulaire : alors que les Japonais distinguent le « tremblement de terre et le tsunami de Tohoku (Nord- Est)», et l’accident de Fukushima, et font très nettement la différence entre les conséquences sanitaires des deux événements, les Français ne connaissent qu’un seul nom dont ils confondent les conséquences.
Les militants en première ligne
Un second point concerne Internet, où l’information sur l’accident aujourd’hui porte sur les risques sanitaires liés à la contamination des territoires et aux faibles doses, les procédures de gestion du site et de décontamination hors site, et les conséquences économiques et psychologiques pour les populations déplacées.
Dans les esprits, les victimes du tsunami sont devenues les victimes de l’accident nucléaire
Selon un phénomène analysé récemment par le sociologue Gérald Bronner dans son livre La Démocratie des crédules (PUF) : « La parole des militants est désormais mise sur le même plan que celle des scientifiques. Les premiers étant plus motivés et communiquant mieux que les seconds. La plupart des débats sont tronqués. » Les analyses réalisées par la SFEN, dans le cadre de sa mission d’information du public, montrent que dans de nombreux exemples de requêtes Google, les blogs antinucléaires apparaissent dans les premiers liens proposés. Or, d’après les spécialistes en communication, 70 % des internautes cliqueraient, quand ils font une requête, sur un des trois premiers liens.
Comment l’expliquer ? Les militants antinucléaires sont plus motivés, comme le dit Gérald Bronner, publient plus en volume, et plus souvent. Ils maîtrisent aussi mieux la technique et l’utilisation des réseaux sociaux.
Mieux informer
Forte de ces enseignements, à l’occasion du débat sur la transition énergétique, la SFEN a mis en place ainsi de nouveaux outils de communication. En plus de sa présence dans les grands médias, de l’organisation d’événements et de débats labellisés à Paris, et de son site Internet qui présente une source documentaire de plus de 1 000 documents, elle a lancé un blog « Énergies et Nucléaire », ouvert un compte Twitter, et expérimente de nouvelles méthodes d’information.
Blogueurs contre experts
Il ne faut pas sous-estimer l’utilisation d’outils comme les blogs, que favorisent les moteurs de recherche. Les militants savent aussi générer l’information virale qu’affectionne Twitter par exemple : les accroches sensationnelles, émotionnelles, ou provocatrices que les communautés du Web aiment propager.
Cela d’autant plus que le public n’exige pas finalement d’un militant d’être exact : il attend avant tout qu’il soit convaincu. L’information fournie par les experts, par définition factuelle et mesurée, paraît moins attractive, est moins relayée, et se retrouve par conséquence moins accessible.
L’enjeu n’est pas cette fois-ci d’informer sur Fukushima, mais de permettre aux Français de mieux connaître toutes les énergies, le nucléaire en particulier. Il s’agit bien sûr aussi de mettre en avant les bénéfices du nucléaire, en termes de compétitivité, de bilan CO2, d’emplois et de balance commerciale.
Il s’agit, au-delà du débat, d’animer la communauté des ingénieurs de l’industrie, et de tous ceux qui s’intéressent à l’énergie nucléaire et à ses applications.
Il s’agit enfin, dans les années qui viennent, d’accompagner le renouvellement de générations d’une industrie qui prévoit de réaliser près de 120 000 embauches d’ici 2020.
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1. Special Barometer 324, Europeans & Nuclear Safety, mars 2010, p. 11.
2. Ipsos Mori, Robert Knight, octobre 2012.
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Mme Chaudon, comme presque
Mme Chaudon, comme presque toute la Technocratie Atomique ne propose que des « opérations de communication » pour « rétablir la confiance » face aux risques d’explosions des centrales nucléaires. Ca prouve à quel point le Lobby de l’Atome est à bout de souffle.
Malheureusement la réalité est triviale, pas la peine d’être diplômé de l’X pour la percevoir : Depuis Fukushima les citoyens des pays nucléaires avancés peuvent mesurer en temps réel l’énormité des coûts et des conséquences d’un accident nucléaire qui, selon les calculs des promoteurs de cette industrie, n’avait pourtant qu’une chance sur 1 million de survenir. Pour le moment le chiffrage complet des dégâts engendrés par la catastrophe de Fukushima avoisine les 100 milliards, pour seulement 2 décès reconnus. Fukushima est donc la catastrophe industrielle la plus coûteuse de l’histoire de l’humanité.
Mais le pire est à venir : Mme Chaudon, comme tout bon Technocrate de l’Atome sait que la facture ne va faire qu’empirer pendant des décennies. Conclusion du citoyen de base : je n’aurai confiance dans le nucléaire que quand cette industrie provisionnera correctement le cout complet d’un accident nucléaire, c a d rien que pour la France, un montant compris entre 400 et 5400 milliards d’euros selon les études de l’IRSN.
Cette question est loin d’être secondaire. Le fait que plus personne n’ose se prononcer sur la finalisation du contrat de centrales nucléaires d’Areva en Inde ne serait-il pas, par hasard, lié à une problématique des coûts d’assurance en cas d’accident qu’Areva va être obligée de provisionner ?