Quels indicateurs pour la relation entreprises-environnement ?

Dossier : Entreprise et environnementMagazine N°587 Septembre 2003
Par Thierry LAVOUX

Quels sont les indi­ca­teurs appro­priés pour rendre compte de la situa­tion des entre­prises vis-à-vis de l’environnement ?
À cette ques­tion, nul doute que les réponses soient poten­tiel­le­ment aus­si nom­breuses que per­ti­nentes, tant les pro­blé­ma­tiques de l’in­ter­face entre l’ac­ti­vi­té indus­trielle et l’en­vi­ron­ne­ment appa­raissent mul­tiples et com­plexes à illustrer(*).

L’en­tre­prise se place d’emblée dans une double pos­ture : celle du « patient« 1 et celle du « pilote » lorsque s’a­vance à elle l’i­dée de la mesure, par le biais d’un indi­ca­teur, de l’é­tat d’une situa­tion (quel volume de pol­lu­tion est émis chaque jour ? par exemple) ou des efforts à accom­plir (de quelle quan­ti­té de pol­luants doit-on réduire la pro­duc­tion pour res­pec­ter l’objectif ?).

Par pos­ture du « patient », nous enten­dons la démarche d’une entre­prise qui doit prou­ver et convaincre que les règles qui lui ont été pres­crites par l’ad­mi­nis­tra­tion (par exemple un arrê­té pré­fec­to­ral2 l’au­to­ri­sant à déte­nir ou à émettre des sub­stances poten­tiel­le­ment nocives) sont conve­na­ble­ment res­pec­tées. En pareil cas l’en­tre­prise se fait « aus­cul­ter » par des visites à domi­cile, ou bien s’au­to­con­trôle selon des pro­cé­dures admises par l’au­to­ri­té admi­nis­tra­tive (la Drire). La com­mu­ni­ca­tion des résul­tats, sous forme d’in­di­ca­teurs nor­ma­li­sés, appa­raît alors néces­saire pour appré­cier la situa­tion, par exemple pour les rive­rains, qui s’in­quiètent fré­quem­ment des dom­mages éven­tuels qui résul­te­raient d’un non-res­pect des pro­cé­dures de sécu­ri­té par l’entreprise.

Le tableau de bord uti­li­sé en pareil cas per­met à l’en­tre­prise de com­mu­ni­quer à l’aide d’in­di­ca­teurs objec­tifs d’é­tat et de performance.

Une autre pos­ture, celle du « pilote », consiste pour l’en­tre­prise à conce­voir son propre baro­mètre, qui peut du reste emprun­ter à la pre­mière démarche, pour amé­lio­rer le mana­ge­ment interne. Dans ce cas les indi­ca­teurs uti­li­sés seront ins­pi­rés par la notion de pro­grès et de per­for­mance. Il s’a­git de s’ac­cor­der en interne sur les ins­tru­ments de pilo­tage (les pro­cé­dures de sécu­ri­té, le res­pect des normes, la limi­ta­tion volon­taire de la pro­duc­tion de déchets ou de la consom­ma­tion d’éner­gie) per­met­tant de réduire « l’empreinte éco­lo­gique » de l’en­tre­prise à moindre coût. Le tableau de bord sert alors à mesu­rer le che­min par­cou­ru et celui res­tant à parcourir.

Les outils d’in­for­ma­tion basés sur des sys­tèmes d’in­di­ca­teurs relèvent de l’ac­tion de l’en­tre­prise ou des sites indus­triels. Il faut bien les dis­tin­guer des approches per­met­tant une lec­ture natio­nale ou inter­na­tio­nale des impacts des branches indus­trielles et des exter­na­li­tés qu’elles génèrent.

À cet égard, nous pas­se­rons som­mai­re­ment en revue les dif­fé­rentes méthodes et moyens de mesure dis­po­nibles au niveau euro­péen et trans­po­sables en France pour par­ve­nir à une juste appré­cia­tion des res­pon­sa­bi­li­tés des entre­prises. Ces méthodes ne se fondent pas sur les mesures phy­siques réa­li­sées par les entre­prises, mais plu­tôt sur des coef­fi­cients d’é­mis­sion cal­cu­lés par branche. Ce sont les Néer­lan­dais qui, les pre­miers, ont inves­ti dans ces outils qui les ont aidés à conce­voir des poli­tiques de lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique, l’eu­tro­phi­sa­tion3 ou l’acidification.

C’est dans ce contexte qu’il nous semble utile d’in­tro­duire un concept, « l’é­co­lo­gie indus­trielle », dont l’ob­jet est pré­ci­sé­ment de réduire les impacts des acti­vi­tés indus­trielles sur la bio­sphère. Bien que s’ap­puyant sur des outils déve­lop­pés de longue date, l’o­ri­gi­na­li­té de ce concept réside dans le fait que les règles sur les­quelles elle s’ap­puie s’ins­pirent très for­te­ment de ce que l’é­co­logue nous dit du fonc­tion­ne­ment des éco­sys­tèmes, prin­ci­pa­le­ment l’op­ti­mi­sa­tion des flux de matière et d’éner­gie (Odum 1983). Dans la vision pro­po­sée par l’é­co­lo­gie indus­trielle, la tech­no­lo­gie prend une place déter­mi­nante pour ratio­na­li­ser la production.

Figure 1 – Les indi­ca­teurs : entre don­nées de base et modèles
– descriptifs/prescriptifs
– dynamiques/statiques
– micro/macro
– optimisation/simulation
– agrégés/simples
– descriptifs/prospectifs
– infor­ma­tion du public
aide à la décision
– monétaires/physiques
– qualitatives/quantitatives
– issus du laboratoire
mesu­rés in situ
– échantillonnage
dire d’experts

L’a­mé­lio­ra­tion des tech­niques doit ain­si per­mettre d’é­lar­gir la base des flux phy­siques d’en­trée, de réduire la cir­cu­la­tion des res­sources natu­relles à l’in­té­rieur du sys­tème, en orga­ni­sant le recy­clage – par­tout où il est éco­lo­gi­que­ment fon­dé – et, enfin, les flux de sor­tie, en prio­ri­té les plus nocifs d’entre eux.

L’é­co­lo­gie indus­trielle ne s’af­firme pas exclu­si­ve­ment autour d’un ensemble de tech­niques visant à opti­mi­ser les flux de matière et d’éner­gie à l’in­ter­face indus­trie et environnement.

Elle pro­pose aus­si une vision glo­bale de l’ac­ti­vi­té pro­duc­tive insé­rée dans un envi­ron­ne­ment natu­rel aux mul­tiples dimen­sions (eau, air, sols, pay­sages, espèces, res­sources natu­relles non renou­ve­lables, pol­lu­tion, déchets).

Elle appelle ain­si impli­ci­te­ment à la conci­lia­tion de deux para­digmes : celui de l’op­ti­mi­sa­tion éco­no­mique de court terme, finan­cière, cen­trée sur les com­por­te­ments indi­vi­duels et le mar­ché, et celui de l’op­ti­mi­sa­tion éco­lo­gique de plus long terme, pre­nant en compte de nom­breux para­mètres bio­phy­siques et dont la logique se lit au niveau du sys­tème d’en­semble qu’est la biosphère.

Le champ des ques­tions sou­le­vées est large. Mais quelles que soient l’ap­proche uti­li­sée et l’é­chelle géo­gra­phique prise en compte, c’est la pro­blé­ma­tique du sys­tème d’in­for­ma­tion et des indi­ca­teurs néces­saires à une bonne com­pré­hen­sion, par l’in­dus­triel ou par le déci­deur ou bien encore par le public, du fonc­tion­ne­ment de l’en­tre­prise à l’in­ter­face indus­trie-envi­ron­ne­ment qui sera ici étudiée.

Les indicateurs comme outils d’un système d’information sur l’environnement et le développement

Bien que la ter­mi­no­lo­gie soit par­fois confuse, et l’u­sage du terme peu sta­bi­li­sé, un indi­ca­teur peut néan­moins être vu comme quelque chose qui sim­pli­fie l’in­for­ma­tion en pro­ve­nance de phé­no­mènes com­plexes, et qui la quan­ti­fie de manière à la rendre signi­fi­ca­tive à l’é­chelle dési­rée. La lit­té­ra­ture donne des défi­ni­tions variées de la notion d’in­di­ca­teurs. Par exemple, l’OCDE défi­nit un indi­ca­teur comme « un para­mètre ou une valeur déri­vée de para­mètres don­nant des infor­ma­tions sur un phénomène ».

L’in­di­ca­teur est l’élé­ment « clef de voûte » d’un sys­tème d’in­for­ma­tion sur l’environnement.

C’est un modèle empi­rique, plus ou moins éla­bo­ré, de la réa­li­té qui serait à mi-che­min d’un conti­nuum allant des des­crip­teurs, proches de sta­tis­tiques ou de don­nées élé­men­taires issues des sys­tèmes d’ob­ser­va­tion, des variables comme pre­mier trai­te­ment des pré­cé­dentes et des modèles mul­ti­di­men­sion­nels com­plexes issus de spé­cu­la­tions plus théo­riques. La concep­tion d’un indi­ca­teur est tout autant influen­cée par l’exis­tence de modèles inter­pré­ta­tifs que par la pré­sence de sys­tèmes d’ob­ser­va­tions proches de la réa­li­té (figure 1).

La dis­tinc­tion entre indi­ca­teurs, variables, des­crip­teurs et modèles, ou tout autre ensemble de notions, repose cepen­dant sur des consi­dé­ra­tions plus prag­ma­tiques que séman­tiques. C’est avant tout le rôle qu’on sou­haite lui faire jouer qui défi­nit l’in­di­ca­teur et non seule­ment quelques par­ti­cu­la­ri­tés intrin­sèques qui le qua­li­fie­raient d’emblée comme tel.

L’é­la­bo­ra­tion d’un ensemble d’in­di­ca­teurs doit per­mettre l’é­va­lua­tion d’une situa­tion ou d’une ten­dance et faci­li­ter les com­pa­rai­sons dans l’es­pace et le temps. C’est à la fois un outil de com­mu­ni­ca­tion qui doit infor­mer de la manière la plus simple et sans ambi­guï­té, un outil de des­crip­tion du réel qui doit qua­li­fier, selon des pro­to­coles recon­nus et véri­fiables, des phé­no­mènes com­plexes et, enfin, un sup­port à la déci­sion don­nant le plus clai­re­ment pos­sible les direc­tions à suivre ou les ten­dances à cor­ri­ger4. D’une manière géné­rale le degré d’in­té­gra­tion et d’a­gré­ga­tion des don­nées cor­res­pond à des publics différents.

Figure 2 – Les tri­angles de l’information​
Les triangles de l'information

Le sys­tème d’in­for­ma­tion doit, en ce sens, réa­li­ser un dif­fi­cile com­pro­mis entre les attentes nom­breuses d’un public varié – citoyens, scien­ti­fiques et déci­deurs -, aux exi­gences mul­tiples et par­fois contra­dic­toires : des indi­ca­teurs en nombre res­treint et agré­gés pour le « grand public », des indi­ca­teurs peu nom­breux et « per­ti­nents » pour le poli­tique, des indi­ca­teurs aus­si nom­breux que pos­sibles et tech­niques pour la recherche scien­ti­fique (figure 2). Dans cette pers­pec­tive, les conseils pra­tiques don­nés pour la construc­tion d’un ensemble d’in­di­ca­teurs sont l’ob­jet d’une abon­dante lit­té­ra­ture. Rump5 nous pro­pose trois grandes caté­go­ries de cri­tères per­met­tant d’é­va­luer la qua­li­té des indi­ca­teurs, soit : la qua­li­té des don­nées, la per­ti­nence et la com­mu­ni­ca­tion (tableau ci-dessous).

Les indicateurs utilisés par les entreprises dans leurs rapports « développement durable »

En France, les tout pre­miers rap­ports des entre­prises dédiés à l’a­na­lyse des impacts sur l’en­vi­ron­ne­ment de leurs acti­vi­tés datent du début des années quatre-vingt-dix. Ce sont les socié­tés de la chi­mie, du pétrole et de l’éner­gie, donc les plus concer­nées, qui ont été les pré­cur­seurs du « repor­ting« 6 avec l’u­ti­li­sa­tion d’in­di­ca­teurs d’en­vi­ron­ne­ment et de déve­lop­pe­ment durable.

Une récente étude de l’I­fen7 (avril 2003) montre que les thé­ma­tiques fai­sant l’ob­jet de chif­frage se rap­portent aux sujets suivants :

a) consom­ma­tion de res­sources (éner­gie, eau, matière première) ;
b) rejets de pol­luants dans les milieux (gaz à effet de serre, autres pol­luants atmo­sphé­riques, émis­sions dans l’eau) ;
c) sites et sols pol­lués (nombre, réhabilitation) ;
d) sub­stances dan­ge­reuses (uti­li­sa­tion et production) ;
e) déchets dan­ge­reux et non dan­ge­reux (réduc­tion à la source, trai­te­ment, valorisation…) ;
f) sécu­ri­té des sites et des per­son­nels (inci­dents) ;
g) conten­tieux (plaintes, condamnations).

L’autre ensei­gne­ment de cette étude est qu’un faible nombre d’en­tre­prises (12 % des entre­prises néces­sai­re­ment concer­nées par l’en­vi­ron­ne­ment de par leur acti­vi­té) affiche un objec­tif chif­fré qui pour­rait être mesu­ré par un indi­ca­teur de performance.

Cer­taines thé­ma­tiques ne sont qua­si­ment jamais chif­frées. C’est le cas du bruit, des sites et sols pol­lués, de l’u­ti­li­sa­tion des pro­duits chi­miques dan­ge­reux, des inci­dents sur site. Par ailleurs aucun rap­port d’ac­ti­vi­té ne four­nit de recen­se­ment de sites et sols pollués.

Les cri­tères de sélec­tion des indicateurs
Qua­li­té des données Per­ti­nence Com­mu­ni­ca­tion
• Valeur scientifique
• Dis­po­ni­bi­li­té des données
• Qua­li­té des données
• Repré­sen­ta­ti­vi­té
• Cou­ver­ture géographique
• Sen­si­bi­li­té aux évolutions
• Per­ti­nence
• Simplicité
• Exis­tence d’une valeur de référence
• Pos­si­bi­li­té de comparaison
• Pos­si­bi­li­té d’utilisation dans le cadre de scé­na­rios prospectifs

À côté des indi­ca­teurs d’im­pact, les entre­prises uti­lisent par­fois des indi­ca­teurs de moyens qui se rap­portent aux dépenses (inves­tis­se­ment et fonc­tion­ne­ment) liées à l’en­vi­ron­ne­ment, à la for­ma­tion des per­son­nels en matière d’en­vi­ron­ne­ment et aux cer­ti­fi­ca­tions (ISO 14 001, EMAS, SME). 36 % des 150 entre­prises étu­diées men­tionnent au moins un résul­tat chif­fré qui concerne l’un ou l’autre de ces moyens. Au total l’in­for­ma­tion conte­nue dans les rap­ports « déve­lop­pe­ment durable » des entre­prises est encore assez éco­nome d’in­di­ca­teurs quan­ti­ta­tifs, y com­pris pour des entre­prises dont les sites indus­triels com­portent des risques avé­rés pour l’en­vi­ron­ne­ment et la san­té humaine.

Pour l’ins­tant, l’en­tre­prise, dans son manie­ment pru­dent de l’in­for­ma­tion, n’a­dopte encore que trop peu les « pos­tures » théo­riques pré­cé­dem­ment intro­duites. Le décret 202–221 du 20 février 2002 pris en appli­ca­tion de la loi du 15 mai 2001 rela­tive aux nou­velles régle­men­ta­tions éco­no­miques (dite loi NRE) devrait chan­ger la donne.

Exemple d’in­di­ca­teur uti­li­sé par l’U­nion des indus­tries chi­miques in : Enga­ge­ment de pro­grès de l’in­dus­trie chi­mique fran­çaise, 2001 (voir aus­si article de Jean Pelin dans ce même numéro).

Eau
L’a­mé­lio­ra­tion conti­nue des per­for­mances des uni­tés de trai­te­ment se tra­duit sur­tout par la ten­dance des émis­sions de com­po­sés de l’a­zote, du phos­phore et des matières en suspension.
Pour mémoire, ces émis­sions avaient été réduites de 75 % de 1980 à 1997 (voir indice eau ci-dessous). 
Indice eau de l'UIC
Source : minis­tère de l’Environnement de 1980 à 1991. Panel UIC de 1992 à 1997.

Selon cette régle­men­ta­tion, les entre­prises fran­çaises cotées en Bourse doivent inclure dans leur rap­port annuel des infor­ma­tions aus­si bien sociales qu’environnementales.

Outre les domaines clas­siques de l’en­vi­ron­ne­ment (rejets dans l’air, l’eau et le sol, déchets, bruit, odeurs, res­sources en eau, en matière pre­mière et en éner­gie) sur les­quels elles devront rap­por­ter, figurent éga­le­ment les mesures prises pour éva­luer et cer­ti­fier leurs impacts, de même que les démarches per­met­tant d’a­mé­lio­rer l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique et de limi­ter les atteintes aux écosystèmes.

Le décret ne pré­cise pas la manière dont les infor­ma­tions devront être pré­sen­tées par les entre­prises, ni par qui les don­nées pour­ront éven­tuel­le­ment être contrô­lées ou validées.

Il est par consé­quent vrai­sem­blable qu’une période de tran­si­tion faite de tâton­ne­ments sera néces­saire avant de par­ve­nir à une homo­gé­néi­té et une vali­da­tion des don­nées pré­sen­tées sous forme d’indicateurs.

Au niveau euro­péen, un cadre légis­la­tif pour­rait venir sta­bi­li­ser des démarches encore éparses chez les États membres.

La construction des indicateurs de « couplage-découplage »

La construc­tion des indi­ca­teurs de « cou­plage-décou­plage » requiert des séries longues, qui res­tent sou­vent rares ou de mau­vaise qua­li­té, et doit s’ac­com­pa­gner d’une réflexion pros­pec­tive sur les ten­dances les plus signi­fi­ca­tives du point de vue de l’é­co­lo­gie indus­trielle et donc d’un déve­lop­pe­ment durable.

Les infor­ma­tions néces­saires à la construc­tion de ces indi­ca­teurs vont ain­si dépendre du type de per­for­mance que l’on sou­haite éva­luer – consom­ma­tion des res­sources, émis­sions de pol­luants, ges­tion des déchets… – de l’é­chelle à laquelle on se situe – microé­co­no­mique, sec­to­rielle, ou macroéconomique.

Ana­lyse

Entre 1980 et 1986, les émis­sions brutes de CO2 se sont for­te­ment décou­plées du PIB ; les émis­sions de CO2 ont ensuite aug­men­té jus­qu’en 1991 (505 Mt de CO2). Depuis elles fluc­tuent autour du niveau de 1990 (475 Mt) avec une ampli­tude de ‑3 % à +5 % pour atteindre 783 Mt en 2000.

Les rejets de CO2 sont prin­ci­pa­le­ment géné­rés par l’u­ti­li­sa­tion de l’éner­gie fos­sile et de la bio­masse (de l’ordre de 95 % des émis­sions totales brutes). Glo­ba­le­ment, les émis­sions brutes de CO2 ont dimi­nué de 16 % entre 1980 et 2000. La rai­son prin­ci­pale en est la mise en place du pro­gramme fran­çais de pro­duc­tion nucléaire d’élec­tri­ci­té, puis l’a­mé­lio­ra­tion des pro­ces­sus de com­bus­tion et les éco­no­mies d’énergie.

Actuel­le­ment, c’est le sec­teur des trans­ports rou­tiers qui émet le plus de CO2 (26 % des émis­sions brutes en 2000 contre 15 % en 1980) sui­vi du sec­teur rési­den­tiel et ter­tiaire (24 %) et de l’in­dus­trie manu­fac­tu­rière (22 %).

Les émis­sions sont dans une cer­taine mesure sen­sibles aux varia­tions cli­ma­tiques. Les années 1991 et 1998 cor­res­pondent à des rejets sen­si­ble­ment supé­rieurs aux autres années liés à la conjonc­ture cli­ma­tique (année plus froide) et tech­nique (moindre dis­po­ni­bi­li­té du nucléaire ou forte vague de froid néces­si­tant de recou­rir davan­tage aux éner­gies fossiles).

En ce qui concerne l’ac­ti­vi­té sidé­rur­gique (les don­nées n’ont pas été col­lec­tées au-delà de 1996), on note en ten­dance un décou­plage abso­lu entre les émis­sions de CO2 et la valeur ajou­tée (VA) du secteur.

Ce type d’in­di­ca­teur illustre la ten­dance de long terme dans laquelle s’ins­crit l’é­co­no­mie fran­çaise et les pro­fils sec­to­riels que l’on peut éven­tuel­le­ment lui associer.

Les indi­ca­teurs sont cal­cu­lables grâce à des outils tels que le sys­tème de compte NAMEA (Natio­nal Account Matrice inclu­ding Envi­ron­men­tal Accounts) expé­ri­men­té aux Pays-Bas, et deve­nu depuis 1996 un des prin­ci­paux ins­tru­ments de comp­ta­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale prô­nés par Eurostat.

Il four­nit un cadre géné­ral per­met­tant de mettre en cor­res­pon­dance des comptes phy­siques, basés sur des inven­taires d’é­mis­sions mis en for­mat éco­no­mique, et des comptes éco­no­miques repre­nant les grandes lignes de la comp­ta­bi­li­té nationale.

À titre d’exemple, on trou­ve­ra ci-après un indi­ca­teur de déve­lop­pe­ment durable (IFEN) qui pré­sente l’é­vo­lu­tion des émis­sions de CO2 depuis 1980 com­pa­rée à la crois­sance du pro­duit inté­rieur brut (PIB).

Cet indi­ca­teur illustre les enjeux d’un néces­saire décou­plage entre déve­lop­pe­ment éco­no­mique et émis­sion de CO2, pre­mier gaz à effet de serre. À titre de com­pa­rai­son, on a ajou­té les chiffres rela­tifs à la sidé­rur­gie de 1980 à 1996.

Vers des indicateurs pour une écologie industrielle ?

L’in­té­rêt des indi­ca­teurs d’en­vi­ron­ne­ment n’est plus à démon­trer. Reste que leurs appli­ca­tions à des sec­teurs éco­no­miques comme l’a­gri­cul­ture, le tou­risme ou l’in­dus­trie sont encore peu déve­lop­pées (ces appli­ca­tions sont typi­que­ment celles recher­chées à l’A­gence euro­péenne de l’en­vi­ron­ne­ment ou à l’Ins­ti­tut fran­çais de l’environnement).

Pour­tant la socié­té dans son ensemble en a besoin pour mieux appré­hen­der les réper­cus­sions des acti­vi­tés humaines sur la san­té et l’en­vi­ron­ne­ment, et les pou­voirs publics en ont une uti­li­té toute trou­vée pour mieux régle­men­ter ou tari­fer les res­sources actuel­le­ment gra­tuites ou qua­si gra­tuites. Enfin, les entre­prises et le sec­teur finan­cier peuvent asseoir leurs déci­sions d’in­ves­tis­se­ment et de mana­ge­ment grâce aux indi­ca­teurs axés sur la mesure de la performance.

À ces qua­li­tés, somme toute clas­siques, il faut ajou­ter celles de la com­pa­ra­bi­li­té et de l’innovation.

Soi­gneu­se­ment choi­sis en fonc­tion de leur per­ti­nence, les indi­ca­teurs « indus­trie-envi­ron­ne­ment » sont en effet sus­cep­tibles d’au­to­ri­ser des com­pa­rai­sons entre tra­jec­toires de socié­tés d’une même branche, et ce d’au­tant plus que les règles défi­nies au niveau inter­na­tio­nal s’ap­pliquent désor­mais de façon plus homo­gène qu’il y a dix ou quinze ans. Ils peuvent sus­ci­ter l’in­no­va­tion, car ils pré­sentent, dans le cas de l’illus­tra­tion de l’é­co­lo­gie indus­trielle, le ren­de­ment et la pro­duc­ti­vi­té dans des termes nouveaux.

Cepen­dant, les sys­tèmes d’in­for­ma­tion à l’é­chelle de l’en­tre­prise ou à l’é­chelle d’un ter­ri­toire (natio­nal ou régio­nal) demeurent bien sou­vent lacu­naires. Les expé­riences menées à l’heure actuelle au niveau euro­péen, par l’OCDE et par l’I­FEN en France (NAMEA, indi­ca­teurs de cou­plage-décou­plage), pour encou­ra­geantes qu’elles soient, ne sont pas suf­fi­sam­ment vali­dées, et les sys­tèmes de repé­rage des infor­ma­tions sont inadé­quats ou incom­pa­tibles entre eux. Si, par exemple, il est rela­ti­ve­ment aisé d’im­pu­ter les émis­sions de gaz à effet de serre par sec­teur indus­triel, il n’est pas pos­sible de faire de même pour l’eu­tro­phi­sa­tion, car les émis­sions des sub­stances à l’o­ri­gine de cette pol­lu­tion ne sont pas col­lec­tées par l’ad­mi­nis­tra­tion en des­sous d’un cer­tain seuil par établissement.

Mal­gré ces contraintes fortes, on peut dis­cer­ner sans ambi­guï­té des thé­ma­tiques incon­tour­nables sur les­quelles l’en­tre­prise (indus­trielle comme ter­tiaire) devrait « rap­por­ter » à l’aide d’in­di­ca­teurs. Il s’agit :

  • de la consom­ma­tion d’énergie,
  • des émis­sions dans l’air et dans l’eau (déve­lop­pe­ment des registres d’émissions),
  • des déchets solides (dan­ge­reux ou non) : pro­duc­tion, recy­clage et valorisation,
  • de l’u­ti­li­sa­tion des res­sources et des matières premières,
  • des dépenses d’in­ves­tis­se­ment et de fonc­tion­ne­ment en matière d’en­vi­ron­ne­ment et de sécurité.

Idéa­le­ment, ce noyau dur d’in­di­ca­teurs devrait faire réfé­rence aux normes inter­na­tio­nales, natio­nales et locales (arrê­té pré­fec­to­ral d’au­to­ri­sa­tion, plans d’in­ter­ven­tion…). Ils devraient pou­voir se décli­ner par uni­tés de pro­duc­tion, par gamme de pro­duits et glo­ba­le­ment au niveau de l’entreprise.

Ces ensembles d’in­di­ca­teurs insé­rés ou non dans des rap­ports conso­li­dés devraient être publiés au mini­mum chaque année, voire tous les tri­mestres. Des com­men­taires devraient venir en appui pour illus­trer en toute trans­pa­rence et sans com­plai­sance les per­for­mances réa­li­sées et les efforts à consen­tir pour tendre vers « l’en­tre­prise éco­lo­gi­que­ment durable ».

Enfin, la conser­va­tion des don­nées devrait être assu­rée par les pou­voirs publics (ou par délé­ga­tion) aux niveaux cen­tral et local. La com­mu­ni­ca­tion des infor­ma­tions devrait pou­voir se faire com­mo­dé­ment par Inter­net et à coût zéro.

Cet article n’en­gage pas l’é­ta­blis­se­ment auquel appar­tient l’auteur.

1. À l’ins­tar de la per­sonne qui consulte un méde­cin et qui se voit pro­po­ser, pour res­ter en bonne san­té ou se soi­gner, des médi­ca­tions ad hoc.
2. Pris en appli­ca­tion de la loi sur les ins­tal­la­tions classées.
3. N. f. BIOL, ÉCOL. Accrois­se­ment anar­chique de la quan­ti­té de sels nutri­tifs d’un milieu, par­ti­cu­liè­re­ment d’une eau stag­nante pol­luée par les rési­dus d’en­grais ou par les rejets d’eau chaude (cen­trales élec­triques, etc.), et qui per­met la pul­lu­la­tion maxi­male d’êtres vivants. (Au-delà de cer­taines limites, l’é­qui­libre entre les espèces, végé­tales ou ani­males, peut être rom­pu au pro­fit de cer­taines d’entre elles.) © Hachette Livre, 1997.
4. LAVOUX T. et WEBER J.-L. « Réflexions sur les cri­tères de défi­ni­tion et de choix des indi­ca­teurs d’en­vi­ron­ne­ment ». Ifen, Note de méthode n° 3, Orléans, mai 1994.
5. RUMP P.-C., State of the Envi­ron­ment : Source book of méthods and approach, Envi­ron­ment Cana­da, RIVM-UNEP, 1996.
6. À ce terme anglais, cer­tains pré­fèrent le mot « rap­por­tage » cepen­dant moins usité.
7. Cette étude concerne l’a­na­lyse de 150 rap­ports sur le déve­lop­pe­ment durable publiés en 2001 par des socié­tés fran­çaises toutes cotées à la Bourse de Paris.

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