Orchestre Philharmonique de Berlin

Arvo Pärt, Mahler, Barber, Ligeti, Tchaïkovski, Mozart

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°800 Décembre 2024
Par Marc DARMON (83)

Tous les pre­miers mai (anni­ver­saire de l’orchestre, fon­dé le 1er mai 1882) depuis 1991, l’Orchestre phil­har­mo­nique de Ber­lin joue un concert popu­laire, très média­ti­sé et géné­ra­le­ment très bien fil­mé, dans une ville d’Europe, la vidéo ren­dant jus­tice à l’extraordinaire optique des lieux choi­sis pour les repré­sen­ta­tions, sou­vent très inha­bi­tuels. On a vu ces concerts par exemple dans les Offices de Flo­rence, au Pra­do de Madrid, au châ­teau de Ver­sailles, dans le musée d’Orsay, l’Odéon d’Athènes, devant le Vasa, un navire sué­dois fort bien conser­vé à Stock­holm, ou Sainte-Irène à Istan­bul. Cette tra­di­tion, créée par Clau­dio Abba­do peu après la Révo­lu­tion de velours de Prague, débu­ta dans cette ville en cette année de bicen­te­naire Mozart natu­rel­le­ment par un pro­gramme pure­ment Mozart.

Les concerts de 2020 et 2021

Bien sûr, cette tra­di­tion a été très per­tur­bée en 2020 et 2021. Mais l’orchestre et son chef depuis 2019, Kirill Petren­ko, se sont atta­chés à la main­te­nir. D’autant que l’impossibilité de réa­li­ser des concerts publics ren­dait encore plus indis­pen­sable la pro­duc­tion vidéo et sa dif­fu­sion dans le monde entier. Les contraintes de ces deux années, qui ont été ter­ribles aus­si pour tous les musi­ciens, nous donnent l’occasion de dis­po­ser de deux concerts très par­ti­cu­liers et au sens propre exceptionnels.

Concert de 2020

En 2020, le dépla­ce­ment pré­vu à Tel-Aviv ayant été fata­le­ment annu­lé, Petren­ko orga­nise dans la salle prin­ci­pale de la Phil­har­mo­nie de Ber­lin, sans public et donc uni­que­ment pour la vidéo en direct, un pro­gramme avec au maxi­mum quinze musi­ciens, très espacés.

Au pro­gramme, Fratres de l’Estonien contem­po­rain Arvo Pärt (né en 1935), une de ses œuvres les plus célèbres et admi­rées, œuvre hyp­no­tique (comme sou­vent chez Pärt). On res­sort remué de ces dix minutes, par l’effet for­mi­dable qu’imprime ce mor­ceau avec la vue sur la salle vide, véri­table sym­bole de cette période.

Puis les Rami­fi­ca­tions de Györ­gy Lige­ti, dans sa seconde ver­sion de 1969 (que Lige­ti pré­fé­rait) pour douze solistes. La pièce est en un seul mou­ve­ment, dure envi­ron huit minutes, très expé­ri­men­tale puisqu’aucune contrainte ryth­mique n’est appli­quée lors de l’exécution de la pièce et que la pièce est cen­sée être inter­pré­tée de manière fluide et sans rythme perceptible.

La pre­mière par­tie se ter­mine avec le poi­gnant Ada­gio de Samuel Bar­ber (orches­tra­tion de son Qua­tuor), célèbre mor­ceau qui a ser­vi notam­ment de bande sonore aux films Ele­phant Man et Pla­toon.

« La première partie se termine avec le poignant Adagio de Samuel Barber. »

En seconde par­tie, une incroyable rare­té et une totale réus­site. Petren­ko pro­pose la Qua­trième Sym­pho­nie de Gus­tav Mah­ler, mais dans la réduc­tion qu’en fit en 1921 Erwin Stein, un élève et ami de Schoen­berg. Ce chef‑d’œuvre, qui néces­site géné­ra­le­ment l’orchestre sym­pho­nique le plus com­plet, est ce soir-là joué avec 5 cordes et 3 bois (et un pia­no et un petit orgue). Les chefs de pupitre des cordes jouent pour l’ensemble de leur groupe, la cla­ri­nette joue toutes les par­ties de cla­ri­nette et de cor, le haut­bois les par­ties de haut­bois et de trom­pette, le bas­son joue aus­si la part des trom­bones. Et cela marche, c’est un concert magni­fique, c’est même une très bonne intro­duc­tion à cette œuvre. Bra­vo éga­le­ment aux pre­neurs de son qui ont trans­for­mé une gageure impos­sible sur le papier en une prouesse sonore.

Évi­dem­ment la direc­tion excep­tion­nelle de Petren­ko se sen­tait moins avec le petit ensemble à cordes de la pre­mière par­tie, où il n’y a pas de pro­blème d’équilibre avec les vents. Cela fait une grande dif­fé­rence avec le Mah­ler, où sa direc­tion se sent énormément.

Concert de 2021

En mai 2021, même obli­ga­tion d’absence du public, mais les contraintes de dis­tan­cia­tion phy­sique des musi­ciens sont moindres. Petren­ko a donc choi­si les esca­liers et les foyers de la Phil­har­mo­nie pour répar­tir les musi­ciens de l’orchestre, et un pro­gramme adap­té à cette disposition.

Le pro­gramme com­mence par la brève Fan­fare de Bla­cher, com­man­dée pour l’inauguration de la Phil­har­mo­nie en 1963, puis l’expérimentale mais très recom­man­dée Unans­we­red Ques­tion (1908) de Charles Ives, par­fai­te­ment adap­tée à l’orchestre répar­ti dans l’espace des esca­liers. Comme pour la Séré­nade Not­tur­no de Mozart (1777), qui uti­lise tra­di­tion­nel­le­ment quatre petits orchestres dif­fé­rents, com­po­sés cha­cun de 2 cors et cordes et pla­cés en quatre endroits dif­fé­rents. Et en seconde par­tie la Suite n° 3 de Tchaï­kovs­ki, qu’on ne joue jamais. Très ori­gi­nal programme. 


Orchestre Phil­har­mo­nique de Ber­lin, direc­tion Kirill Petrenko

2 DVD ou Blu-ray Euroarts et sur le site de l’Orchestre www.digitalconcerthall.com

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