Fiscalité écologique
Fiscalité écologique : une expression ambiguë
On parle beaucoup de « fiscalité écologique « , mais on en fait peu et cette expression est ambiguë car elle recouvre deux types de fiscalité très différents.
• Certains prélèvemems obligatoires sont dits » écologiques » parce que la recette correspondante est affectée à un fonds d’intervention pour la protection de l’environnement (ex. : taxes sur le SO2, les huiles usées ou les déchets mis en décharges qui alimentent des fonds d’intervention gérés par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, redevances des Agences de l’eau). Dans un tel cas, ce qui est utile à la protection de l’environnement, ce sont les subventions apportées par ces fonds et non la taxe qui les alimente. Or ces subventions pourraient tout aussi bien être accordées sur le budget général de l’État et si, au nom de l’équité (principe pollueur payeur), la taxe est fondée sur une assiette qui a un certain lien avec la genèse d’une pollution, son taux est beaucoup trop faible pour qu’elle soit incitative : ce taux est fixé en fonction de la recette souhaitée pour le fonds d’intervention et pas du tout en fonction des coûts externes liés à la pollution en cause ; il est très inférieur à ces coûts. Par ailleurs, comme le taux de ces taxes est faible, on cherche à réduire le coût de leur perception et on renonce souvent , pour ce motif, à choisir une assiette qui soir bien corrélée avec la pollution que l’on veut combattre ; on retient une assiette schématique et souvent forfaitaire pour être peu coûteuse à déterminer, ce qui renforce le caractère non incitatif de la taxe.
• La véritable » fiscalité écologique » est, à mes yeux », une fiscalité lourde, non affectée spécifiquement à la protection de l’environnement mais destinée à la couverture générale des dépenses publiques. Son taux est élevé si bien que cette fiscalité a un rôle important pour limiter les comportements nuisibles à l’environnement. La taxe la plus utile à la protection de l’environnement est en France la taxe intérieure sur les produits pétroliers qui a rapporté au budget de l’État plus de 130 milliards de francs en 1996 au titre des carburants.
Bien que son niveau soit insuffisant pour imputer, au transport routier de marchandises et à l’automobile en agglomération , la totalité des coûts externes qu’ils induisent (1), cette taxe a su limiter un développement excessif des transports routiers dépassant largement leur utilité sociale réelle : en l’absence d’une telle taxe, la consommation de carburants routiers, par habitant est, aux USA, 3,4 fois plus élevée qu’en France. On peut cependant regretter que notre pays ait, depuis une demi-douzaine d’années, réduit de 22 % (en francs constants) les prélèvements obligatoires perçus sur les usagers de la route, alors même qu’ils étaient insuffisants.
Dans ce qui suit, il sera surtout question du deuxième type de fiscalité écologique qui peut contribuer à couvrir les dépenses globales des collectivités publiques tout en suscitant chez tous nos concitoyens des choix décentralisés qui ménagent l’environnement.
Effets redistributifs et incitatifs de tout impôt
La nation fait des choix politiques concernant la nature et le niveau des interventions qu’elle juge utile de confier à l’État et aux collectivités locales. Il résulte de ces choix un niveau de dépense publique que les divers prélèvements obligatoires rendent possible : le but premier de tout impôt (2) est de participer à la couverture des dépenses publiques. (Dans notre pays la part de la dépense publique dans le PlB a été stabilisée depuis 1983 car il y a un consensus assez fort pour juger que ce niveau est suffisant et ne doit pas être dépassé.)
Au-delà de ce but premier, tout impôt a forcément deux effets :
– un effet redistributif entre les entreprises et les ménages et, au sein des ménages, entre les fiches et les pauvres,
– un effet incitatif·
Si le premier de ces effets est généralement pris en considération lorsque l’on choisit d’instaurer ou d’accroître tel impôt plutôt que tel autre, on se préoccupe rarement de l’effet incitatif de cet impôt.
Celui-ci est pourtant très important : aucun impôt n’est neutre, tous modifient dans un sens ou dans l’autre le comportement des assujettis qui tendent à réduire l’assiette imposable.
Dans le domaine qui nous intéresse, un impôt peut être le moyen d’imputer aux agents économiques les externalités liées à leur comportement (3)
Lorsque tel est le cas, l’impôt remplit son but premier (remplir les caisses publiques) et suscite de surcroît une optimisation du comportement des assujettis. Au coût près de la détermination de l’assiette de l’impôt, ce résultat » accessoire » est acquis gratuitement pour la puissance publique. On peut même montrer dans bien des exemples que l’effet incitatif de l’impôt réduit le besoin de dépenses publiques et donc le volume global des impôts à percevoir. (Tel est par exemple le cas de la taxe sur les carburants qui réduit la demande d’infrastructures routières.)
Assiette et niveau de l’impôt
Puisqu’il faut de toute façon des impôts pour financer les dépenses publiques, autant recourir aux types d’impôts qui ont, de surcroît, pour effet indirect de réduire ces dépenses, chaque fois que l’on peut trouver une assiette, peu coûteuse à déterminer et présentant une bonne corrélation avec des externalités caractérisées en matière d’environnement.
Le coût de détermination de l’assiette est un critère important, mais on ne doit pas oublier que le coût de perception des impôts classiques, sans effet incitatif voulu, est loin d’être négligeable, et que la détermination du niveau d’une externalité est souvent l’acte initial nécessaire à l’engagement de toute action de protection de l’environnement : ce n’est pas une dépense stérile. On a parfois reproché aux Agences de l’eau le coût de perception de leurs redevances, je pense au contraire que ce coût est insuffisant car une lutte efficace contre la pollution passe d’abord par une connaissance des rejets (et de leur modulation dans le temps) beaucoup plus fine que l’assiette trop souvent forfaitaire sur laquelle les agences appuient le calcul de leurs redevances. On ne devrait pas hésiter parfois à accroître la précision de notre connaissance des atteintes à l’environnement, fût-ce au prix d’un accroissement du coût de gestion, pour que l’assiette retenue soit mieux corrélée avec l’externalité que l’on souhaite réduire.
Le niveau de l’impôt ne doit pas dépasser celui de l’externalité visée et il ne doit pas induire des comportements qui, pour réduire cette externalité, en engendrent de nouvelles qui seraient plus graves. Mais ce problème n’est en rien spécifique d’une approche fiscale, on le retrouve dans toute action réglementaire : jusqu’à quel niveau porter la contrainte réglementaire et comment éviter les effets pervers éventuels d’un règlement sur une autre nuisance ou sur la sécurité. On doit d’ailleurs regretter que les règlements soient trop rarement fondés sur un calcul de coût de la prévention comparé au coût de la nuisance ; l’une des vertus majeures d’un impôt est d’afficher un coût … mais c’est aussi ce qui fait la difficulté politique de son institution.
Affectation de l’impôt
Bien que la loi le proscrive en principe, on affecte parfois une recette publique à la couverture d’une dépense donnée.
Cette affectation peut présenter des avantages : elle peut donner aux agents qui mettent en oeuvre une dépense publique un sens accru de leurs responsabilités en identifiant clairement le coût du service public qu’ils rendent. L’expérience montre aussi qu’elle apporte une garantie de recette, que les dotations à partir du budget de l’État ne donnent pas toujours, alors que la stabilité et la prévisibilité de la ressource peuvent être nécessaires à la constitution d’équipes compétentes et à la conduite d’actions de longue haleine.
À l’inverse, l’affectation ôte une souplesse précieuse à la dépense publique, souplesse conjoncturelle ou structurelle : la recette de péage apportée aujourd’hui par les automobiles qui fréquentent des autoroutes amorties permet de financer de nouvelles autoroutes pour des poids lourds toujours plus nombreux qui n’en paient pas le coût, mais ne permet pas de financer des transports combinés.
Vue sous l’angle de l’effet incitatif de l’impôt, l’affectation, lorsqu’on l’institue, peut constituer un progrès en facturant à l’usager du service public un impôt qui a un certain lien avec ce qu’il coûte à la collectivité. Mais cette affectation ne garantit pas par elle-même qu’il va y avoir tarification optimale pour internaliser les coûts externes engendrés par ceux qui paient l’impôt. Les redevances des Agences de l’eau équilibrent leurs dépenses : les automobilistes ne paient pas pour la lutte contre la pollution des eaux mais les redevances des agences ne se sont guère rapprochées d’une tarification de l’eau économiquement optimale. On doit même constater que la limitation des redevances au niveau nécessaire à l’équilibre du budget des agences est un obstacle majeur à ce que ces redevances puissent jouer pleinement leur rôle incitatif : une facturation des prélèvements d’eau, au coût marginai de développement de la ressource, et une taxation des pollutions, au coût marginal des nuisances engendrées, rapporteraient à la puissance publique des recettes considérables qui permettraient de baisser d’autres impôts.
On doit aussi souligner que l’affectation peut être un facteur d’accroissement des prélèvements obligatoires : on crée la ressource pour couvrir une dépense jugée importante à un moment donné, puis, la ressource étant acquise, elle nourrit des dépenses qui peuvent ne pas conserver leur priorité initiale. Par ailleurs, lorsque l’affectation limite le taux de l’impôt en deçà du niveau de l’externalité, et ne permet pas d’atteindre l’optimum par le seul biais de l’impôt, elle justifie une dépense publique de subvention qui serait inutile si l’impôt pouvait être assez incitatif.
Rappelons enfin que l’affectation d’un impôt à un fonds d’intervention présente un effet pervers chaque fois que l’aide publique ne porte que sur l’investissement et pas sur le fonctionnement (ce qui est le cas général) : en diminuant le coût des investissements, on introduit un biais dans les choix qui sont faits par les bénéficiaires de la subvention ; la répartition entre investissement et fonctionnement n’est plus optimale.
Les impôts néfastes
Si nombre d’impôts qui n’existent pas ou sont trop faibles pourraient orienter efficacement notre développement dans un sens favorable à l’environnement, certains impôts ont un effet néfaste à notre compétitivité et à l’harmonie de notre société. Tel est le cas de la taxe professionnelle (assise sur les immobilisations corporelles et sur la masse salariale, elle représente 1,3 % du PIB) et des impôts assis sur les salaires (cotisations sociales et versement transport) qui représentent 19% du PIB. Ces impôts pèsent très lourd dans le développement du chômage : ils incitent à l’économie de main-d’oeuvre, ce qui est particulièrement fâcheux.
Arguments et contre-arguments
Qu’attend-on dans ces conditions pour développer des impôts qui incitent à ne pas porter atteinte à l’environnement, en remplacement d’impôts qui créent du chômage ?
On objecte parfois que cela pourrait modifier fâcheusement l’effet redistributif des impôts actuels et que ce serait donner un droit à polluer à ceux qui peuvent payer.
Le premier argument évoque à juste titre une contrainte incontestable.
• S’agissant de l’effet redistributif au sein des ménages, en compensation de la création d’impôts » écologiques « , il faudrait diminuer certains impôts qui pèsent relativement plus sur les ménages à faible revenu (instaurer par exemple un taux nul de TVA pour les consommations de première nécessité, dont le niveau croît peu avec le niveau des revenus) et réaménager certains transferts sociaux. Il est certainement possible de ne pas introduire d’effet redistributif antisocial à l’occasion du développement d’une fiscalité écologique.
• S’agissant des entreprises, il est clair qu’une telle fiscalité ne se contentera pas d’inciter les entreprises polluantes et énergivores à réduire leurs pollutions et à économiser l’énergie ; elle avantagera les entreprises de main-d’œuvre au détriment des entreprises énergivores et polluantes. Ceci ne peut être fait que progressivement mais est favorable à un développement durable.
Le second argument est bien connu mais se retourne aisément : mieux vaut un pollueur taxé qu’un pollueur impuni.
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(1) Coûts d’infrastructure ou de congestion, coûts des accidents de la route, Coûts des nuisances locales – bruit et pollution des villes – , coûts des pollutions régionales et globales de l’atmosphère enfin.
(2) Dans ce qui suit, pour faire bref, on appelle impôt tout prélèvement obligatoire (taxe, impôt, droit, cotisation, redevance, péage … ).
(3) La taxation est souvent le seul moyen de parvenir à ce résultat ; lorsqu’une action réglementaire est possible, elle est toujours plus coûteuse que l’approche par les prix, car, centralisée, elle ne peut faire jouer toutes les initiatives décentralisées qui sont moins coûteuses (supériorité du marché sur le GOSPLAN).