Après la fête
En musique, comme en gastronomie – deux arts bien proches – la satiété est le danger qui guette l’amateur trop gourmand. Après une période d’excès, le sage s’impose un régime comme une pénitence, et, alors qu’il comptait s’ennuyer, il y découvre parfois des plaisirs nouveaux.
Rebel
Dans la musique baroque, le pire côtoie le meilleur. Comme dans tous les domaines, le culte de la musique ancienne a généré ses fondamentalistes et ses ayatollahs, dont la rigueur dogmatique nous insupporte. Mais il a aussi donné naissance à des petits ensembles de musiciens joyeux, libres et subtils, comme “ L’Assemblée des Honnestes Curieux ”, qui vient d’enregistrer six Sonates pour violon et basse continue de Jean-Ferry Rebel1. Rebel, a dit un chroniqueur du Grand Siècle, a mis dans ses sonates “ le feu italien (…) tempéré par la sagesse et la douceur françaises ”, et, surtout, il a été un créateur à l’innovation audacieuse. Chacune de ces sonates est comme une épure raffinée et complexe, et le phrasé très recherché, aux inflexions sensuelles, de la violoniste Amandine Beyer (dont on avait signalé ici les sonates de CPE Bach) est un élément majeur de notre plaisir.
Trombone
Le trombone, qui est un des piliers des ensembles de jazz – et pas seulement dans le jazz traditionnel – est rarement soliste en musique classique. Tommy Dorsey, dont l’orchestre de jazz tempéré a fait, comme celui de Glenn Miller, les beaux jours du Broadway des années quarante, avait été le dédicataire et le créateur d’un Concerto pour trombone et orchestre commandé par Leopold Stokowski au compositeur de musiques de film Nathaniel Shilkret, concerto retrouvé récemment et enregistré par le Suédois Christian Lindberg2 et l’Orchestre Symphonique de Sao Paulo. C’est une musique chaleureuse et agréable, dans la lignée directe de celle de Gershwin, inspirée du jazz au premier degré (et non sublimé comme chez Ravel, Milhaud ou Stravinski). Sur le même disque figurent deux œuvres toujours tonales mais plus ambitieuses, le Concerto pour trombone et orchestre “Le retour de Kit Bones” de Fredrik Hökberg, pièce intéressante qui revendique son appartenance au monde de la musique de film, et Helikon Wasp pour trombone et orchestre de Christian Lindberg, très jolie pièce bien rythmée et pleine d’humour (amateurs de musique cérébrale s’abstenir).
DVD Richard Strauss
Les opéras de Strauss sont une singularité dans la musique du xxe siècle : ils sont faits avant tout pour plaire à l’auditeur, ils se réclament de l’héritage du xviiie siècle plus que du Romantisme, ils font appel à des librettistes majeurs (Von Hofmannsthal, Zweig), et, sans l’once d’une recherche formelle, qu’ils soient drôles, tendres, ou tragiques, ils déclenchent l’enthousiasme de l’amateur éclairé comme celui du béotien.Comme la mise en scène et l’appareil théâtral jouent un rôle essentiel dans les opéras de Strauss, le DVD en est le support idéal, si le metteur en scène est de qualité et les solistes de vrais acteurs. Ainsi, la publication en DVD de l’enregistrement public au Festival de Salzbourg, en 1992, de La Femme sans Ombre, sous la direction de Georg Solti avec le Philharmonique de Vienne et des solistes parmi lesquels Thomas Moser, Cheryl Studer, Eva Marton3, est un modèle du genre. Mais la palme revient à cet égard à Capriccio, donné au Palais Garnier il y a peu, et que certains d’entre vous ont peut-être eu la chance de voir sur la chaîne Mezzo, filmé in situ. Dernier opéra de Strauss, c’est aussi son chef‑d’œuvre absolu, une musique exquise, un “ caprice ” digne du siècle des Lumières sur la création en art ; et la beauté de Renée Fleming et d’Anne Sophie von Otter (et leurs voix, bien sûr), une mise en scène proprement géniale, qui s’appuie non seulement sur le dispositif scénique de Garnier mais sur les escaliers, le foyer, etc., font de cet adieu à la musique une perle rare que seul l’enregistrement numérique a rendu possible (disponible depuis peu dans le commerce).
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1. 1 CD ZIGZAG ZZT051102.
2. 1 SACD BIS 1448.
3. 2 DVD surround DECCA 071 425 9.