La France et sa mégabiodiversité

Dossier : La biodiversitéMagazine N°616 Juin/Juillet 2006
Par Christophe LEFEBVRE

Un patrimoine naturel d’importance mondiale

La France abrite des richesses natu­relles extra­or­di­naires le plus sou­vent mécon­nues des Français.

La France est en effet le seul pays pré­sent dans 5 des 25 points chauds de la bio­di­ver­si­té mon­diale (Médi­ter­ra­née, Caraïbes, océan Indien, Nou­velle-Calé­do­nie, Poly­né­sie) et dans une des trois zones fores­tières majeures de la pla­nète (Ama­zo­nie).

Son domaine mari­time est le deuxième du monde avec 11 mil­lions de km2, avec une très grande repré­sen­ta­ti­vi­té d’ha­bi­tats marins, ce qui fait sans doute de la France l’un des pays les plus riches en bio­di­ver­si­té puisque de récentes publi­ca­tions scien­ti­fiques ont révé­lé que l’es­sen­tiel de la bio­di­ver­si­té est marin et encore très lar­ge­ment inconnu.

Ce patri­moine est cepen­dant vul­né­rable puisque la France est au 4e rang mon­dial pour les espèces ani­males mena­cées et au 9e rang pour les plantes, selon la Liste rouge de l’UICN1.

La France métro­po­li­taine est aus­si au car­re­four bio­lo­gique de l’Eu­rope. Elle accueille quatre des cinq prin­ci­pales zones bio­géo­gra­phiques euro­péennes (atlan­tique, conti­nen­tale, médi­ter­ra­néenne et alpine). De ce fait, elle abrite plus de 75 % des types d’ha­bi­tats natu­rels iden­ti­fiés comme prio­ri­taires au niveau euro­péen et 40 % de la flore d’Eu­rope. Par sa pré­sence en Médi­ter­ra­née, la France fait par­tie d’un point chaud de la bio­di­ver­si­té mon­diale par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant pour les espèces végé­tales (13 000 espèces endé­miques). Les dif­fé­rentes régions fran­çaises sont mar­quées par la diver­si­té de leurs pay­sages et l’an­cien­ne­té des rela­tions homme-nature. Elles sont au cœur d’une iden­ti­té natu­relle et cultu­relle qui contri­bue à faire de la France la pre­mière des­ti­na­tion tou­ris­tique mondiale.

Mal­gré une prise de conscience crois­sante, de nom­breuses menaces pèsent tou­jours sur les éco­sys­tèmes et sur les espèces de métro­pole. Ain­si, au cours des trente der­nières années, elle a per­du 50 % de ses zones humides, et des espèces ani­males aus­si emblé­ma­tiques que le bou­que­tin des Pyré­nées ou le phoque moine de Médi­ter­ra­née. Aujourd’­hui, bien qu’un quart du ter­ri­toire métro­po­li­tain soit consi­dé­ré comme éco­lo­gi­que­ment impor­tant, seul 1,2 % de sa super­fi­cie est pro­té­gé par des parcs natio­naux (zones cen­trales) ou des réserves naturelles.

La pro­tec­tion de la bio­di­ver­si­té doit donc être ren­for­cée à tra­vers la créa­tion d’un réseau éco­lo­gique natio­nal basé sur un ensemble repré­sen­ta­tif d’aires pro­té­gées, avec un ren­for­ce­ment sou­hai­table des aires marines pro­té­gées grâce à la créa­tion de la nou­velle agence des aires marines pro­té­gées et des parcs natu­rels marins.

La Camargue
La Camargue
PHOTO JEAN-PIERRE OLIVIER
Vue depuis l’altiport de Courchevel
Vue depuis l’altiport de Courchevel
PHOTO XAVIER HINDERMEYER

Les collectivités de l’outre-mer

dans les trois grands océans de la pla­nète apportent à la France une richesse en bio­di­ver­si­té par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante. Mal­gré une super­fi­cie réduite (0,08 % de toutes les terres émer­gées), elles abritent 3 450 plantes et 380 ver­té­brés endé­miques, soit plus que toute l’Eu­rope continentale.

Mayotte
Mayotte PHOTO PIERRE-EMMANUEL VOS

Le domaine mari­time de l’outre-mer com­prend envi­ron 10 % des récifs coral­liens et 20 % des atolls de la pla­nète. Avec ses 7 mil­lions d’hec­tares de forêt tro­pi­cale, la Guyane fran­çaise consti­tue l’un des quinze der­niers grands mas­sifs peu frag­men­tés par les acti­vi­tés humaines. L’île de Mayotte pré­sente l’un des rares lagons à double bar­rière, qui abrite 17 espèces de mam­mi­fères marins. Les Terres aus­trales et antarc­tiques fran­çaises abritent les com­mu­nau­tés d’oi­seaux marins les plus diver­si­fiées au monde.

Les richesses éco­lo­giques d’outre-mer sont donc immenses. Mal­heu­reu­se­ment cer­tains habi­tats natu­rels sont déjà dégra­dés et subissent de très fortes menaces. Ain­si les récifs coral­liens sont endom­ma­gés à hau­teur de 10 à 80 % selon les régions et, en Nou­velle-Calé­do­nie, les forêts tro­pi­cales sèches ne couvrent plus que 1 % de leur super­fi­cie initiale.

La bio­di­ver­si­té est un enjeu éco­no­mique, social et cultu­rel majeur en outre-mer, mais la prise de conscience y est encore récente. Cela explique sans doute pour­quoi de nom­breux efforts de mobi­li­sa­tion sont encore néces­saires. Le vaste domaine mari­time fran­çais illustre bien cette situa­tion puisque seule­ment 0,0001 % de sa super­fi­cie béné­fi­cie d’un sta­tut d’aire marine protégée.

Les principales menaces sur notre biodiversité

L’in­tro­duc­tion d’es­pèces exo­tiques enva­his­santes est deve­nue une des prin­ci­pales causes de dis­pa­ri­tion de la bio­di­ver­si­té et a sou­vent un impact impor­tant sur les acti­vi­tés éco­no­miques et la sécu­ri­té ali­men­taire. Les îles sont par­ti­cu­liè­re­ment sen­sibles à ce phé­no­mène qui peut entraî­ner la dis­pa­ri­tion totale de cer­taines espèces et une bana­li­sa­tion géné­rale des milieux natu­rels : ain­si l’île de Tahi­ti est d’ores et déjà recou­verte aux deux tiers par une plante enva­his­sante, le miconia.

L’in­tro­duc­tion inten­tion­nelle d’un escar­got en Poly­né­sie a entraî­né la dis­pa­ri­tion de 59 autres espèces.

La pol­lu­tion de l’eau, des sols et de l’air affecte direc­te­ment cer­taines espèces et peut avoir des effets indi­rects impor­tants en dégra­dant les habi­tats natu­rels et en conta­mi­nant les chaînes ali­men­taires. Beau­coup d’es­pèces se sont raré­fiées dans les cam­pagnes et les cultures, comme les papillons et les abeilles, pour­tant indis­pen­sables au fonc­tion­ne­ment des éco­sys­tèmes. La réduc­tion de l’u­sage des pol­luants est un défi majeur par­ti­cu­liè­re­ment en France, troi­sième uti­li­sa­teur mon­dial de pes­ti­cides. L’outre-mer est éga­le­ment concer­né par les pes­ti­cides et par d’autres pol­lu­tions : ain­si, le cas de la Guyane fran­çaise est pré­oc­cu­pant avec les rejets de mer­cure liés à l’or­paillage. L’or­paillage rejette au moins 10 tonnes de mer­cure dans les rivières chaque année.

L’aug­men­ta­tion moyenne de la tem­pé­ra­ture de 1,8 à 2 degrés d’i­ci 2050 entraî­ne­rait dans cer­taines régions du monde, dont l’Eu­rope, la dis­pa­ri­tion de 15 à 37 % des espèces vivantes et de pro­fonds bou­le­ver­se­ments éco­lo­giques. Les îles d’outre-mer sont par­ti­cu­liè­re­ment concer­nées dès aujourd’­hui avec le blan­chis­se­ment des coraux et, à terme, avec la hausse du niveau de la mer.

La France doit donc conti­nuer à appuyer les efforts inter­na­tio­naux pour la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre. Elle doit accé­lé­rer la recherche tech­no­lo­gique dans les sec­teurs où elle pèse lourd comme l’au­to­mo­bile (3e expor­ta­teur mon­dial) ou les avions de ligne (1er pro­duc­teur mon­dial avec ses par­te­naires européens).

Un devoir de mobilisation

La France a ain­si une res­pon­sa­bi­li­té de pre­mier plan pour la pré­ser­va­tion des richesses natu­relles sur son ter­ri­toire et hors de ses fron­tières. Elle doit donc conduire aux niveaux natio­nal, euro­péen et inter­na­tio­nal une action ambi­tieuse et exem­plaire sur la bio­di­ver­si­té, condi­tion d’un véri­table déve­lop­pe­ment durable.

Une stratégie nationale

En 2004, la France a adop­té une stra­té­gie natio­nale pour la bio­di­ver­si­té fixant l’ob­jec­tif de stop­per le déclin de la diver­si­té bio­lo­gique d’i­ci 2010. Cet objec­tif impose un effort de mobi­li­sa­tion sans pré­cé­dent de tous les acteurs : État, col­lec­ti­vi­tés, asso­cia­tions, entreprises…

Taravao, sentier Atara et miconias, Tahiti.
Tara­vao, sen­tier Ata­ra et mico­nias, Tahiti.
PHOTO JEAN-YVES MEYER

Invasion du miconia, Faatautia, Tahiti.
Inva­sion du mico­nia, Faa­tau­tia, Tahiti.
PHOTO JEAN-YVES MEYER

Les prin­ci­paux défis sont d’in­té­grer la bio­di­ver­si­té dans toutes les poli­tiques, de ren­for­cer les connais­sances scien­ti­fiques, et de recon­naître une valeur à la fois éco­no­mique et éthique au vivant. La bio­di­ver­si­té sou­tient des acti­vi­tés éco­no­miques essen­tielles et pro­cure toute une gamme de biens et de ser­vices indis­pen­sables à notre qua­li­té de vie. Sa pré­ser­va­tion est un enjeu de socié­té qui doit faire l’ob­jet d’une grande cam­pagne de sen­si­bi­li­sa­tion, en par­ti­cu­lier pour l’outre-mer.

La stra­té­gie natio­nale est déjà décli­née en plans d’ac­tion sur l’a­gri­cul­ture, la mer, le patri­moine natu­rel, l’ur­ba­nisme, les infra­struc­tures et l’outre-mer. Ils doivent appor­ter des réponses concrètes aux enjeux de la bio­di­ver­si­té. Cet effort doit aus­si s’é­tendre à d’autres domaines clés comme l’é­co­no­mie, l’é­du­ca­tion ou le tou­risme, et per­mettre de ren­for­cer les ini­tia­tives exis­tantes, comme l’I­ni­tia­tive fran­çaise sur les récifs coral­liens (Ifre­cor).

La France pos­sède un impor­tant réseau d’ac­teurs sur la bio­di­ver­si­té : des éta­blis­se­ments publics en charge de la ges­tion de la nature, comme le Conser­va­toire du lit­to­ral, les parcs natio­naux, l’ONF (Office natio­nal des forêts) ou l’ONCFS (Office natio­nal de la chasse et de la faune sau­vage), des orga­nismes de recherche regrou­pés au sein de l’Ins­ti­tut fran­çais de la bio­di­ver­si­té et un large panel d’ONG enga­gées de longue date sur cette cause. Elle doit donc mobi­li­ser toute cette capa­ci­té d’ac­tion et cette exper­tise, avec les moyens finan­ciers adé­quats, pour appor­ter des réponses décisives.

Un engagement et des devoirs européens

Avec ses par­te­naires euro­péens, la France s’est enga­gée à stop­per la perte de bio­di­ver­si­té d’i­ci 2010. En tant que pays fon­da­teur de l’U­nion euro­péenne, elle peut avoir un rôle moteur pour impul­ser les poli­tiques en faveur de la bio­di­ver­si­té, ce qui néces­site d’a­mé­lio­rer signi­fi­ca­ti­ve­ment l’ap­pli­ca­tion des direc­tives euro­péennes sur l’en­vi­ron­ne­ment et de pour­suivre acti­ve­ment la mise en place du réseau Natu­ra 2000 sur son territoire.

La France pèse éga­le­ment un poids impor­tant dans les domaines de l’a­gri­cul­ture et de la pêche. Elle doit pour­suivre les efforts de réforme de la poli­tique agri­cole com­mune (PAC) et de la poli­tique com­mune de la pêche en y inté­grant des objec­tifs de pré­ser­va­tion des milieux natu­rels et en res­pec­tant les capa­ci­tés bio­lo­giques des espèces. Avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni, la France doit éga­le­ment lan­cer une ini­tia­tive pour la bio­di­ver­si­té des ter­ri­toires euro­péens d’outre-mer qui, aujourd’­hui, ne fait l’ob­jet d’au­cune poli­tique spé­ci­fique de l’U­nion européenne.

Une présence et une action à l’international

La bio­di­ver­si­té est deve­nue un thème majeur des négo­cia­tions inter­na­tio­nales en rai­son des bou­le­ver­se­ments obser­vés à l’é­chelle de la pla­nète, et parce qu’elle est l’ob­jet d’en­jeux éco­no­miques consi­dé­rables. Elle est aus­si direc­te­ment liée à la lutte contre la pau­vre­té et à l’aide au déve­lop­pe­ment car de nom­breux pays du Sud dépendent étroi­te­ment des res­sources natu­relles vivantes.

Dans ce contexte, la France peut déployer une action impor­tante en s’ap­puyant sur ses valeurs huma­nistes et sur sa forte pré­sence inter­na­tio­nale. Elle devrait en par­ti­cu­lier exer­cer son influence au sein du G8, pro­mou­voir un ren­for­ce­ment de l’ac­tion de l’O­NU sur l’en­vi­ron­ne­ment et amé­lio­rer l’ap­pli­ca­tion des grandes conven­tions internationales.

Par ailleurs, la France a aus­si la pos­si­bi­li­té d’en­cou­ra­ger la prise en compte des enjeux de la bio­di­ver­si­té et du déve­lop­pe­ment au sein de l’Or­ga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale de la fran­co­pho­nie. Cette plate-forme unique de coopé­ra­tion Nord-Sud per­met notam­ment de valo­ri­ser les liens entre bio­di­ver­si­té et diver­si­té cultu­relle. Dans les pays de la Zone de soli­da­ri­té prio­ri­taire, la coopé­ra­tion fran­çaise devrait, d’une part, accroître la prise en compte de l’as­pect bio­di­ver­si­té dans ses pro­jets et, d’autre part, ren­for­cer le finan­ce­ment d’ac­tions spé­ci­fi­que­ment dédiées à la bio­di­ver­si­té, en s’ap­puyant sur la socié­té civile et les ONG. Le Fonds fran­çais pour l’en­vi­ron­ne­ment mon­dial doit pour­suivre son action pour la bio­di­ver­si­té tout en adap­tant ses moda­li­tés de finan­ce­ment aux micro­pro­jets de terrain.

Enfin, la France devrait enga­ger des pro­jets en coopé­ra­tion régio­nale asso­ciant les col­lec­ti­vi­tés d’outre-mer et les pays voi­sins dans les zones clés de la bio­di­ver­si­té mon­diale que sont les Caraïbes, le pla­teau des Guyanes, l’o­céan Indien, les îles sub­an­tarc­tiques et le Paci­fique Sud.

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1. Union inter­na­tio­nale pour la conser­va­tion de la Nature.

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