Après les tempêtes dévastatrices de 1999, comment reconstituer les forêts ?
Les tempêtes de décembre 1999
Les tempêtes de fin décembre 1999 ont connu une force et une ampleur géographique sans précédent en France.
Elles ont eu un impact considérable sur les forêts et le secteur forestier, des centaines de milliers d’hectares touchés et 140 millions de m3 de bois à terre (l’équivalent de trois à quatre années moyennes de récolte, ou de deux années de production biologique des forêts françaises), ainsi que des pertes économiques importantes et des conséquences sociales chez les propriétaires forestiers. Leur effet va se faire sentir sur plusieurs années.
La réactivité de l’État a été forte et des moyens financiers importants ont été dégagés. Enfin, la réaction de la société civile, à travers les médias, a confirmé l’intérêt que le citoyen accorde à la conservation de » son » patrimoine forestier – même si quelques mois plus tard la forêt a été reléguée dans l’oubli.
L’occurrence probable d’un tel aléa est très faible, mais les évolutions climatiques liées aux changements globaux ne risquent-elles pas de modifier la donne ? Les scientifiques, prudents, considèrent qu’une augmentation des tempêtes à l’occasion d’un changement climatique marqué (c’est-à-dire plus fort que celui observé jusqu’à maintenant) n’est pas impossible.
Parallèlement, la vulnérabilité de la forêt française s’accroît (à l’échelle du siècle) : augmentation des surfaces, accroissement des hauteurs et des volumes sur pied, objectifs de gestion devenant plus ambitieux et plus divers, vieillissement de la ressource, développement des plantations de résineux insuffisamment éclaircies, etc.
Ces évolutions trouvent leur origine aussi bien à l’extérieur du monde forestier (déprise agricole, valeurs sociales et environnementales données aux forêts…) que dans l’organisation de celui-ci (éclatement de la forêt privée, politiques forestières…) et constituent autant de facteurs à intégrer dans la gestion.
Un autre constat est que le risque, d’une manière générale, est insuffisamment pris en compte dans la gestion forestière, sylviculture et aménagement, notamment dans sa dimension économique. Enfin, les mécanismes de partage du risque par des systèmes d’assurance adéquats sont très peu développés.
Les objectifs de la reconstitution : un débat aux dimensions politiques, sociales et techniques
De nombreuses questions ou controverses ont émergé dans l’opinion et les médias quant aux causes supposées de la catastrophe, aux responsabilités sous-jacentes et aux leçons à en tirer pour l’avenir. Le choc provoqué par les tempêtes a également servi de déclencheur pour réactiver les vieux débats sur la place de la forêt et du secteur forestier dans les territoires, l’économie générale, la société, etc. C’est dans ce contexte que s’est établie la discussion sur la reconstitution, du point de vue des objectifs et des techniques à mettre en œuvre.
En effet, la reconstitution ne soulève pas seulement un problème technique : se pose avant tout la question de ses objectifs.
Dans les débats, cette question concerne surtout les responsables des politiques publiques, nationales et locales, qui vont accompagner la reconstitution. L’importance que va prendre le soutien financier public dans l’économie de la reconstitution justifie cette responsabilité du niveau politique.
Il est donc normal que s’organisent, notamment au niveau régional ou local, des discussions sur des sujets comme la place de la forêt et de ses enjeux dans le territoire (par exemple pour la production ligneuse et sa transformation, les paysages, le développement local ou l’articulation avec l’activité agricole) ou encore comme les palliatifs possibles au morcellement de la propriété forestière. Dans bien des cas, il s’agira de ne pas reconstruire à l’identique.
Du point de vue technique, les tempêtes ont aussi soulevé leur lot de controverses sur la stabilité des peuplements en relation avec les choix de gestion et de sylviculture.
Sont montrés du doigt les espèces exotiques, les peuplements mono-spécifiques et la gestion en futaie régulière. Néanmoins, il s’agit plutôt d’une revisite, à l’aune de la résistance aux tempêtes, de prises de position déjà connues, sans que l’argumentation associée à une observation des dégâts soit très convaincante.
Il ne faut pas négliger pour autant le phénomène d’amplification qu’offre le sentiment de catastrophe : en Allemagne, à la suite de la tempête de 1990 qui a fait 100 millions de m3 de dégâts, la sylviculture s’est orientée massivement vers la futaie irrégulière à base de feuillus. Le caractère excessif de cette mesure et l’absence de garantie par rapport à l’objectif invoqué de stabilité des peuplements nous font douter de la pertinence de ce choix. Le ministère de l’Agriculture et de la Pêche a donc souhaité disposer rapidement d’un état des connaissances, sur lequel s’appuyer dans les débats et les prises de décision de l’après-tempête1.
Pourquoi la reconstitution est-elle différente d’un reboisement » normal » ?
Tout d’abord, la situation économique du propriétaire sinistré n’est pas la même. L’opération n’a pas été programmée et les moyens de sa réalisation, en général la vente des bois du peuplement à renouveler, ont été fortement réduits voire anéantis. Cette situation influencera la prise de décision, de même que les choix techniques qui pourront être faits.
Ensuite, les dégâts de tempête se traduisent par un encombrement important du terrain : arbres enchevêtrés, galettes racinaires dressées, champ d’arbres décapités, biomasse à terre considérable… L’exploitation, quand elle a pu se faire, suffit rarement dans ces conditions à restaurer les conditions d’accès pour les opérations sylvicoles de reconstitution, que celles-ci utilisent la régénération naturelle ou qu’elles aient recours à la plantation.
Il faut donc prévoir une phase initiale de déblaiement de la parcelle, qui pose en elle-même des problèmes : elle peut avoir plus d’impact sur l’environnement (et la qualité des sols) que les dégâts de tempêtes eux-mêmes et elle est très coûteuse. L’impact des travaux réside dans deux points essentiels : le matériel utilisé et le traitement des rémanents (troncs, branchages, racines).
Le matériel ne doit pas exercer de pression trop forte sur les sols, ni créer des ornières : chenilles ou pneus basse pression sont indispensables. Les rémanents, dans le meilleur des cas, devraient être éparpillés ou broyés.
La technique qui consiste à les regrouper en andains a l’inconvénient de concentrer les produits de leur décomposition (notamment les éléments minéraux et l’azote) en dehors des zones qui seront régénérées. Elle peut également être mal conduite quand les rémanents sont poussés au bulldozer et provoquer un décapage de la couche d’humus.
La technique qui consiste à brûler les rémanents est à proscrire totalement (sauf peut-être, dans quelques cas, pour des raisons sanitaires), car elle conduit à une perte nette pour l’écosystème.
Nous mentionnerons, à titre d’exemple, deux techniques de déblaiement.
La première est la solution lourde et totale : elle consiste à faire passer un broyeur (par exemple machine de 600 chevaux sur chenilles avec un broyeur à axe horizontal et dents en carbure de tungstène) sur la parcelle. Elle est à réserver à la reconstitution par plantation. Avantage : le terrain est clair. Inconvénient : la quantité de matière broyée forme une couche qui masque le sol pour la plantation et dont on ne connaît pas l’éventuelle toxicité sur les jeunes plants.
La deuxième technique est plus fine : dans un premier temps un layonnage est ouvert dans la parcelle et dans un deuxième temps une pelle mécanique munie d’une dent travaille depuis les layons au nettoyage du terrain (remise en place des galettes racinaires, déchiquetage des souches, » démontage » des houppiers, éparpillement des rémanents – ou regroupement quand il y en a trop). Cette deuxième méthode est bien adaptée aux projets de reconstitution s’appuyant sur la régénération naturelle.
Dernier aspect de la situation post-tempête : certains éléments de choix habituels entre les trois grands types de régénération (plantation, régénération naturelle ou système mixte) se trouvent modifiés. Tout d’abord l’incertitude liée à la régénération naturelle se trouve amplifiée, dans la mesure où les techniques normales s’appuyant sur un choix des semenciers (qui n’existent plus sur la parcelle) et un dosage de la lumière (qui s’est installée sans crier gare) ne sont plus opérantes.
Ensuite les dégâts de tempête conduisent à une forte croissance des populations d’ongulés : d’une part, parce que les chasseurs ne pouvant pénétrer dans les forêts n’ont pas réalisé leurs » plans de chasse « , d’autre part parce que les milieux ouverts créés sont favorables à l’alimentation des ongulés (quand les populations sont déjà importantes cela lève la principale limitation naturelle à leur reproduction).
Les dégâts de gibier, qui sont déjà un souci en temps normal pour le forestier qui régénère une parcelle, deviennent inévitables à la plantation, et pourraient même remettre en cause la relative résistance de la régénération naturelle. Enfin le matériel de plantation (graines et plants) va faire l’objet d’une forte demande et pourrait conduire à des pénuries, non pas en quantité mais pour les qualités souhaitées par le gestionnaire (notamment en matière de provenance ou pour la meilleure utilisation possible des variétés améliorées disponibles).
Les itinéraires techniques associant l’utilisation de la dynamique naturelle
Nous consacrons le dernier chapitre aux itinéraires techniques qui associent la dynamique naturelle. En effet, ils présentent beaucoup d’intérêt par rapport à la situation et aux contraintes décrites ci-dessus, tant sur le plan technique et financier que social et culturel (la demande est forte pour des itinéraires techniques » naturels »). Ils devraient donc connaître un certain engouement. Ils demandent néanmoins plus d’attention, de technicité et de temps, et ils peuvent s’avérer à terme tout aussi onéreux.
Il ne faut pas négliger, sous prétexte que l’on veut faire du naturel, les travaux de déblaiement indispensables pour restaurer des conditions d’accès à la parcelle. Ces travaux demandent même plus d’attention dans la mesure où l’on cherche à conserver tout le potentiel végétal.
La première question qui se pose est de pouvoir poser un diagnostic sur les dynamiques potentielles de la végétation, pour connaître la faisabilité d’une régénération naturelle ou mixte, et pour savoir dans quelle mesure il sera possible d’obtenir un peuplement conforme aux objectifs fixés à la parcelle.
Les conditions de réussite tiennent à l’existence d’un potentiel de semences et à l’absence de facteurs de blocage. Le potentiel de semences peut être déjà en place dans la parcelle, dans la » banque de graines » du sol. Elle est cependant difficile à analyser en dehors de techniques longues et coûteuses qui ne sont utilisées que pour des projets de recherche.
En revanche il existe des cas favorables qui sont connus des forestiers : par exemple, dans les hêtraies, l’année 1999 avait été une année de forte production de graines (faines). S’il reste des arbres debout sur la parcelle, ils joueront le rôle de semenciers : mais y en a‑t-il assez ? Sont-ils de bons candidats pour être des semenciers ? S’il n’y a plus d’arbres sur la parcelle, il faudra les chercher aux alentours. Dans ce cas, il faudra probablement compter sur une régénération qui associe différents stades de la dynamique de colonisation forestière.
Par conséquent, il faut s’assurer qu’il y a à proximité des colonisateurs (espèces de lumière comme le pin, le bouleau ou encore le saule) capables d’occuper rapidement le terrain et de créer une ambiance favorable aux essences d’ombre (sapin, chêne, hêtre…). Les forestiers suisses et allemands recommandent même d’introduire les espèces de lumière par semis si nécessaire, pour initier une dynamique forestière.
Les blocages à craindre et qu’il faudrait pouvoir anticiper sont principalement des conditions de sols dégradées (tassement dû aux travaux d’exploitation, remontée du plan d’eau) ou l’envahissement par des espèces herbacées (fougère, ronce, graminées).
La règle première sera sans aucun doute de ne pas se précipiter, pour pouvoir observer les dynamiques qui s’expriment, sur quelques années (au minimum deux à cinq ans), avant de faire des choix et d’intervenir en conséquence.
Une fois une régénération naturelle installée, il faut juger de sa qualité : densité, composition en espèces, couverture du terrain… Un layonnage sylvicole est recommandé dès le départ pour pouvoir circuler dans la parcelle, que ce soit pour ces questions d’inventaire, ou pour les travaux de sélection et d’entretien du peuplement. Si la régénération est considérée comme suffisante, des interventions sylvicoles seront faites au profit des essences désirées. Il faut toutefois tenir compte de la pression des grands herbivores (pour ne pas dire du » gibier ») – cerfs, chevreuils : si elle est forte, il faudra sans doute retarder au maximum ces interventions, pour ne pas exposer les individus sélectionnés, ou installer des dispositifs de protection.
Des plantations de complément peuvent être nécessaires, notamment si la composition spécifique n’est pas satisfaisante (on parle alors d’enrichissement) ou si la couverture du terrain n’est pas complète. Les plantations d’enrichissement se font par groupes de plants ou en ligne, afin de pouvoir localiser les plants facilement pour les entretiens ultérieurs. Elles utilisent en général des plants de plus grande taille. Elles doivent obligatoirement être protégées contre la dent du gibier car elles sont plus appétentes que la végétation naturelle. Comme les travaux de plantation peuvent se prévoir bien à l’avance, il est possible de bien choisir son matériel végétal, quitte à passer un » contrat de culture » avec un pépiniériste.
Conclusion
Pour la reconstitution de sa forêt, le propriétaire va devoir choisir entre l’ensemble des techniques à sa disposition : de la régénération artificielle immédiate à la régénération totalement naturelle. La mise en œuvre de toutes ces techniques est beaucoup plus onéreuse que dans des conditions normales.
Dans tous les cas, il ne faudra pas perdre de vue » l’économie » de la gestion, en y intégrant le temps car les choix de la reconstitution engagent le long terme. C’est, en particulier, la fonction de production qui aujourd’hui assure à elle seule – ou presque – l’entretien de la forêt française : elle mérite donc une attention particulière.
Une des leçons tirées des tempêtes de 1999 est qu’il faut être mieux préparé à faire face à un pareil événement. Il s’agit, à l’amont, d’améliorer le diagnostic sur la vulnérabilité de la forêt et des enjeux qui y sont associés. Ensuite, il faut capitaliser l’expérience des tempêtes vécues. Cela vaut aussi pour les techniques de reconstitution : pour élaborer des recommandations et des itinéraires sylvicoles, il s’est avéré que nous ne disposions pas de parcelles de référence bien documentées, suite aux tempêtes passées. Cette négligence sera réparée sans attendre le prochain avertissement !
1. Pour une information complète sur le travail réalisé, nous renvoyons à l’expertise collective sur les tempêtes, la sensibilité des forêts et leur reconstitution, disponible sur le serveur Internet :