Après Polytechnique, quelles sont les carrières préférées par les femmes ?
À la sortie de l’École polytechnique, les femmes sont nombreuses à aller en entreprise ou à effectuer une thèse. Elles sont proportionnellement plus présentes dans les corps de l’État que les hommes, mais beaucoup moins dans l’entrepreneuriat. Dans leurs carrières, elles expérimentent qu’être diplômée de Polytechnique ouvre beaucoup de portes mais ne protège pas toujours contre les discriminations.
Il nous incombe la tâche ardue d’introduire le sujet des carrières au féminin à la sortie de l’X. Que dire, alors qu’on peut tout faire, que chaque parcours est unique ? Comment tirer quelques tendances ? Nous livrons ici humblement quelques premières idées qui seront complétées et illustrées par les nombreux témoignages au sein du dossier. Pour commencer, quelques chiffres. Parmi les 71 femmes de la promotion X14 (sur 83 interrogées, soit un taux de participation de 83 %) ayant répondu à l’enquête premier emploi de 2021, les activités se répartissent suivant les proportions données dans le tableau ci-contre.
Ce sont à peu près les mêmes proportions que pour les hommes, avec toutefois proportionnellement plus de femmes que d’hommes dans les corps de l’État : 20 % des femmes ayant répondu rejoignent les corps, contre 13 % des hommes. Pour les autres activités, les proportions sont analogues. Nous avons interrogé quelques camarades et nous livrons ici quelques observations sur diverses thématiques de carrière.
Activité | Nombre de femmes X14 | Proportion |
---|---|---|
Salariée dans une entreprise | 31 | 44 % |
Doctorante (ou PhD) |
23 | 32 % |
Ingénieure d’un corps de l’État |
14 | 20 % |
Dirigeante ou créatrice d’une entreprise ou d’une start-up |
2 |
3 % |
En recherche d’emploi |
1 | 1 % |
Total |
71 |
100 % |
Sur la question de la rémunération
Les polytechniciennes sont comme les autres femmes professionnelles. Elles n’en savent pas assez sur le salaire de leurs prédécesseurs ou de leurs pairs et ne se battent pas beaucoup. Parfois, avec l’expérience, elles commencent à le faire et constatent que, même dans la fonction publique où les grilles sont déterminantes, il y a des occasions que les hommes savent saisir mieux qu’elles (cf. les primes). De façon générale, en devenant dirigeantes d’équipe, elles constatent que les femmes demandent beaucoup moins d’augmentations de salaire que les hommes, à tous les niveaux de carrière, et cela aussi bien en France qu’à l’étranger. Cela en incite certaines en tant que dirigeantes à renforcer une approche fondée sur objectifs, mesures et résultats dans l’attribution des augmentations ; sur des faits en somme, au lieu de toute approche qualitative. « Pour essayer de contrer la tendance, j’en reviens aux faits et j’essaie d’être juste de cette façon », nous a dit l’une d’elles, qui témoignait du phénomène dans les équipes qu’elle gère dans plusieurs pays africains.
Sur l’évolution de carrière et l’accès aux responsabilités professionnelles
Les polytechniciennes témoignent d’une grande diversité de carrières bien sûr, mais aussi d’une forte mobilité dans leur carrière, des occasions ou des choix conduisant vite d’une activité à l’autre. Avoir fait l’X a été un atout déterminant. Cela leur a apporté un réseau ; l’une d’elles témoigne par exemple qu’un grand dirigeant lui a ouvert son carnet d’adresses complètement alors qu’elle était très jeune et sans expérience professionnelle dans son pays.
Être polytechnicienne ouvre la possibilité d’avoir très rapidement des responsabilités. Ainsi l’une d’elles dirige une équipe de 200 personnes à 25 ans et elle est déjà sollicitée pour prendre des responsabilités supérieures, parce qu’elle est une femme et polytechnicienne. Mais elle n’a pas forcément envie d’accélérer autant ! Plusieurs témoignent de même qu’elles ont refusé des postes à haut encadrement parce qu’elles n’en avaient pas envie, que leur critère était de se sentir utile et bien là où elles étaient. D’autres témoignent qu’elles avaient mis leur carrière en pause pour s’occuper de leur famille ou pour d’autres projets qui leur tenaient à cœur, pendant quelques années, et que le diplôme de l’X leur a permis de redonner un coup d’accélérateur – voire, si elles avaient arrêté de travailler, de redémarrer complètement avec de fortes responsabilités quand elles l’ont à nouveau souhaité.
Toutes nous disent unanimement qu’avoir fait l’X donne une très forte crédibilité extérieure, que c’est une grande chance, qu’il faut utiliser cet atout. Cela donne aussi confiance en soi et, au moment de passer des étapes décisives, se rappeler que l’on a réussi le même concours que les hommes est essentiel pour lutter contre l’autocensure.
Sur l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle
À l’image des femmes dirigeantes en France (qui est dans le top 3 mondial du nombre de femmes en comité de direction), ces femmes sont sans complexe. Elles ont eu ou comptent avoir des enfants, et plus d’un ! Cela n’a pas été une question pour elles, mais il y a toujours des détails à gérer et à dépasser, que ce soit le souhait (exécuté) de prendre un temps partiel, que ce soit la gestion de grosse crise demandant de l’aide (santé, moral), mais « on s’en sort ».
Pour la question du conjoint, il s’agit sans doute d’un sujet à explorer dans plusieurs directions. Le partage des tâches est-il équilibré ? Il semble que la majorité des polytechniciennes (mais nous avons eu au moins un témoignage dans l’autre sens), comme les autres femmes, prennent la plus grosse charge domestique. Y a‑t-il des couples qui marchent mieux ? L’une d’elles témoigne qu’elle est heureuse d’avoir épousé un homme très différent, ce qui évite les compétitions de carrière malsaines. D’autres ont épousé des hommes de même profil (polytechniciens souvent…) et n’évoquent pas particulièrement de compétition au sein du couple.
Sur la question des discriminations, harcèlements et violences sexuelles ou sexistes
Parmi les quelques-unes que nous avons interrogées, plusieurs parmi les promotions un peu anciennes ont fait part de réactions négatives quant à leur maternité. Ainsi l’une d’elles nous fait remarquer qu’elle n’aurait pas dû dire qu’elle avait quatre enfants ou qu’il était compliqué de demander un 4⁄5 de temps de travail, sujet dont il ne fallait pas parler. Une fois qu’elle l’a obtenu, elle s’est toutefois rendu compte que cela avait libéré d’autres femmes. Une autre nous raconte qu’un homme a changé radicalement d’attitude en entretien d’embauche quand il a su qu’elle était jeune maman. Une autre encore explique que ses chefs n’arrêtaient pas de répéter dans les années 80 qu’il n’était pas facile de gérer des femmes ingénieures partant en congés de maternité – ce à quoi elle a répondu que c’était plus facile que de gérer des hommes ingénieurs qui se cassaient une jambe au ski, du fait même qu’un congé de maternité est programmable et que ça permet de prévoir les remplacements ou un changement de poste…
De manière générale, nos camarades seniors ont vu les mentalités changer et les discriminations décroître. Une camarade s’inquiète même d’un possible retour de balancier trop fort. Ainsi raconte-t-elle qu’une très jeune femme de son équipe lui a dit : « Nous avons un grave problème de HDVS (harcèlements, discriminations et violences à caractère sexuel ou sexiste), un tel a fait un compliment sur sa coiffure à une telle. » Elle insiste sur la nécessité de bienveillance dans les deux sens.
Une responsabilité à assumer
Pour terminer, malgré tous les succès des polytechniciennes, la plupart d’entre nous ne peut manquer de remarquer le manque de femmes dirigeantes, le manque de femmes dans certains secteurs et les biais persistants rencontrés dans les processus de recrutement (favorisant consciemment ou inconsciemment des traits masculins). Cela veut dire que nous avons encore un manque de rôles modèles, mais aussi un monde de possibilités devant nous ! Cela veut aussi dire une responsabilité pour nous non seulement de montrer la voie dans l’exercice de nos métiers, mais aussi d’assurer que les conditions de la vie professionnelle soient équitables à tous points de vue.
Et, puisque nous manquons de rôles modèles féminins, nous concluons cet article avec les remarques de notre camarade Malika Ahmidouch (X08), qui méritent réflexion de la part de tous les professionnels, homme ou femme : « Le leadership au féminin demande des exemples et il en manque. Ainsi, on peut trouver du mauvais leadership, du potentiel gâché : « soit la femme entre dans les cases [masculines], elle surcompense, elle passe à un comportement agressif ; soit elle devient l’éternelle assistante dans l’ombre d’un homme, l’adjointe. Et cela, les hommes aiment bien… » Les polytechniciennes que nous avons rencontrées montrent certainement qu’une autre voie est possible.