Après l’Euro, la Défense… problème central et vaste programme

Dossier : L'EuropeMagazine N°586 Juin/Juillet 2003Par François BRESSON (56)

Le rap­pro­che­ment éco­no­mique des nations euro­péennes a été cou­ron­né par la créa­tion de l’eu­ro. Cet évé­ne­ment his­to­rique est l’a­bou­tis­se­ment d’un demi-siècle d’ef­forts, et la mani­fes­ta­tion écla­tante du suc­cès d’une entre­prise qui n’a pas son équi­valent dans l’his­toire : le rap­pro­che­ment pro­gres­sif de vieilles nations aux per­son­na­li­tés très diverses.

En même temps, bien des aspects de l’ac­tua­li­té montrent toute la fra­gi­li­té éco­no­mique et poli­tique de cette Europe encore divisée.

Dans les années et les décen­nies qui viennent, ce sont la poli­tique étran­gère et la défense, inti­me­ment liées, qui seront néces­sai­re­ment au centre de la construc­tion euro­péenne. Mal­gré les pro­grès récents, incon­tes­tables, la tâche est immense car l’es­sen­tiel reste à faire. Mais il est pos­sible de tra­cer dès aujourd’­hui quelques pistes et de plan­ter quelques jalons sur la route du possible.

La politique étrangère et la défense au centre de la construction européenne

Par rap­port à d’autres moments de son his­toire, et en par­ti­cu­lier au XXe siècle, l’Eu­rope semble peu mena­cée de l’ex­té­rieur, et rela­ti­ve­ment paci­fiée à l’in­té­rieur. Elle pour­rait être ten­tée de faire l’im­passe sur les pro­blèmes de défense. Or, ceux-ci vont s’im­po­ser sans ména­ge­ments dans le débat ins­ti­tu­tion­nel, diplo­ma­tique et poli­tique, on peut en être certain.

D’a­bord, c’est un abou­tis­se­ment his­to­ri­que­ment natu­rel. L’Eu­rope est deve­nue un géant éco­no­mique, à la fois par l’am­pleur de son mar­ché inté­rieur, par ses capa­ci­tés d’in­ves­tis­se­ment, et, main­te­nant, par l’im­por­tance de « sa » mon­naie. Elle est encore un nain poli­tique et mili­taire. Une telle dis­tor­sion n’est pas saine et tend tou­jours à se réduire, comme le montre l’exemple du Japon que sa puis­sance éco­no­mique amène à « tri­cher » de mille façons avec la limi­ta­tion consti­tu­tion­nelle de son bud­get mili­taire à 1 % du PIB qui lui a été impo­sée en 1945. Il y a une cohé­rence natu­relle entre la puis­sance éco­no­mique qui engendre des inté­rêts (et donc des vul­né­ra­bi­li­tés) dis­per­sés dans le monde, et la puis­sance poli­tique et mili­taire qui per­met de les pro­mou­voir et de les pro­té­ger ; en sens inverse, c’est bien la puis­sance éco­no­mique et finan­cière qui per­met de construire les capa­ci­tés mili­taires et d’ac­tion internationale.

Ensuite, par­mi les Quinze ou par­mi les can­di­dats à l’é­lar­gis­se­ment, il est clair que deux concep­tions de l’Eu­rope sont en pré­sence, dont aucune n’a encore tota­le­ment gagné la par­tie. Entre l’Europe-puis­sance à la fran­çaise, acteur majeur de la vie inter­na­tio­nale au niveau mon­dial, et l’Europe-zone de libre-échange (peut-on dire à la bri­tan­nique ?), le cri­tère essen­tiel de dif­fé­ren­cia­tion est le rôle que l’on fait jouer à la poli­tique étran­gère, à la défense et au domaine mili­taire. C’est dire que toutes les pro­chaines étapes (conte­nu de la Consti­tu­tion euro­péenne, condi­tions et limites de l’é­lar­gis­se­ment) seront pro­fon­dé­ment mar­quées par la façon dont seront trai­tées les ques­tions de défense.

Enfin, de même que sur le plan éco­no­mique, l’Eu­rope a fait un grand pas lors­qu’elle s’est affir­mée d’une seule voix dans les négo­cia­tions de l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale du com­merce (OMC) par­fois même face aux États-Unis, de même l’Eu­rope poli­tique n’exis­te­ra que dans la mesure où les Euro­péens déci­de­ront de ne plus déter­mi­ner leurs posi­tions stra­té­giques exclu­si­ve­ment au sein de l’Al­liance atlan­tique sous la hou­lette des États-Unis. Et seuls les pro­grès euro­péens dans tous les domaines de la défense per­met­tront cette auto­no­mie de déci­sion et d’action.

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Ajou­tons une remarque. À notre époque plus encore que durant la guerre froide, les ques­tions mili­taires, les pro­blèmes de défense et de sécu­ri­té, et le vaste domaine des rela­tions inter­na­tio­nales sont étroi­te­ment liés : il ne sau­rait y avoir de fron­tières étanches entre ces pré­oc­cu­pa­tions dans un monde com­plexe et mou­vant, face à des risques qui s’en­tre­croisent et des menaces poten­tielles qui interagissent.

Des progrès récents et substantiels

Après l’é­chec de la CED en 1954, une très longue période de stag­na­tion est mar­quée par une pré­pon­dé­rance abso­lue de l’O­TAN comme lieu de dis­cus­sion des ques­tions de défense, et l’en­dor­mis­se­ment cor­ré­la­tif de l’U­nion de l’Eu­rope occi­den­tale (UEO) née du trai­té de Bruxelles, anté­rieur à celui de Washington.

Les choses recom­mencent à bou­ger après la chute du Mur.

Le trai­té de l’U­nion euro­péenne (TUE) de Maas­tricht (1992) « affirme l’i­den­ti­té euro­péenne sur la scène inter­na­tio­nale » et ins­ti­tue une struc­ture à trois piliers, dont le deuxième est la Poli­tique étran­gère et de sécu­ri­té com­mune (PESC). Il est modi­fié par le trai­té d’Am­ster­dam en 1997, qui men­tionne comme mis­sions de l’UE les « mis­sions de Peters­berg1″, pré­voit la nomi­na­tion d’un haut repré­sen­tant pour la PESC, assis­té d’un outil d’a­na­lyse et de pré­vi­sion, et donne une com­pé­tence accrue au Conseil euro­péen en matière de sécu­ri­té et de défense. Pro­gres­si­ve­ment est affir­mé le rap­pro­che­ment de l’UEO et de l’UE.

Une nette accé­lé­ra­tion du pro­ces­sus fait suite à la décla­ra­tion fran­co-bri­tan­nique de Saint-Malo (4 décembre 1998) : la PESC doit s’ap­puyer sur des capa­ci­tés opé­ra­tion­nelles cré­dibles. Le Conseil euro­péen de Cologne en 1999 pré­cise : « L’U­nion doit dis­po­ser d’une capa­ci­té d’ac­tion auto­nome sou­te­nue par des forces mili­taires cré­dibles, avoir les moyens de déci­der d’y recou­rir et être prête à le faire, sans pré­ju­dice des actions entre­prises par l’O­TAN. » Celui d’Hel­sin­ki en fin 1999 a vrai­ment com­men­cé à abor­der le concret :

  • adop­tion comme « objec­tif glo­bal » de l’UE de l’ac­qui­si­tion de la capa­ci­té de pro­je­ter en moins de soixante jours l’é­qui­valent d’un corps d’ar­mée (50 000 à 60 000 hommes) et de le main­te­nir au moins un an, accom­pa­gnée des capa­ci­tés en termes de com­man­de­ment, de contrôle, de ren­sei­gne­ment, de logis­tique, d’ap­puis aérien et naval ;
  • créa­tion des organes poli­tiques et mili­taires permanents :
    – le Comi­té poli­tique et de sécu­ri­té (COPS) qui traite de la PESC et se trouve, en temps de crise, sous l’au­to­ri­té du Conseil, char­gé du contrôle poli­tique et de la direc­tion stra­té­gique de l’opération ;
    – le Comi­té mili­taire, com­po­sé des chefs d’é­tat-major des armées, repré­sen­tés par leur délé­gué militaire ;
    – l’É­tat-major, char­gé de l’a­lerte, de l’a­na­lyse et de la pla­ni­fi­ca­tion stra­té­gique, à l’ex­clu­sion de tout rôle opérationnel.

Le tout a trou­vé sa concré­ti­sa­tion dans la confé­rence sur les capa­ci­tés orga­ni­sée durant la pré­si­dence fran­çaise du second semestre 2000 et dans le trai­té de Nice (2000), qui a en outre déci­dé le trans­fert à l’UE des orga­nismes de ges­tion de crise de l’UEO2. Si bien qu’en fin 2001 le Conseil euro­péen de Lae­ken décla­rait « l’o­pé­ra­tion­na­li­té de la PESC » : « Grâce à la pour­suite du déve­lop­pe­ment de la Poli­tique euro­péenne de sécu­ri­té et de défense (PESD, par­tie de la PESC), au ren­for­ce­ment de ses capa­ci­tés civiles et mili­taires et à la créa­tion en son sein des struc­tures appro­priées, l’U­nion est désor­mais capable de conduire des opé­ra­tions de ges­tion de crise »

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Durant cette même période, les indus­tries d’ar­me­ment opé­raient en Europe de très impor­tantes restruc­tu­ra­tions, en par­ti­cu­lier dans les sec­teurs aéro­nau­tique, spa­tial et élec­tro­nique3. Deux trai­tés ont en outre accom­pa­gné cette évo­lu­tion : celui de l’Or­ga­nisme conjoint de coopé­ra­tion en arme­ment (OCCAR, 1996) pour amé­lio­rer l’ef­fi­ca­ci­té des pro­grammes en coopé­ra­tion (dont le pre­mier sera l’a­vion de trans­port mili­taire A400M), et la Let­ter of Intent (Lo I, 2000) pour har­mo­ni­ser les régle­men­ta­tions natio­nales et favo­ri­ser l’exis­tence d’un vrai mar­ché trans­na­tio­nal de l’ar­me­ment. Cet effort ne concerne, au départ, que les pays les plus inté­res­sés, c’est-à-dire ceux qui dis­posent d’une indus­trie d’ar­me­ment : outre la France, l’Al­le­magne, l’Es­pagne, l’I­ta­lie, le Royaume-Uni et la Suède. Il est des­ti­né à s’é­tendre à tout pays volontaire.

Pour mémoire, car les vraies dif­fi­cul­tés n’ont jamais été à ce niveau, les mesures de coopé­ra­tion pure­ment mili­taires sont nom­breuses, depuis les uni­tés ou états-majors mul­ti­na­tio­naux (bri­gade fran­co-alle­mande, Euro­corps, Euro­for, Euro­mar­for, etc.), les exer­cices inter­ar­mées et inter­na­tio­naux, les mul­tiples échanges d’of­fi­ciers4 et d’unités.

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Sur le ter­rain, les réa­li­sa­tions suivent aus­si une pente croissante :

  • l’É­tat-major de l’Eu­ro­corps a assu­ré la relève de l’O­TAN comme noyau d’É­tat-major de la KFOR au Koso­vo en avril 2000 ;
  • l’UE conduit la mis­sion de police en Bos­nie, à la suite de l’O­NU, depuis jan­vier 2003 ;
  • l’UE doit, à par­tir du mois d’a­vril, assu­rer la relève en Macé­doine de l’o­pé­ra­tion de l’OTAN ;
  • il pour­rait en être de même pour la Bos­nie (2004), opé­ra­tion beau­coup plus importante.

Un long chemin à parcourir

Il serait catas­tro­phique que l’o­pi­nion ignore ou sous-estime ces pro­grès, qui parais­saient encore hors de por­tée il y a dix ans. Inver­se­ment, il faut bien avoir conscience que seule a été faite une toute petite par­tie de che­min et que les dif­fi­cul­tés sont nombreuses.

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Trois impasses majeures ont pour le moment été faites.

Toutes les mesures ins­ti­tu­tion­nelles ou mili­taires ne concernent jus­qu’à pré­sent que la ges­tion de crise et la lutte contre le ter­ro­risme. Une vraie poli­tique de défense com­mune n’est encore qu’un sou­hait, et la « défense col­lec­tive » au sens plein du terme est tou­jours expli­ci­te­ment trai­tée dans le cadre de l’Al­liance atlantique.

Les rap­ports avec l’O­TAN sont lais­sés dans un cer­tain flou artis­tique. En par­ti­cu­lier, les Euro­péens n’ont tou­jours pas affir­mé dans les faits que leur désir d’au­to­no­mie allait jus­qu’à pou­voir agir sans les moyens de l’O­TAN ; on dit le plus sou­vent « avec ou sans les moyens de l’O­TAN » ; en outre, le terme même « moyens de l’O­TAN » est ambi­gu, puisque à pro­pre­ment par­ler ces moyens sont très peu nom­breux (essen­tiel­le­ment les avions AWACS), et que le terme désigne donc des moyens amé­ri­cains affec­tés à l’OTAN.

À défaut d’une poli­tique étran­gère com­mune, qui ne peut être qu’un but loin­tain, la défi­ni­tion de stra­té­gies (par­tielles) com­munes, pour­tant pré­vue au trai­té d’Am­ster­dam, n’a guère avan­cé, ce qui laisse donc l’UE sans pers­pec­tive d’ac­tion vrai­ment cohé­rente, là même où elle en aurait les moyens.

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À vrai dire, ces impasses sont la consé­quence de dif­fi­cul­tés plus pro­fondes qui seront longues à surmonter

La pre­mière tient à la nature même de la construc­tion euro­péenne. Les dif­fé­rents pays, leurs gou­ver­ne­ments, leurs par­le­ments, leurs médias et leurs opi­nions publiques ont des per­cep­tions tout à fait dif­fé­rentes, mar­quées par l’his­toire et la géo­gra­phie, de leur place et de leur ave­nir dans le monde. Ces diver­gences portent sur l’a­na­lyse des risques et des enjeux, mais aus­si sur le rôle que doit ou non tenir l’Eu­rope dans le monde de demain. Les Euro­péens sont loin de s’ac­cor­der sur leurs ambitions.

Les diver­gences concernent aus­si leurs rela­tions avec les États-Unis, et leurs rela­tions avec leurs voi­sins euro­péens. Le cas anglais est bien connu « l’At­lan­tique est-il vrai­ment plus large que la Manche ? » mais il est vrai aus­si que l’Al­le­magne, jus­qu’à la pré­sente crise, n’en­vi­sa­geait pas de pou­voir contra­rier les États-Unis, et que plu­sieurs « petits pays » s’ac­com­modent du « grand frère » d’outre-Océan, mais redoutent d’a­voir à faire à un ou des « petits grand frères » en Europe même ! Il est signi­fi­ca­tif que, dans l’ar­ticle 17 du trai­té de Nice qui pré­cise le conte­nu de la PESC, l’O­TAN soit cité trois fois.

La timi­di­té de l’UE est éga­le­ment induite par ses capa­ci­tés finan­cières. Mal­gré les efforts sou­te­nus par les Anglais, le total des bud­gets d’ar­me­ment des Quinze fait à peine la moi­tié du bud­get amé­ri­cain, et celui-ci a en outre l’a­van­tage d’être pilo­té par une auto­ri­té poli­tique unique, face à une indus­trie natio­nale unique. La France vient de déci­der dans la der­nière loi de pro­gram­ma­tion mili­taire de redres­ser la barre ; encore faut-il qu’elle main­tienne et accen­tue cet effort dans la durée, et qu’elle soit sui­vie par l’en­semble des Européens.
Toutes ces dif­fi­cul­tés risquent d’être encore accrues par l’é­lar­gis­se­ment, qui concerne pour l’es­sen­tiel des pays en dif­fi­cul­tés éco­no­miques, et qui, comme la Pologne, ne voient pas leur sécu­ri­té dans le cadre de l’UE mais dans celui de l’O­TAN et de la garan­tie américaine.

Par où commencer ? Quelques jalons pour l’avenir proche

Il est mal­gré tout pos­sible d’a­van­cer, à condi­tion d’être réa­liste (tout n’est pas pos­sible aujourd’­hui), mais concret et volon­ta­riste : c’est tou­jours ain­si que l’Eu­rope a avan­cé dans le pas­sé, et il est sûr qu’il fau­dra beau­coup de temps pour par­ve­nir à trai­ter les vrais pro­blèmes de défense dans toute leur ampleur.

Logo des "EuroDéfense"

Les “ Euro­Dé­fense ” forment un réseau d’associations natio­nales qui sont réunies par la pour­suite du même objec­tif, la pro­mo­tion d’un “ esprit euro­péen de défense ”, et par la recon­nais­sance d’un même pré­sident fon­da­teur, le Fran­çais Pierre Schwed. À ce jour, elles existent dans 10 pays (par ordre de créa­tion : France, Alle­magne, Ita­lie, Espagne, Pays- Bas, Bel­gique, Royaume-Uni, Por­tu­gal, Autriche, Luxem­bourg) et ont voca­tion à s’élargir à l’ensemble de l’UE.

Depuis 1995 un congrès annuel les ras­semble qui a eu lieu suc­ces­si­ve­ment à Paris, Pots­dam, Madrid, Flo­rence, La Haye, Paris, Londres, Lis­bonne, et aura lieu en 2003 à Bonn.

Leur tra­vail en com­mun se tra­duit par des com­mu­ni­ca­tions publiques sous diverses formes, qui visent à rap­pro­cher les per­cep­tions natio­nales des pro­blèmes et à sug­gé­rer les mesures à prendre pour les pro­grès de l’Europe de la Défense.

“ Euro­Dé­fense-France ”, quant à elle, regroupe des per­son­na­li­tés dont beau­coup exercent ou ont exer­cé des res­pon­sa­bi­li­tés impor­tantes tou­chant à la défense, dans le domaine mili­taire ou dans le domaine civil, public ou privé.

Outre le congrès inter­na­tio­nal, plu­sieurs mani­fes­ta­tions sont pro­po­sées chaque année aux adhé­rents, qui reçoivent par ailleurs un bul­le­tin d’information.

B.P. 44, 00445 Armées ; télé­phone-télé­co­pie 01.44.42.42.15 ; eurodefense-France@wanadoo.fr

Quelques pro­po­si­tions peuvent illus­trer les prin­ci­paux remèdes à mettre en œuvre. Elles sont en grande par­tie tirées de la contri­bu­tion que les asso­cia­tions « Euro­Dé­fense » (cf. enca­dré) ont adres­sée à la Convention.

Ce sont en tout cas les résul­tats obte­nus par la Conven­tion qui fixe­ront pour l’a­ve­nir si, dans quelle mesure, et à quelle échéance, les objec­tifs évo­qués ci-des­sous pour­ront être atteints.

1. Doter l’Union d’un concept stratégique

Si on sou­haite que la Poli­tique étran­gère et de sécu­ri­té com­mune (PESC) n’en reste pas aux « prin­cipes et orien­ta­tions géné­rales » (TUE, article 13.1), il faut par­ve­nir à une ana­lyse com­mune des inté­rêts, des enjeux, des risques et des menaces, ain­si qu’à une stra­té­gie. La mise en chan­tier d’un Livre blanc de l’U­nion euro­péenne per­met­trait d’a­van­cer dans cette réflexion, tout en en infor­mant les citoyens.

Un bon début serait de don­ner un vrai conte­nu aux « stra­té­gies com­munes » pré­vues à Amster­dam5. Dans le même esprit, la pré­si­dence actuel­le­ment tour­nante du COPS devrait être confiée au haut représentant.

2. Rendre possible la constitution d’une « avant-garde » de certains États

Les avan­cées les plus impor­tantes de l’Eu­rope ont sou­vent été enga­gées par des dis­po­si­tions per­met­tant à cer­tains États de pro­gres­ser dans la coopé­ra­tion sans que tous s’as­so­cient dès le début à leur démarche ; c’est le cas des accords de Schen­gen, ou même de l’euro.

Pour le moment, ces « coopé­ra­tions ren­for­cées » sont exclues dans le domaine de la défense. Les auto­ri­ser sous une forme ou sous une autre per­met­trait de conti­nuer à avan­cer, sans se lais­ser engluer dans un sys­tème à 15 ou 26.

3. Dépasser les seules « missions de Petersberg » et commencer la marche vers une défense commune

Si la condi­tion pré­cé­dente est réa­li­sée, cer­tains pays au moins pour­raient dépas­ser le niveau actuel de coopération.
La défense col­lec­tive pour­rait, pour eux, être inté­grée au dis­po­si­tif de l’UE, en repre­nant les obli­ga­tions du trai­té de l’UEO : ils iraient alors vers une défense com­mune au sens plein du terme, impli­quant une totale soli­da­ri­té poli­tique et militaire.

4. Créer une politique harmonisée de conception, production et acquisition d’armements deviendrait elle aussi possible

Elle impli­que­rait sans doute une cer­taine conver­gence des bud­gets d’ar­me­ment en termes de pour­cen­tage du PIB, mais aus­si la créa­tion d’une véri­table Agence euro­péenne de l’ar­me­ment, et un effort concer­té dans le domaine de la recherche6 (mise en place d’un bud­get euro­péen à cette fin, gou­ver­né par une struc­ture euro­péenne ad hoc).

5. Créer un État-major opérationnel complétant la chaîne de commandement purement européenne et évitant de devoir utiliser un état-major OTAN

Il est pos­sible de le créer de toutes pièces, ou de pré­voir l’in­te­reu­ro­péa­ni­sa­tion à la demande d’un état-major national.

En conclusion

Au moment où sont rédi­gées ces lignes, la crise ira­kienne est encore en pleine évo­lu­tion. À cette occa­sion, de nom­breuses frac­tures sont appa­rues ou se sont appro­fon­dies entre Euro­péens, ain­si qu’entre cer­tains Euro­péens et les États-Unis.

Il est encore trop tôt pour en éva­luer avec cer­ti­tude les consé­quences quant à la construc­tion européenne.

Les plus pes­si­mistes diront que ces oppo­si­tions ne sont pas près d’être oubliées, que la construc­tion euro­péenne va s’en trou­ver ralen­tie, y com­pris l’é­lar­gis­se­ment, voire que l’es­poir d’une Europe-puis­sance s’est défi­ni­ti­ve­ment envolé.

Les opti­mistes rap­pel­le­ront que ce n’est pas la pre­mière fois que de sévères débats opposent les Euro­péens les uns aux autres et que l’Eu­rope a tou­jours pro­gres­sé à tra­vers des crises. Et ils consta­te­ront au contraire que cer­tains ver­rous his­to­riques ont sau­té (pour la pre­mière fois, l’Al­le­magne a dit non aux États-Unis) et que les opi­nions publiques sont plus una­nimes que les gou­ver­ne­ments. Il y a là deux élé­ments encou­ra­geants, même s’il faut bien recon­naître que les rai­sons n’en sont pas tou­jours satis­fai­santes (paci­fisme de prin­cipe, choix de pure poli­tique inté­rieure, etc.).

Le prin­ci­pal objec­tif des Euro­péens doit être de tirer le meilleur par­ti de ces évé­ne­ments en por­tant des juge­ments équilibrés :

  • recon­naître à la fois leurs diver­gences diplo­ma­tiques et poli­tiques, et la conver­gence de leurs inté­rêts et de leurs aspi­ra­tions à une cer­taine auto­no­mie dans un monde multipolaire ;
  • réaf­fir­mer sans cesse que si la construc­tion euro­péenne peut conduire à cer­taines concur­rences avec les États-Unis, elle ne se fait pas contre eux. Sur le long terme his­to­rique, il y a place pour un par­te­na­riat éga­li­taire de part et d’autre de la « mare nos­trum » du troi­sième mil­lé­naire que consti­tue l’Atlantique.

Le der­nier mot de cette pers­pec­tive pour­rait être emprun­té à la Lettre aux jeunes Euro­péens rédi­gée l’é­té der­nier par un sémi­naire de 70 étu­diants et jeunes pro­fes­sion­nels de 9 pays7 : « L’Eu­rope doit reprendre son des­tin en main, car nous, Euro­péens, devons pro­mou­voir notre propre modèle. »

Sur ce che­min, les pro­grès accom­plis dans le domaine de la Défense seront désor­mais la plus exacte mesure du degré d’a­van­ce­ment de la construc­tion euro­péenne tout entière.

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1 - Mis­sions huma­ni­taires, d’é­va­cua­tion, de main­tien de la paix, et des forces de com­bat pour la ges­tion des crises y com­pris le réta­blis­se­ment de la paix.
2 - Y com­pris l’Ins­ti­tut d’é­tudes de sécu­ri­té, et le centre satel­li­taire de Torrejon.
3 - Ce qu’il est conve­nu d’ap­pe­ler « arme­ment ter­restre » échap­pant lar­ge­ment à ces mouvements.
4 - Sait-on, par exemple, qu’il arrive dans des groupes de tra­vail de l’O­TAN que la France soit repré­sen­tée par un offi­cier alle­mand en poste dans notre État-major des Armées, ou inversement ?
5 - Ins­tru­ment impor­tant, une « stra­té­gie com­mune » est un ensemble d’ob­jec­tifs, durée et moyens à four­nir par les pays.
6 - Recherches de base et Études technologiques.
7 - Orga­ni­sé par les Euro­Dé­fense et l’as­so­cia­tion natio­nale des audi­teurs jeunes de l’I­HEDN, ce sémi­naire a fait l’ob­jet d’un compte ren­du dans le numé­ro de jan­vier 2003 de la revue Défense Natio­nale, qui publie éga­le­ment le texte de la Lettre.

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