Arnaud Pichard (E20) fondateur du « Retour de l’industrie en France »
Dans un contexte où la réindustrialisation de la France devient une question cruciale, Arnaud Pichard (E20), directeur général d’Energy Pool France, partage son parcours atypique et son engagement pour redynamiser l’industrie française. Fort d’une expérience de plus de vingt-cinq ans dans l’industrie, il évoque les défis rencontrés, les leçons tirées de son parcours personnel et professionnel, ainsi que les compétences nécessaires pour réussir dans ce domaine. À travers son initiative « Retour de l’industrie en France », il propose des solutions concrètes pour reconstruire les fondations de notre économie et invite à une réflexion profonde sur le rôle de chacun dans cette mission collective.
Arnaud, peux-tu me rappeler qui tu es, ton parcours, et dans quel contexte tu as été amené à t’intéresser à la réindustrialisation de la France ? Qu’en retires-tu pour toi-même ?
Âgé de 49 ans, père de trois enfants, je suis le directeur général France d’Energy Pool. Ancien sportif de bon niveau (judo, aviron, vélo type long road, alpinisme, tous pratiqués intensément dès mon adolescence), j’ai grandi dans les banlieues sensibles du Val-de-Marne et, après avoir redoublé trois fois avant le bac, j’ai décroché un bac S et un DUT mesures physiques. Extrêmement tourné vers le concret, j’ai fait mon service militaire et j’ai travaillé pendant un an et demi en tant que technicien ; je me suis rapidement ennuyé et j’ai repris des études pour décrocher un diplôme d’ingénieur en alternance avec Air Liquide.
J’ai passé vingt-cinq ans dans l’industrie en franchissant progressivement les étapes jusqu’à prendre la mission de vice-président chez Schneider, directeur de la stratégie. Pendant ces vingt-cinq ans, j’ai été constamment sur le terrain, personnellement avec mes équipes, en France et à l’international. C’est là que j’ai vu notre industrie disparaître, ainsi que celle d’autres pays. Et c’est aussi là que j’ai vu d’autres pays gagner ce combat, progressivement, au prix d’intenses efforts.
À l’âge de 33 ans, j’ai eu un grave accident de sport (snowboard), lequel m’a fait rester presque un an alité. Au-delà des blessures physiques que j’avais déjà bien connues dans d’autres circonstances, ce fut là un moment qui m’a permis de réfléchir à mon pays, à ma place, à mon engagement, à ma participation à ma modeste échelle. Du temps est passé, la France n’allait pas si mal, en apparence.
“Des gens trop conformistes, il ne naît rien.”
J’ai complété ma formation à l’Insead et, lorsque j’ai participé à la sélection pour entrer à l’École polytechnique pour l’Executive Master, j’étais également admis pour intégrer le MBA de Chicago Booth. Je me suis dit qu’il était temps d’avoir une action pour mon pays. J’ai donc choisi l’École polytechnique et, à mon entrée à l’X, j’ai tout de suite proposé à ma promotion, à ceux à qui la France parle, de fonder une association ; c’est ainsi qu’est né le « Retour de l’industrie en France ».
Invités à l’Élysée, à Bercy, ainsi qu’aux ministères des Affaires étrangères et de l’Industrie, nous avons publié deux ouvrages en collaboration avec de nombreuses personnalités : La France sous-traitée et Reconstruire les fondations de notre industrie. Nous avons été interviewés par le journal de l’Assemblée nationale sur le thème « D’une industrie optimisée à une industrie hyperfragilisée ». Nos échanges ont été variés, incluant des personnalités telles que Jean-Claude Mailly, Frédéric Pierucci, Alain Juillet, Christian Harbulot, Henri Guaino, Nicolas Sarkozy, Arnaud Montebourg et Louis Gallois.
Par ailleurs, nous avons organisé ou participé à des dizaines de conférences (Sorbonne, Polytechnique, E5T, French Fab, Agropole, Quai Alpha…). Le RIF (Retour de l’industrie en France) se veut force de proposition pour la stratégie industrielle française, avec 50 projets d’envergure nationale et plus de 20 mesures pour les concrétiser. J’y ai consacré trois années de ma vie, sans autre emploi et sans rémunération, car je crois profondément en cette mission.
Faut-il des compétences spécifiques ? Si oui, lesquelles et comment les acquérir ?
Mon père, enseignant d’art à l’École Boulle, aimait dire à ses élèves : « Des gens trop conformistes, il ne naît rien. » À l’inverse, ma mère, comptable et pragmatique, m’a souvent répété : « C’est encore un truc d’ingénieur », face à la complexité de certaines situations.
Il est essentiel d’être curieux, mais la curiosité doit être accompagnée de persévérance. Il faut s’investir sur la durée dans un domaine pour comprendre qu’être expert dans un secteur implique de connaître les limites de son savoir dans d’autres. Savoir s’entourer de personnes compétentes, travailler en équipe et apporter sa contribution à un projet commun est primordial. Aucun projet ne réussit sans une équipe performante.
La notion de performance doit être centrale dans nos choix de constituer des équipes. Ce critère, à la fois neutre et universel, doit retrouver un sens partagé par tous.
Enfin, il est crucial, surtout à des postes de responsabilité, de prendre du recul sur ses actions et leurs conséquences, de penser sur le long terme, que ce soit pour son entreprise, pour ses collaborateurs, pour son pays ou pour l’environnement. Nous devons agir en leaders responsables, en gardant à l’esprit les valeurs essentielles pour bâtir un avenir durable.
En tant que dirigeant, quels conseils donnerais-tu à un polytechnicien souhaitant s’engager dans ce domaine ? Quel parcours suivre et quelles en seraient les implications sur sa carrière ?
Lorsqu’on intègre l’École polytechnique, on connaît bien ses valeurs : Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire. L’engagement au service de la collectivité et du pays doit primer sur l’ambition personnelle.
Il est important, dans les premières étapes de sa carrière, de prendre le temps de comprendre le monde professionnel, en réalisant des tâches concrètes, même simples, quel que soit son diplôme. Cela permet de mieux assimiler les processus et de comprendre les personnes que l’on sera amené à diriger. Prendre le temps d’acquérir des bases solides permet de progresser plus sereinement et efficacement par la suite.
J’ai souvent vu des individus se focaliser sur leur prochaine promotion sans réellement maîtriser leurs fonctions actuelles. Cette approche finit par freiner leur progression à long terme. Chaque carrière suit un rythme différent et la réussite ne se mesure pas toujours à la rapidité de l’ascension, mais à la cohérence entre ses priorités, ses valeurs et les objectifs atteints.
Vois-tu d’autres points à évoquer ?
Soyez libres. Libres de penser, de dire et d’agir dans une époque marquée par l’incertitude : environnement, économie, instabilité géopolitique, insécurité… La peur, si elle peut parfois nous pousser à réagir, paralyse souvent et peut conduire à de mauvaises décisions. Ne laissez pas la peur guider vos choix. Nous avons le pouvoir de façonner l’avenir par nos actions.