Jean DEBAY (31)

Un grand commis de l’État : Jean DEBAY (31), 1912–2003

Dossier : ExpressionsMagazine N°594 Avril 2004Par Jean WERQUIN (38)

René Debay, son père, dirige une exploi­ta­tion minière à Saint-Éloy-les-Mines, Puy-de- Dôme, où naît Jean Debay le 29 avril 1912. Après des études à Mont­pel­lier jus­qu’au bac­ca­lau­réat, puis à Paris, Jean est admis à l’X avec la pro­mo­tion 1931. Il s’y forge de solides ami­tiés et découvre avec goût et plai­sir la vie cultu­relle pari­sienne, le théâtre notam­ment. Clas­sé à la sor­tie dans l’ar­tille­rie colo­niale, il rejoint en août 1935 le 2e R.A.C. à Nîmes. Pen­dant la cam­pagne de France, il par­ti­cipe volon­tai­re­ment à l’ex­pé­di­tion en Nor­vège d’a­vril-mai 1940 qui tourne court. Blo­qué un temps en Écosse, il rentre à Brest, puis rejoint la 2e divi­sion légère de cava­le­rie, qui, tout en se bat­tant, se replie sur la Dor­dogne par des routes encom­brées de réfu­giés et de fuyards. Les com­bats menés alors jus­qu’à l’ar­mis­tice de juin 1940 valent à Debay sa pre­mière Croix de guerre. 

Quelques affec­ta­tions dans » l’ar­mée de l’ar­mis­tice » ne le satis­font pas : le 27 novembre 1942, il est pla­cé sur sa demande en » per­mis­sion de démo­bi­li­sa­tion » de trente jours ; il est alors capi­taine, et marié depuis avril 1941. Le 15 décembre 1942, il passe la fron­tière espa­gnole pour rejoindre la France Libre. Comme bien d’autres éva­dés de France dans les mêmes cir­cons­tances, il est arrê­té dans un train espa­gnol lors d’un contrôle, et inter­né à la pri­son de Bar­ce­lone. Il en est libé­ré après quatre mois par l’in­ter­ven­tion de deux jeunes cama­rades, Abel Tho­mas (41) et Jean Audi­bert (41), avec l’ap­pui du consul géné­ral de France. Le même diplo­mate favo­rise son embar­que­ment clan­des­tin jus­qu’à Gibral­tar, d’où il peut enfin rejoindre le Maroc le 2 mai 1943. 

Com­mence alors sa nou­velle cam­pagne contre les forces de l’Axe. Affec­té à la 9e D.I.C., il com­mande la com­pa­gnie de canons d’in­fan­te­rie du 6e régi­ment de Tirailleurs séné­ga­lais. Il prend part au débar­que­ment du 19 juin 1944 sur l’île d’Elbe, puis en Pro­vence où il s’illustre lors de la prise de Tou­lon en août. Le géné­ral de Lattre de Tas­si­gny, chef de ces opé­ra­tions, consi­dé­rait la prise de la Pou­drière Saint-Pierre comme l’é­pi­sode le plus glo­rieux de cette bataille, com­pa­rable à la prise du fort de Douau­mont en 1916 ; mais, comme l’a écrit Jean Debay dans sa pla­quette Nos artilleurs à la bataille de Tou­lon, le même scé­na­rio s’est renou­ve­lé pour cha­cun des points d’ap­pui alle­mands conquis par les troupes fran­çaises. Bles­sé le 23 août devant Tou­lon par éclats d’o­bus, à la main et à la jambe droites, il pour­suit son com­bat au sein de la pre­mière Divi­sion Fran­çaise Libre, et reçoit une nou­velle bles­sure à la jambe gauche, le 15 novembre 1944, par éclats de mine, pen­dant l’at­taque de Colom­bier- Fon­taine (Doubs).

Deux cita­tions à l’ordre de l’Ar­mée lui valent la Croix de guerre avec palme 1944–1945, et la croix de che­va­lier de la Légion d’hon­neur à moins de 33 ans. Admis en jan­vier 1945 au centre de for­ma­tion des offi­ciers d’É­tat-major, nom­mé chef d’es­ca­dron en mars 1945, il est affec­té à l’É­tat-major du » géné-super » en AOF, et sert ain­si dix mois à Dakar. Mais » l’Ins­pec­tion des Colo­nies » le tente. Reçu à son pre­mier essai, en 1946, il va désor­mais pour­suivre dans ce Corps une car­rière mul­ti­forme, jus­qu’à son admis­sion au cadre de réserve à 64 ans. 

Il n’est pas inutile de pré­ci­ser un peu ce qu’é­tait le Corps de l’Ins­pec­tion, dénom­mé ensuite » de la France d’Outre-mer « , et fina­le­ment » des Affaires d’Outre-mer « . Peu connu en métro­pole, son tra­vail fut consi­dé­rable dans tous les pays de mou­vance fran­çaise. À quelques mois près, les hasards de l’his­toire l’ont fait durer un siècle, de la créa­tion d’un corps auto­nome en 1885 (à l’é­poque de la plus grande expan­sion fran­çaise) jus­qu’au pas­sage au cadre de réserve, en 1985, du der­nier ins­pec­teur géné­ral en acti­vi­té. Et la liste de ses 142 membres pen­dant ce siècle com­porte 21 de nos cama­rades1.

Il était l’ho­mo­logue outre-mer de l’Ins­pec­tion géné­rale des Finances d’une part, du Contrôle géné­ral des Armées d’autre part. Son expé­rience ultra­ma­rine et sa connais­sance appro­fon­die des ques­tions admi­nis­tra­tives et finan­cières, les bar­rages suc­ces­sifs d’un recru­te­ment exclu­si­ve­ment au concours et res­treint à quelques uni­tés chaque fois, l’en­tière indé­pen­dance de ses membres dotés à cet effet du sta­tut mili­taire lui ont assu­ré outre-mer un pres­tige durable… par­fois aus­si une cer­taine crainte, car ses pou­voirs d’in­ves­ti­ga­tion étaient illi­mi­tés (assor­tis de l’in­ter­dic­tion d’a­gir) sous l’au­to­ri­té directe et immé­diate du ministre. Et la forme contra­dic­toire des rap­ports – com­por­tant la réponse du ser­vice ins­pec­té avant toute trans­mis­sion au ministre – en garan­tis­sait l’exac­ti­tude et la précision. 

À par­tir de la déco­lo­ni­sa­tion, le Corps n’a plus recru­té, et le choix fut alors offert aux ins­pec­teurs géné­raux et ins­pec­teurs en acti­vi­té, soit de pro­lon­ger leur car­rière dans d’autres grands corps de l’É­tat, soit de béné­fi­cier d’un » congé spé­cial » anti­ci­pé, soit enfin de res­ter jus­qu’à leur limite d’âge dans le corps d’ex­tinc­tion, option rete­nue par Jean Debay. Aucun n’est demeu­ré sans tra­vail, car, tout natu­rel­le­ment, leur com­pé­tence leur a valu d’oc­cu­per sou­vent d’im­por­tantes fonc­tions dans les nou­veaux États indépendants. 

Il serait fas­ti­dieux de détailler les dizaines de mis­sions (contrôle de ser­vices ou études fis­cales, éco­no­miques, juri­diques et autres) accom­plies par Debay dans presque tout » l’Em­pire fran­çais « . Il a su y appli­quer la rec­ti­tude de son esprit, tout en tenant compte, selon la jolie for­mule de l’un des textes orga­niques, » des inté­rêts du Tré­sor et des droits des per­sonnes « . En d’autres termes, il savait faire pré­va­loir l’é­qui­té sur l’ap­pli­ca­tion sans nuances de règle­ments par­fois inadaptés. 

À plu­sieurs reprises, cepen­dant, il fut déta­ché dans des fonc­tions d’autorité : 

  • ins­pec­teur géné­ral des affaires admi­nis­tra­tives en AOF de 1953 à 1955 ; 
  • direc­teur de cabi­net du secré­taire d’É­tat à la F.O.M. pour trois mois en 1955 ; 
  • conseiller tech­nique au cabi­net du ministre délé­gué à la Pré­si­dence du Conseil, en 1956–1957 :
  • direc­teur du Contrôle finan­cier en AOF en 1958–1960 ;
  • de 1965 à 1969 et pour le compte du ministre de la Coopé­ra­tion, il exer­ça le contrôle finan­cier de huit ins­ti­tuts de recherche agro­no­mique appli­quée outre-mer, impli­quant bon nombre de mis­sions en divers pays tropicaux ; 
  • de 1969 à 1976 enfin, il fut direc­teur géné­ral de l’Ins­pec­tion géné­rale des Affaires d’Outre-mer. 


L’é­lé­va­tion à la digni­té de grand offi­cier de la Légion d’hon­neur, à titre mili­taire et avec trai­te­ment, vint recon­naître en juillet 1968 une telle car­rière. Mais cette réca­pi­tu­la­tion, si riche soit la per­son­na­li­té qu’elle laisse devi­ner, serait incom­plète sans une men­tion des acti­vi­tés extraprofessionnelles. 

Les qua­li­tés lit­té­raires et les connais­sances his­to­riques de Jean Debay l’ont inci­té à écrire, et par­fois à publier, maintes études comme celle men­tion­née plus haut à pro­pos de la bataille de Tou­lon. Au nombre des ouvrages qu’il a édi­tés, citons Évo­lu­tion de l’A­frique Noire en 1961 ; ou encore, Les poly­tech­ni­ciens dans l’his­toire de France, pré­sen­té dans cette revue en 1997. Et sa biblio­thèque per­son­nelle était riche d’ou­vrages clas­siques, où le théâtre tenait une place de choix. Il appré­ciait par­ti­cu­liè­re­ment Hugo et La Fon­taine, dont il aimait réci­ter des tirades entières. Mais les auteurs contem­po­rains le sédui­saient aus­si, et nombre d’ou­vrages de Péguy, Valé­ry, Girau­doux ou Céline en sont la marque. Et sa clar­té d’es­prit et sa culture appa­rais­saient dans ses écrits comme dans ses expo­sés, par exemple au groupe X‑Résistance auquel il adhérait. 

Rigou­reux en ser­vice, il savait être en socié­té un agréable convive, tou­jours prêt à racon­ter quelque bonne his­toire, voire à en ima­gi­ner avec son humour, comme en témoignent ses deux » Laïus du cocon lamb­da « , aux bals de l’X à Dakar, en 1953 et 1954. 

Du pre­mier, je cite­rai ces deux quatrains : 

» Si vous avez pris goût à l’art plas­tique (Allard, 34)
Au fond galant d’un sug­ges­tif décor (Font­gal­land, 38)
Entr’a­per­çu der­rière Kiki Mous­tique, (Suder, 38)
Au Bodé­ga dila­pi­dez votre or » (Gadilhe, 38)

 » Si l’au­to­gire au ciel veut te por­ter (Giraud, 44)
Tu fran­chi­ras à ton gré les hauts monts (Grel­let – Aumont, 35)
Sur­vo­lant la lagune et les forêts (Lala­guë, 39)
Admi­rant beaux pays et hori­zons » (Miram­beau, 43) 

Du second, je n’ai pas retrou­vé le texte, hélas, et je serai recon­nais­sant aux cama­rades qui m’y aide­ront. Tou­te­fois, l’un de ses vers m’est res­té en mémoire par son inventivité : 

 » De la bruche – oh, le riz en est plein ! » (de La Bru­chol­le­rie, 36) 

À côté de sa fidé­li­té en ami­tié, telle ou telle famille d’un cama­rade tué au com­bat a pu en juger – je ne sau­rais man­quer de signa­ler son carac­tère, volon­tiers pas­sion­né. Ain­si, en 1998, il écri­vait une lettre de mise au point au jour­nal Le Monde qui, com­mé­mo­rant le ses­qui­cen­te­naire de l’a­bo­li­tion de l’es­cla­vage, avait indû­ment mino­ré le rôle de Lamar­tine en la cir­cons­tance ! Jean Debay aura conser­vé jus­qu’à ses 91 ans ce tem­pé­ra­ment exi­geant, lais­sant à la mai­son de retraite où ses jours ont pris fin, le 29 octobre 2003, le sou­ve­nir d’un patient sou­vent… impatient ! 

Jean WERQUIN (38)

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1.
Fran­çois BIDEAU (1856), Louis VERRIER (1868), Ber­nard BLANCHARD (1874), Fran­çois-Xavier LOISY (1893), Amé­dée BERRUÉ (1894), Mau­rice MONGUILLOT (1894), Jean-Bap­tiste FOUQUE (1895), Jean LAGUARIGUE de SURVILLIERS (1895), Joseph SIGMANN (1896), Jean PÉGOURIER (1899), Auguste TIXIER (1900), Vic­tor CHÉRIGIÉ (1902), Louis RUFFEL (1919 N), Joseph AUSSEL (1920 N), Jacques de CARBON FERRIÈRE (1923), Jean PINASSAUD (1928), Jean DEBAY (1931), René NABONNE (1934), Gas­ton ZOCCOLAT (1934), Hubert de La BRUCHOLLERIE (1936), Jean WERQUIN (1938).

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DANIELrépondre
18 mars 2016 à 7 h 19 min

Jean DEBAY
Dés le 13 novembre 1942, l’ar­mée alle­mande prend pos­ses­sion du port de Port Saint Louis du Rhône et de la bat­te­rie de l’ar­mée fran­çaise, ins­tal­lée en bord de mer et pla­cée sous le com­man­de­ment du capi­taine DEBAY…
Moment d’é­mo­tion lors du désar­me­ment, l’of­fi­cier fran­çais fait his­ser les cou­leurs et dans son dis­cours, il invite ses hommes à ne jamais ser­vir l’en­ne­mi et à se déro­ber par tous les moyens à son emprise. Les cou­leurs sont des­cen­dues et le capi­taine est arrê­té puis mis en cel­lule… Il s’en éva­de­ra quelques jours plus tard pour rejoindre les forces du géné­ral de Gaulle.
il par­ti­ci­pe­ra au débar­que­ment de Pro­vence au sein du 6ème Régi­ment de Tirailleurs Séné­ga­lais, pla­cé sous les ordres du colo­nel SALAN, en tant que com­man­dant de la com­pa­gnie de canons.

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