Un grand commis de l’État : Jean DEBAY (31), 1912–2003
René Debay, son père, dirige une exploitation minière à Saint-Éloy-les-Mines, Puy-de- Dôme, où naît Jean Debay le 29 avril 1912. Après des études à Montpellier jusqu’au baccalauréat, puis à Paris, Jean est admis à l’X avec la promotion 1931. Il s’y forge de solides amitiés et découvre avec goût et plaisir la vie culturelle parisienne, le théâtre notamment. Classé à la sortie dans l’artillerie coloniale, il rejoint en août 1935 le 2e R.A.C. à Nîmes. Pendant la campagne de France, il participe volontairement à l’expédition en Norvège d’avril-mai 1940 qui tourne court. Bloqué un temps en Écosse, il rentre à Brest, puis rejoint la 2e division légère de cavalerie, qui, tout en se battant, se replie sur la Dordogne par des routes encombrées de réfugiés et de fuyards. Les combats menés alors jusqu’à l’armistice de juin 1940 valent à Debay sa première Croix de guerre.
Quelques affectations dans » l’armée de l’armistice » ne le satisfont pas : le 27 novembre 1942, il est placé sur sa demande en » permission de démobilisation » de trente jours ; il est alors capitaine, et marié depuis avril 1941. Le 15 décembre 1942, il passe la frontière espagnole pour rejoindre la France Libre. Comme bien d’autres évadés de France dans les mêmes circonstances, il est arrêté dans un train espagnol lors d’un contrôle, et interné à la prison de Barcelone. Il en est libéré après quatre mois par l’intervention de deux jeunes camarades, Abel Thomas (41) et Jean Audibert (41), avec l’appui du consul général de France. Le même diplomate favorise son embarquement clandestin jusqu’à Gibraltar, d’où il peut enfin rejoindre le Maroc le 2 mai 1943.
Commence alors sa nouvelle campagne contre les forces de l’Axe. Affecté à la 9e D.I.C., il commande la compagnie de canons d’infanterie du 6e régiment de Tirailleurs sénégalais. Il prend part au débarquement du 19 juin 1944 sur l’île d’Elbe, puis en Provence où il s’illustre lors de la prise de Toulon en août. Le général de Lattre de Tassigny, chef de ces opérations, considérait la prise de la Poudrière Saint-Pierre comme l’épisode le plus glorieux de cette bataille, comparable à la prise du fort de Douaumont en 1916 ; mais, comme l’a écrit Jean Debay dans sa plaquette Nos artilleurs à la bataille de Toulon, le même scénario s’est renouvelé pour chacun des points d’appui allemands conquis par les troupes françaises. Blessé le 23 août devant Toulon par éclats d’obus, à la main et à la jambe droites, il poursuit son combat au sein de la première Division Française Libre, et reçoit une nouvelle blessure à la jambe gauche, le 15 novembre 1944, par éclats de mine, pendant l’attaque de Colombier- Fontaine (Doubs).
Deux citations à l’ordre de l’Armée lui valent la Croix de guerre avec palme 1944–1945, et la croix de chevalier de la Légion d’honneur à moins de 33 ans. Admis en janvier 1945 au centre de formation des officiers d’État-major, nommé chef d’escadron en mars 1945, il est affecté à l’État-major du » géné-super » en AOF, et sert ainsi dix mois à Dakar. Mais » l’Inspection des Colonies » le tente. Reçu à son premier essai, en 1946, il va désormais poursuivre dans ce Corps une carrière multiforme, jusqu’à son admission au cadre de réserve à 64 ans.
Il n’est pas inutile de préciser un peu ce qu’était le Corps de l’Inspection, dénommé ensuite » de la France d’Outre-mer « , et finalement » des Affaires d’Outre-mer « . Peu connu en métropole, son travail fut considérable dans tous les pays de mouvance française. À quelques mois près, les hasards de l’histoire l’ont fait durer un siècle, de la création d’un corps autonome en 1885 (à l’époque de la plus grande expansion française) jusqu’au passage au cadre de réserve, en 1985, du dernier inspecteur général en activité. Et la liste de ses 142 membres pendant ce siècle comporte 21 de nos camarades1.
Il était l’homologue outre-mer de l’Inspection générale des Finances d’une part, du Contrôle général des Armées d’autre part. Son expérience ultramarine et sa connaissance approfondie des questions administratives et financières, les barrages successifs d’un recrutement exclusivement au concours et restreint à quelques unités chaque fois, l’entière indépendance de ses membres dotés à cet effet du statut militaire lui ont assuré outre-mer un prestige durable… parfois aussi une certaine crainte, car ses pouvoirs d’investigation étaient illimités (assortis de l’interdiction d’agir) sous l’autorité directe et immédiate du ministre. Et la forme contradictoire des rapports – comportant la réponse du service inspecté avant toute transmission au ministre – en garantissait l’exactitude et la précision.
À partir de la décolonisation, le Corps n’a plus recruté, et le choix fut alors offert aux inspecteurs généraux et inspecteurs en activité, soit de prolonger leur carrière dans d’autres grands corps de l’État, soit de bénéficier d’un » congé spécial » anticipé, soit enfin de rester jusqu’à leur limite d’âge dans le corps d’extinction, option retenue par Jean Debay. Aucun n’est demeuré sans travail, car, tout naturellement, leur compétence leur a valu d’occuper souvent d’importantes fonctions dans les nouveaux États indépendants.
Il serait fastidieux de détailler les dizaines de missions (contrôle de services ou études fiscales, économiques, juridiques et autres) accomplies par Debay dans presque tout » l’Empire français « . Il a su y appliquer la rectitude de son esprit, tout en tenant compte, selon la jolie formule de l’un des textes organiques, » des intérêts du Trésor et des droits des personnes « . En d’autres termes, il savait faire prévaloir l’équité sur l’application sans nuances de règlements parfois inadaptés.
À plusieurs reprises, cependant, il fut détaché dans des fonctions d’autorité :
- inspecteur général des affaires administratives en AOF de 1953 à 1955 ;
- directeur de cabinet du secrétaire d’État à la F.O.M. pour trois mois en 1955 ;
- conseiller technique au cabinet du ministre délégué à la Présidence du Conseil, en 1956–1957 :
- directeur du Contrôle financier en AOF en 1958–1960 ;
- de 1965 à 1969 et pour le compte du ministre de la Coopération, il exerça le contrôle financier de huit instituts de recherche agronomique appliquée outre-mer, impliquant bon nombre de missions en divers pays tropicaux ;
- de 1969 à 1976 enfin, il fut directeur général de l’Inspection générale des Affaires d’Outre-mer.
L’élévation à la dignité de grand officier de la Légion d’honneur, à titre militaire et avec traitement, vint reconnaître en juillet 1968 une telle carrière. Mais cette récapitulation, si riche soit la personnalité qu’elle laisse deviner, serait incomplète sans une mention des activités extraprofessionnelles.
Les qualités littéraires et les connaissances historiques de Jean Debay l’ont incité à écrire, et parfois à publier, maintes études comme celle mentionnée plus haut à propos de la bataille de Toulon. Au nombre des ouvrages qu’il a édités, citons Évolution de l’Afrique Noire en 1961 ; ou encore, Les polytechniciens dans l’histoire de France, présenté dans cette revue en 1997. Et sa bibliothèque personnelle était riche d’ouvrages classiques, où le théâtre tenait une place de choix. Il appréciait particulièrement Hugo et La Fontaine, dont il aimait réciter des tirades entières. Mais les auteurs contemporains le séduisaient aussi, et nombre d’ouvrages de Péguy, Valéry, Giraudoux ou Céline en sont la marque. Et sa clarté d’esprit et sa culture apparaissaient dans ses écrits comme dans ses exposés, par exemple au groupe X‑Résistance auquel il adhérait.
Rigoureux en service, il savait être en société un agréable convive, toujours prêt à raconter quelque bonne histoire, voire à en imaginer avec son humour, comme en témoignent ses deux » Laïus du cocon lambda « , aux bals de l’X à Dakar, en 1953 et 1954.
Du premier, je citerai ces deux quatrains :
» Si vous avez pris goût à l’art plastique (Allard, 34)
Au fond galant d’un suggestif décor (Fontgalland, 38)
Entr’aperçu derrière Kiki Moustique, (Suder, 38)
Au Bodéga dilapidez votre or » (Gadilhe, 38)
» Si l’autogire au ciel veut te porter (Giraud, 44)
Tu franchiras à ton gré les hauts monts (Grellet – Aumont, 35)
Survolant la lagune et les forêts (Lalaguë, 39)
Admirant beaux pays et horizons » (Mirambeau, 43)
Du second, je n’ai pas retrouvé le texte, hélas, et je serai reconnaissant aux camarades qui m’y aideront. Toutefois, l’un de ses vers m’est resté en mémoire par son inventivité :
» De la bruche – oh, le riz en est plein ! » (de La Bruchollerie, 36)
À côté de sa fidélité en amitié, telle ou telle famille d’un camarade tué au combat a pu en juger – je ne saurais manquer de signaler son caractère, volontiers passionné. Ainsi, en 1998, il écrivait une lettre de mise au point au journal Le Monde qui, commémorant le sesquicentenaire de l’abolition de l’esclavage, avait indûment minoré le rôle de Lamartine en la circonstance ! Jean Debay aura conservé jusqu’à ses 91 ans ce tempérament exigeant, laissant à la maison de retraite où ses jours ont pris fin, le 29 octobre 2003, le souvenir d’un patient souvent… impatient !
Jean WERQUIN (38)
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1. François BIDEAU (1856), Louis VERRIER (1868), Bernard BLANCHARD (1874), François-Xavier LOISY (1893), Amédée BERRUÉ (1894), Maurice MONGUILLOT (1894), Jean-Baptiste FOUQUE (1895), Jean LAGUARIGUE de SURVILLIERS (1895), Joseph SIGMANN (1896), Jean PÉGOURIER (1899), Auguste TIXIER (1900), Victor CHÉRIGIÉ (1902), Louis RUFFEL (1919 N), Joseph AUSSEL (1920 N), Jacques de CARBON FERRIÈRE (1923), Jean PINASSAUD (1928), Jean DEBAY (1931), René NABONNE (1934), Gaston ZOCCOLAT (1934), Hubert de La BRUCHOLLERIE (1936), Jean WERQUIN (1938).
Commentaire
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Jean DEBAY
Dés le 13 novembre 1942, l’armée allemande prend possession du port de Port Saint Louis du Rhône et de la batterie de l’armée française, installée en bord de mer et placée sous le commandement du capitaine DEBAY…
Moment d’émotion lors du désarmement, l’officier français fait hisser les couleurs et dans son discours, il invite ses hommes à ne jamais servir l’ennemi et à se dérober par tous les moyens à son emprise. Les couleurs sont descendues et le capitaine est arrêté puis mis en cellule… Il s’en évadera quelques jours plus tard pour rejoindre les forces du général de Gaulle.
il participera au débarquement de Provence au sein du 6ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais, placé sous les ordres du colonel SALAN, en tant que commandant de la compagnie de canons.