Evolution du nombre de textes reglementaires relatifs à l'environnement

Comment naît une directive européenne sur l’environnement ?

Dossier : Entreprise et environnementMagazine N°587 Septembre 2003Par : Pascale KROMAREK, Juriste Déléguée auprès de la Direction Développement Durable et Environnement de Total

Le droit de l’environnement recouvre un domaine extrê­me­ment vaste, puisque l’environnement lui-même n’a qua­si­ment pas de fron­tières, ni géo­gra­phiques ni dis­ci­pli­naires, et touche à de très nom­breux domaines. Les régle­men­ta­tions sec­to­rielles sur l’eau, l’air, les déchets, la nature, etc., sont appa­rues les pre­mières ; il y en a tou­jours, et il en fau­dra encore, même si on a de plus en plus ten­dance à les inté­grer dans un concept plus large de “ pro­tec­tion de l’environnement ”.
L’un des meilleurs exemples de cette inté­gra­tion, dans le domaine indus­triel, est une célèbre direc­tive que tout le monde appelle par son sigle anglais IPPC (Inte­gra­ted Pol­lu­tion Pre­ven­tion and Control) – en fran­çais, cela fait PRIP (Pré­ven­tion et réduc­tion inté­grées de la pollution).
Cette direc­tive régle­mente l’autorisation de fonc­tion­ne­ment d’une ins­tal­la­tion indus­trielle de façon inté­grée, c’est-à-dire que l’ensemble des rejets dans tous les milieux doit être pris en consi­dé­ra­tion. Avec ce concept, la réduc­tion des rejets dans un milieu par­ti­cu­lier ne doit pas abou­tir à une aug­men­ta­tion des rejets dans un autre milieu. C’est clai­re­ment un défi.

Au moins 80 % de la régle­men­ta­tion fran­çaise en envi­ron­ne­ment pro­vient des régle­men­ta­tions com­mu­nau­taires. En matière de régle­men­ta­tion et de droit, c’est (jus­qu’à pré­sent) la Com­mu­nau­té euro­péenne et non pas l’U­nion qui a les com­pé­tences. Le droit éla­bo­ré par la Com­mu­nau­té euro­péenne est essen­tiel­le­ment com­po­sé de direc­tives et de règle­ments. Je devrais com­men­cer par les règle­ments parce qu’ils s’ap­pliquent direc­te­ment dans les États membres alors que les direc­tives doivent être trans­po­sées dans le droit natio­nal de cha­cun des États avant d’a­voir une force contrai­gnante. À cela, il fau­drait ajou­ter les déci­sions, qui ne sont pas des actes géné­raux comme les règle­ments et les direc­tives, mais des actes indi­vi­duels qui concernent des caté­go­ries spé­ci­fiques d’ac­teurs éco­no­miques, voire même une ou deux per­sonnes. Ain­si, la déci­sion d’at­tri­buer une sub­ven­tion à un pro­gramme de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment, ou à l’as­sai­nis­se­ment d’une décharge, est une décision.

La Com­mis­sion pro­duit quan­ti­tés d’autres textes, qui n’ont pas néces­sai­re­ment une valeur obli­ga­toire. Mais ils ont cepen­dant un rôle essen­tiel, car ils annoncent, en géné­ral, de la régle­men­ta­tion à plus ou moins long terme. C’est le cas, par exemple, des recom­man­da­tions. La recom­man­da­tion, comme son nom l’in­dique, n’a qu’une valeur inci­ta­tive. Il existe par exemple une recom­man­da­tion depuis un an sur l’ins­pec­tion envi­ron­ne­men­tale, qui décrit le sys­tème idéal, selon la Com­mu­nau­té, des ins­pec­tions : les qua­li­tés que devraient avoir les ins­pec­teurs, les moda­li­tés de l’ins­pec­tion, etc. Cela res­semble assez à ce que nous connais­sons en France, mais, il y a, déjà iden­ti­fiables, un cer­tain nombre de points de différence.

Ce texte n’est certes qu’une recom­man­da­tion, mais la Com­mis­sion sou­haite avoir un rap­port, au bout de trois ans, sur la façon dont les États l’au­ront appli­quée. À l’é­vi­dence, cela devrait débou­cher sur une directive.

Il existe éga­le­ment des pro­grammes, tel le 6e pro­gramme d’ac­tion en envi­ron­ne­ment qui vient d’en­trer en appli­ca­tion, qui couvre les dix ans à venir, et qui pose les grands prin­cipes de l’ac­tion de la Com­mu­nau­té en matière d’en­vi­ron­ne­ment, ain­si que les grands domaines dans les­quels elle a l’in­ten­tion d’in­ter­ve­nir. Un tel docu­ment peut dif­fi­ci­le­ment se résu­mer, car il repré­sente un monde en soi : le pro­gramme pour les dix ans qui com­mencent contient éga­le­ment des prin­cipes et des actions qui étaient déjà men­tion­nés dès le pre­mier pro­gramme de 1973, et le second de 1977 (à l’é­poque, les pro­grammes étaient quin­quen­naux – ils sont deve­nus décen­naux à par­tir de 1992).

Il est frap­pant de consta­ter, à cet égard, à quel point l’ac­tion de la Com­mu­nau­té en matière d’en­vi­ron­ne­ment suit des constantes. Cela pour­rait se résu­mer en « pré­ven­tion, pré­ven­tion, et pré­ven­tion, et, s’il y a dom­mage, res­tau­ra­tion ». Le voca­bu­laire a par contre évo­lué de 1973 à 2003 : on par­lait par exemple de coopé­ra­tion, de concer­ta­tion et de res­pon­sa­bi­li­té par­ta­gée ; on parle main­te­nant de part­ner­ship.

Les don­nées envi­ron­ne­men­tales mon­diales, la volon­té d’in­té­gra­tion, de glo­ba­li­sa­tion, se tra­dui­sant par une volon­té de déve­lop­pe­ment durable, la prise en compte crois­sante de la san­té se sont ren­for­cées. Ain­si, il est inté­res­sant d’ob­ser­ver à quel point l’œuvre construite par la Com­mu­nau­té devient un véri­table édi­fice, qui démontre une cer­taine logique interne.

Nous en sommes à 300 textes obli­ga­toires, peut-être 350. C’est dif­fi­cile d’en être cer­tain, parce qu’à chaque fois qu’un État entre dans la Com­mu­nau­té, il y a une modi­fi­ca­tion pure­ment for­melle de l’en­semble des textes, qui ne change rien sur le fond mais aug­mente arti­fi­ciel­le­ment leur nombre. À chaque fois qu’une annexe est modi­fiée, et cela arrive sou­vent, notam­ment en matière de pro­duits chi­miques, cela fait un nou­veau texte. Le nombre de 350 doit donc s’in­ter­pré­ter comme concer­nant uni­que­ment les textes de base, fondamentaux.

Mais si nous comp­tons comme « nou­veau texte » de l’an­née tous les textes pro­duits par la Com­mis­sion, qu’ils soient réel­le­ment nou­veaux, ou découlent seule­ment d’a­dap­ta­tions for­melles ou d’a­jout d’an­nexes, et que nous y ajou­tons l’ac­ti­vi­té régle­men­taire pure­ment natio­nale, c’est faci­le­ment 500 à 600 textes par an qui sont pro­duits depuis 2000, contre moins d’une dizaine avant 1960. Bien évi­dem­ment, un cer­tain nombre ont été abro­gés depuis leur paru­tion, d’autres ne sont plus d’ap­pli­ca­tion – ils ont pu être pris pour une durée limi­tée – mais les ordres de gran­deur sont là.

L’en­vi­ron­ne­ment est aujourd’­hui régi, en France, par 800 ou 900 décrets prin­ci­paux, voire 1 000, et quelques 10 000 arrê­tés. Les cir­cu­laires, en vert sur le gra­phique, ne doivent pas être confon­dues avec les lois, décrets, arrê­tés (éma­nant du gou­ver­ne­ment fran­çais), en jaune, et les textes euro­péens, en bleu, qui sont des textes obli­ga­toires. Si nous ajou­tions à ce total les recom­man­da­tions, pro­grammes d’ac­tion, et autres pro­duc­tions euro­péennes, cela tri­ple­rait pro­ba­ble­ment le volume du bleu sur le graphique.

Nous avons là un gros pro­blème pour les mal­heu­reux juristes et tous ceux qui doivent appli­quer les textes. Être cor­rec­te­ment infor­mé sur cette pro­duc­tion – sans par­ler des dif­fi­cul­tés de mise en appli­ca­tion – n’est pas tou­jours simple.

La genèse d’un texte euro­péen est un pro­ces­sus assez extra­or­di­naire. Bien que les pro­pos ci-des­sous concernent essen­tiel­le­ment les textes obli­ga­toires, ils s’ap­pliquent éga­le­ment dans leurs grandes lignes à un bon nombre de recom­man­da­tions qui s’ap­pellent d’ailleurs des livres verts, des livres blancs… Quelques règles empi­riques peuvent être édic­tées : un livre blanc pré­lude géné­ra­le­ment à une direc­tive dans les trois ans, voire deux ans ; un livre vert pré­lude à un livre blanc avec un délai variable de trois à dix ans. Le livre vert est un docu­ment de réflexion qui décrit l’é­tat d’une régle­men­ta­tion sur un sujet don­né, dans les États de l’U­nion, et, dans le reste du monde, au moins aux États-Unis et sou­vent au Japon…, et qui fait part des inten­tions de la Com­mis­sion. Le livre blanc pré­sente, en germe, la future régle­men­ta­tion, tout en lais­sant ouverts un cer­tain nombre de points.

Les acteurs

Dès que nous évo­quons les auto­ri­tés euro­péennes, nous uti­li­sons volon­tiers le mot » Bruxelles « , ce qui est com­mode, mais Bruxelles, qui est-ce ? Dire Bruxelles, psy­cho­lo­gi­que­ment et socio­lo­gi­que­ment, c’est prendre de la dis­tance par rap­port aux textes, que ce soit pour l’ad­mi­nis­tra­tion fran­çaise, pour l’in­dus­trie, ou pour n’im­porte quel autre acteur. Ceux qui doivent faire appli­quer le texte uti­li­se­ront » Bruxelles » comme bou­clier, pour aller de l’a­vant. » Bruxelles veut cela, alors on est obli­gés de le faire. » Ceux qui cri­tiquent le texte uti­lisent » Bruxelles » pour dési­gner une bureau­cra­tie et une tech­no­cra­tie pour le moins éloi­gnées des réa­li­tés du ter­rain et des enjeux propres à chaque acteur… Il y a tou­jours une dis­tan­cia­tion entre le res­sor­tis­sant d’un État qui doit appli­quer une régle­men­ta­tion com­mu­nau­taire et cette régle­men­ta­tion communautaire.

Si nous regar­dons plus pré­ci­sé­ment les acteurs euro­péens, nous avons d’a­bord La Com­mis­sion.

La Com­mis­sion, que l’on appelle la « gar­dienne des trai­tés », a aus­si pour rôle d’être, et elle seule jus­qu’à pré­sent, l’i­ni­tia­trice des régle­men­ta­tions. Pour le pro­pos qui nous concerne, l’his­toire com­mence à la Direc­tion géné­rale (DG) envi­ron­ne­ment ; c’est un fonc­tion­naire d’un des prin­ci­paux ser­vices qui va éla­bo­rer un pre­mier pro­jet de texte. Il le mon­tre­ra à quelques col­lègues. Il a tou­jours, bien évi­dem­ment, quoique fonc­tion­naire euro­péen déta­ché de son pays d’o­ri­gine, un réseau de rela­tions ou d’a­mis dans son propre pays, à qui il sou­met son texte, de pré­fé­rence à quel­qu’un qui connaît un peu le sujet. Le quel­qu’un en ques­tion a éga­le­ment des rela­tions de confiance, dans d’autres pays d’Eu­rope, aux­quels il va mon­trer le papier. Et voi­ci com­ment un simple pro­jet com­mence à prendre une cer­taine importance.

Toutes les per­sonnes étant consul­tées non offi­ciel­le­ment, et étant par défi­ni­tion des experts de la ques­tion, sont tout à fait inté­res­sées, et vont donc faire des remarques mul­tiples, pou­vant aller jus­qu’à « ça ne va pas du tout, voi­là com­ment il faut écrire les choses ». Ain­si, lors­qu’un pre­mier avant-avant pro­jet de texte est sou­mis au chef de ser­vice du fonc­tion­naire qui tient la plume à la Com­mis­sion, ce texte a déjà été vu par beau­coup de personnes.

Une fois que le pro­jet est consen­suel entre son auteur et son chef de ser­vice, il faut un accord au sein de la Direc­tion envi­ron­ne­ment elle-même, ce qui sup­pose une concer­ta­tion entre les dif­fé­rents ser­vices de cette direc­tion (ceci res­semble à la consul­ta­tion inter­ser­vices au sein d’un minis­tère). Sui­vra ensuite une consul­ta­tion entre les dif­fé­rentes Direc­tions géné­rales (comme en France aus­si, où le pro­jet doit pas­ser en consul­ta­tion interministérielle…).

Enfin, tant que le texte n’est pas accep­té par le Col­lège des com­mis­saires, il n’existe pas de pro­jet offi­ciel. Le pro­jet de direc­tive qui devient offi­ciel, qui est publié au Jour­nal offi­ciel, qui est dis­po­nible sur Inter­net, etc., est un texte qui reflète néces­sai­re­ment l’ac­cord una­nime de la Com­mis­sion, c’est-à-dire de tous les com­mis­saires ; ce n’est plus un texte qui émane sim­ple­ment d’un ser­vice. Cette pre­mière étape peut durer jus­qu’à trois ans. Une telle durée est nor­male pour éla­bo­rer un pro­jet qui « se tienne » à peu près, dans un contexte où les inté­rêts entre les dif­fé­rentes direc­tions géné­rales ne sont pas néces­sai­re­ment concor­dants (tout comme, en France, les dif­fé­rents minis­tères n’ont pas tou­jours une vue una­nime sur un pro­blème donné).

Lorsque le pro­jet de direc­tive est offi­ciel, il est donc déjà rela­ti­ve­ment bien connu dans les milieux dits concer­nés et bien infor­més. Si rien n’est encore défi­ni­tif, beau­coup est cepen­dant déjà joué. Ce pre­mier cadre fige assez for­te­ment les choses, comme un pro­jet de loi pré­fi­gure géné­ra­le­ment assez bien la loi qui fini­ra par être votée. La seconde étape consiste alors à pas­ser à la fois au Conseil et au Par­le­ment. Le Par­le­ment confie à ses com­mis­sions (une, deux ou trois) un pre­mier exa­men du pro­jet de direc­tive. Chaque com­mis­sion consul­tée adopte (par vote) des amen­de­ments, et le texte muni des pro­po­si­tions d’a­men­de­ments de la com­mis­sion consul­tée et des pro­po­si­tions d’a­men­de­ments d’autres par­le­men­taires passe en séance plénière.

Mais en paral­lèle le Conseil (qui est com­po­sé des États membres eux-mêmes) tra­vaille éga­le­ment sur le pro­jet de direc­tive. Les États membres envoient des experts qui exa­minent le texte pro­po­sé, et essaient de déga­ger un consen­sus. Avec 15 États et, en géné­ral, deux experts (qui sont des fonc­tion­naires) par État, cela fait quelques dizaines de per­sonnes qui vont dans ces réunions. Ils en réfèrent ensuite à leur ministre qui pour­ra don­ner des ins­truc­tions par­ti­cu­lières. Au sein du gou­ver­ne­ment, notam­ment en France, il existe une ins­tance de consul­ta­tion et de concer­ta­tion, le SGCI1, qui recueille l’a­vis de tous les minis­tères concer­nés par le pro­jet de texte, afin de déga­ger une posi­tion natio­nale har­mo­ni­sée. Cette pro­cé­dure de tra­vail menée en paral­lèle entre le Conseil et le Par­le­ment porte le nom de codé­ci­sion, car les deux ins­tances ont exac­te­ment le même pou­voir de déci­sion. Il est impos­sible de décrire sim­ple­ment tous les raf­fi­ne­ments de cette pro­cé­dure, remar­qua­ble­ment com­plexe, qui est résu­mée sur la figure ci-après.

Procedure de travail menée en parallele entre la Comission et le Parlement européenSi le Par­le­ment et le Conseil ne se mettent pas d’ac­cord sur les amen­de­ments qu’ils veulent appor­ter à la pro­po­si­tion de direc­tive de la Com­mis­sion, deux cas se pré­sentent : soit le Par­le­ment rejette una­ni­me­ment le pro­jet d’a­men­de­ment, et le texte « tombe », soit la Com­mis­sion pré­sente un nou­veau pro­jet tenant compte des posi­tions du Conseil et des amen­de­ments par­le­men­taires. Faute d’ac­cord, il est pos­sible qu’une direc­tive ne voie jamais le jour. S’il n’y a pas d’ac­cord entre le Conseil et le Par­le­ment, comme en France un comi­té de conci­lia­tion est consti­tué, qui éla­bore un pro­jet sur lequel il y a accord des deux ins­tances de déci­sion, ou bien, s’il n’y a pas accord, le pro­jet disparaît.

Une direc­tive est donc adop­tée à la fois par le Par­le­ment et par le Conseil, ce « et » est très impor­tant. En effet, avec cette pro­cé­dure, aucun gou­ver­ne­ment ne peut dire qu’il n’a pas pu inter­ve­nir dans l’é­la­bo­ra­tion du texte. Bien sûr, un texte peut être adop­té contre l’a­vis d’un État, comme dans tous pro­ces­sus d’a­dop­tion à la majorité.

En géné­ral, les pro­cé­dures d’a­dop­tion sont secrètes, mais il est fré­quent que les États qui ne sont pas d’ac­cord le fassent savoir ; il ne s’a­git pas cepen­dant d’une posi­tion offi­cielle, puis­qu’on n’acte pas un vote » contre « . À par­tir du moment où la direc­tive est adop­tée, tous les États sont tenus par elle.

On ne peut plus y échap­per, qu’on l’ait vou­lue, ou pas. Cela est conforme à la manière dont le droit com­mu­nau­taire a été conçu en 1957 avec le trai­té de Rome, qui affirme, sou­te­nu par une juris­pru­dence constante de la Cour de jus­tice des Com­mu­nau­tés, la pri­mau­té de ce droit.

Outre les États, d’autres acteurs inter­viennent éga­le­ment dans la nais­sance d’un texte. Bruxelles regorge d’ONG diverses, qui peuvent repré­sen­ter la socié­té « civile », mais aus­si, fort concrè­te­ment, les inté­rêts d’une pro­fes­sion, ou d’une caté­go­rie d’ac­teurs bien iden­ti­fiés. Cer­taines sont extrê­me­ment actives, mul­ti­pliant les contacts « pri­vés » ou les décla­ra­tions publiques qui sont autant d’élé­ments pou­vant inflé­chir le cours des choses. Ensuite, à côté des repré­sen­ta­tions offi­cielles des pays membres de la Com­mu­nau­té, cer­tains éche­lons infé­rieurs peuvent aus­si être repré­sen­tés, qui tentent de faire valoir leurs intérêts.

C’est le cas de tous les Län­der alle­mands, d’un cer­tain nombre de régions fran­çaises, ita­liennes, espa­gnoles, etc. En outre, tout acteur inté­res­sé peut orga­ni­ser des réunions direc­te­ment avec les fonc­tion­naires ou avec les par­le­men­taires pour par­ler de l’é­tat du texte. Il y a une très forte impli­ca­tion des acteurs natio­naux repré­sen­tant cette « socié­té civile » à tous les stades de l’é­la­bo­ra­tion du pro­jet, et sur­tout lors de l’é­ta­blis­se­ment de la direc­tive défi­ni­tive, pen­dant la pro­cé­dure par­le­men­taire. Il y a enfin un rôle très spé­ci­fique des consul­tants, qui sont omni­pré­sents, eux aus­si, à tous les stades de la pro­cé­dure, et aident à défi­nir, voire déter­mi­ner, la posi­tion d’un État membre, d’une fédé­ra­tion indus­trielle, ou même d’une entreprise.

Caractéristiques d’un texte réglementaire

Finit par arri­ver le moment où la direc­tive (ou le règle­ment, etc.) est publiée au Jour­nal offi­ciel, ce qui consti­tue son acte de nais­sance véri­table. Elle devient alors un texte à trans­po­ser par les gou­ver­ne­ments, immé­dia­te­ment ou dans le délai pres­crit appli­cable. Ce texte qui sort a‑t-il des carac­té­ris­tiques spé­ci­fiques ? Une direc­tive n’est jamais le plus petit com­mun déno­mi­na­teur des régle­men­ta­tions natio­nales qui peuvent déjà exis­ter. Elle n’est jamais non plus un simple mélange des règles qui existent déjà dans les États. Il est en effet excep­tion­nel que, lors­qu’une direc­tive est en pro­jet, il n’existe pas déjà de la régle­men­ta­tion sur le sujet dans cer­tains États membres. Cela peut ne concer­ner que deux États ou en concer­ner dix, et s’il n’en existe pas en Europe, les États-Unis ou le Japon ont déjà « quelque chose », dont la Com­mu­nau­té peut s’ins­pi­rer. Mais jamais elle ne trans­cri­ra sim­ple­ment une régle­men­ta­tion natio­nale ; elle fait en géné­ral une œuvre sui gene­ris.

Pour éla­bo­rer une direc­tive, ou tout texte régle­men­taire, la Com­mis­sion s’ap­puie sur cer­tains cri­tères qui sont énu­mé­rés dans l’ar­ticle 174 du trai­té de Rome modi­fié par les trai­tés de Maas­tricht et Amster­dam. Elle doit tenir compte des don­nées scien­ti­fiques et tech­niques dis­po­nibles, des condi­tions de l’en­vi­ron­ne­ment dans les diverses régions de la Com­mu­nau­té, des avan­tages et des charges qui peuvent résul­ter de l’ac­tion ou de l’ab­sence d’ac­tion, et enfin du déve­lop­pe­ment éco­no­mique et social de la Com­mu­nau­té dans son ensemble et du déve­lop­pe­ment équi­li­bré de ses régions. Nous arri­vons alors là dans l’é­co­no­mie, ce qui signi­fie que la Com­mis­sion module au besoin cer­taines direc­tives, avec des appli­ca­tions dif­fé­rées pour cer­taines normes ou des pos­si­bi­li­tés de sou­tien éco­no­mique dans quelques pays, en fonc­tion du déve­lop­pe­ment éco­no­mique et social des dif­fé­rentes régions.

Depuis quelques années, la Com­mis­sion fait une étude d’im­pact sur ces dif­fé­rents cri­tères, pour cha­cun des textes pro­po­sés ; elle estime pra­ti­que­ment à chaque fois qu’ils sont res­pec­tés. Elle man­date en géné­ral des consul­tants pour éta­blir quelles sont les don­nées scien­ti­fiques et tech­niques disponibles.

Pour les autres élé­ments, notam­ment l’élé­ment éco­no­mique et finan­cier, il est rare qu’une étude sérieuse soit faite. Nous en avons en ce moment des exemples dans la chi­mie, avec un pro­jet de direc­tive sur la poli­tique des pro­duits chi­miques extrê­me­ment dan­ge­reux, car extrê­me­ment coû­teux pour l’in­dus­trie fran­çaise, comme d’ailleurs pour l’in­dus­trie alle­mande, comme le prouvent des études spé­ci­fiques et approfondies.

Conséquences de l’adoption d’un texte communautaire

Quand une régle­men­ta­tion contrai­gnante (règle­ment, direc­tive ou déci­sion) est adop­tée et publiée au Jour­nal offi­ciel des Com­mu­nau­tés, elle doit être trans­po­sée dans les droits des États membres, et elle doit être appli­quée en pra­tique. Mais très sou­vent, quand un texte est « sor­ti », ses dif­fi­cul­tés d’ap­pli­ca­tion sont déjà programmées !

Il y a d’a­bord des dif­fi­cul­tés spé­ci­fi­que­ment juri­diques, dues aux spé­ci­fi­ci­tés des droits natio­naux dans les­quels doit se « cou­ler » le texte com­mu­nau­taire, ou dues, entre autres, aux struc­tures consti­tu­tion­nelles et admi­nis­tra­tives des États. Ain­si les États fédé­raux ou régio­na­li­sés doivent comp­ter avec leurs régions ou États fédé­rés, qui peuvent déte­nir des com­pé­tences légis­la­tives auto­nomes, et doivent alors trans­po­ser eux-mêmes les textes com­mu­nau­taires, ou bien déclinent, avec plus ou moins de marge de manœuvre, les régle­men­ta­tions natio­nales fédé­rales. Rap­pe­lons que pour les auto­ri­tés bruxel­loises de contrôle, seul compte le niveau national.

Sans insis­ter sur les dif­fé­rentes rai­sons des dif­fi­cul­tés de trans­po­si­tion et d’ap­pli­ca­tion, il faut cepen­dant men­tion­ner deux facteurs.

Le lan­gage est essen­tiel dans les textes com­mu­nau­taires. Par exemple, dans le règle­ment dit EMAS2, qui crée le cadre, les orien­ta­tions et les condi­tions d’ap­pli­ca­tion d’un sys­tème euro­péen de mana­ge­ment envi­ron­ne­men­tal auquel peuvent adhé­rer les entre­prises, appa­raît le mot « agré­ment » : les audi­teurs, qui éta­blissent le diag­nos­tic envi­ron­ne­men­tal de l’en­tre­prise, doivent être « agréés ».

Or, l’a­gré­ment en France est une pro­cé­dure admi­nis­tra­tive tout à fait spé­ci­fique qui requiert l’in­ter­ven­tion de l’É­tat ; cette inter­ven­tion n’é­tait pas pré­vue par les auteurs qui ont éla­bo­ré ce règle­ment en 1993. Mais nous avions concoc­té, en France, un dis­po­si­tif ad hoc pour répondre aux obli­ga­tions du règle­ment ain­si qu’aux obli­ga­tions juri­diques de notre propre sys­tème, ce qui n’é­tait abso­lu­ment pas néces­saire. Il en résul­tait une inter­ven­tion de l’É­tat dans le méca­nisme et une sorte de double contrôle sur les audi­teurs. Entre-temps les moda­li­tés ont été modi­fiées et allé­gées. Mais il aurait suf­fi de se deman­der, au moment de la trans­po­si­tion, quel était le sens du mot « agré­ment », tel qu’il était com­mu­né­ment accep­té par l’en­semble des États qui avaient contri­bué à éla­bo­rer la réglementation.

Il y a des quan­ti­tés d’exemples comme celui-là, où un État se retrouve aux prises avec de grandes dif­fi­cul­tés parce qu’il se fixe sur un mot, sans voir qu’il ne faut pas néces­sai­re­ment com­prendre ce terme en fonc­tion de son propre sys­tème admi­nis­tra­tif et juri­dique, mais de façon beau­coup plus large, ou en tout cas dans un esprit « com­mu­nau­taire ». Dans l’é­la­bo­ra­tion d’une direc­tive, l’é­tape qui pré­cède l’a­dop­tion au Conseil, et où inter­viennent les juristes et les lin­guistes, est une étape essen­tielle dans la mesure où il arrive que cer­tains États font exprès de faire pas­ser cer­taines perles lin­guis­tiques, en sachant que cela les arran­ge­ra dans leur propre sys­tème, sans sou­ci des consé­quences pour les autres États.

Enfin, l’in­ter­pré­ta­tion d’une direc­tive est un exer­cice par­ti­cu­liè­re­ment déli­cat. Il y a tout un art pour le faire et le début de cet art réside dans une approche volon­tai­re­ment « com­mu­nau­ta­riste ». Il faut prendre et lire le texte com­mu­nau­taire en se déta­chant de son droit, se péné­trer de la direc­tive, de son esprit et de ses termes, et ensuite exa­mi­ner son propre droit à la lumière de cette direc­tive. Lire la direc­tive à la lumière de son propre droit, com­por­te­ment pour­tant « inné », débouche faci­le­ment sur des contresens.

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1.
Secré­ta­riat géné­ral du Comi­té inter­mi­nis­té­riel pour les ques­tions de coopé­ra­tion éco­no­mique euro­péenne. Le SGCI a pour mis­sion essen­tielle de coor­don­ner la défi­ni­tion des posi­tions que la France exprime au sein des ins­tances com­mu­nau­taires, afin de garan­tir la cohé­rence et l’u­ni­té de la posi­tion fran­çaise défen­due à Bruxelles. Cette mis­sion se fonde sur le prin­cipe sui­vant : chaque minis­tère est com­pé­tent pour le dos­sier qui le concerne, le SGCI assu­rant la coor­di­na­tion de l’en­semble. Les ins­truc­tions éla­bo­rées sur cette base s’im­posent aux négo­cia­teurs fran­çais. Lorsque la défi­ni­tion d’une posi­tion com­mune s’a­vère dif­fi­cile et qu’au­cun com­pro­mis ne peut être trou­vé, le SGCI en appelle à l’ar­bi­trage du Pre­mier ministre.
2. EMAS : ECO-Mana­ge­ment and Audit Scheme – voir article d’A­drien Bénard.

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