Arvo Pärt, Mahler, Barber, Ligeti, Tchaïkovski, Mozart
Tous les premiers mai (anniversaire de l’orchestre, fondé le 1er mai 1882) depuis 1991, l’Orchestre philharmonique de Berlin joue un concert populaire, très médiatisé et généralement très bien filmé, dans une ville d’Europe, la vidéo rendant justice à l’extraordinaire optique des lieux choisis pour les représentations, souvent très inhabituels. On a vu ces concerts par exemple dans les Offices de Florence, au Prado de Madrid, au château de Versailles, dans le musée d’Orsay, l’Odéon d’Athènes, devant le Vasa, un navire suédois fort bien conservé à Stockholm, ou Sainte-Irène à Istanbul. Cette tradition, créée par Claudio Abbado peu après la Révolution de velours de Prague, débuta dans cette ville en cette année de bicentenaire Mozart naturellement par un programme purement Mozart.
Les concerts de 2020 et 2021
Bien sûr, cette tradition a été très perturbée en 2020 et 2021. Mais l’orchestre et son chef depuis 2019, Kirill Petrenko, se sont attachés à la maintenir. D’autant que l’impossibilité de réaliser des concerts publics rendait encore plus indispensable la production vidéo et sa diffusion dans le monde entier. Les contraintes de ces deux années, qui ont été terribles aussi pour tous les musiciens, nous donnent l’occasion de disposer de deux concerts très particuliers et au sens propre exceptionnels.
Concert de 2020
En 2020, le déplacement prévu à Tel-Aviv ayant été fatalement annulé, Petrenko organise dans la salle principale de la Philharmonie de Berlin, sans public et donc uniquement pour la vidéo en direct, un programme avec au maximum quinze musiciens, très espacés.
Au programme, Fratres de l’Estonien contemporain Arvo Pärt (né en 1935), une de ses œuvres les plus célèbres et admirées, œuvre hypnotique (comme souvent chez Pärt). On ressort remué de ces dix minutes, par l’effet formidable qu’imprime ce morceau avec la vue sur la salle vide, véritable symbole de cette période.
Puis les Ramifications de György Ligeti, dans sa seconde version de 1969 (que Ligeti préférait) pour douze solistes. La pièce est en un seul mouvement, dure environ huit minutes, très expérimentale puisqu’aucune contrainte rythmique n’est appliquée lors de l’exécution de la pièce et que la pièce est censée être interprétée de manière fluide et sans rythme perceptible.
La première partie se termine avec le poignant Adagio de Samuel Barber (orchestration de son Quatuor), célèbre morceau qui a servi notamment de bande sonore aux films Elephant Man et Platoon.
« La première partie se termine avec le poignant Adagio de Samuel Barber. »
En seconde partie, une incroyable rareté et une totale réussite. Petrenko propose la Quatrième Symphonie de Gustav Mahler, mais dans la réduction qu’en fit en 1921 Erwin Stein, un élève et ami de Schoenberg. Ce chef‑d’œuvre, qui nécessite généralement l’orchestre symphonique le plus complet, est ce soir-là joué avec 5 cordes et 3 bois (et un piano et un petit orgue). Les chefs de pupitre des cordes jouent pour l’ensemble de leur groupe, la clarinette joue toutes les parties de clarinette et de cor, le hautbois les parties de hautbois et de trompette, le basson joue aussi la part des trombones. Et cela marche, c’est un concert magnifique, c’est même une très bonne introduction à cette œuvre. Bravo également aux preneurs de son qui ont transformé une gageure impossible sur le papier en une prouesse sonore.
Évidemment la direction exceptionnelle de Petrenko se sentait moins avec le petit ensemble à cordes de la première partie, où il n’y a pas de problème d’équilibre avec les vents. Cela fait une grande différence avec le Mahler, où sa direction se sent énormément.
Concert de 2021
En mai 2021, même obligation d’absence du public, mais les contraintes de distanciation physique des musiciens sont moindres. Petrenko a donc choisi les escaliers et les foyers de la Philharmonie pour répartir les musiciens de l’orchestre, et un programme adapté à cette disposition.
Le programme commence par la brève Fanfare de Blacher, commandée pour l’inauguration de la Philharmonie en 1963, puis l’expérimentale mais très recommandée Unanswered Question (1908) de Charles Ives, parfaitement adaptée à l’orchestre réparti dans l’espace des escaliers. Comme pour la Sérénade Notturno de Mozart (1777), qui utilise traditionnellement quatre petits orchestres différents, composés chacun de 2 cors et cordes et placés en quatre endroits différents. Et en seconde partie la Suite n° 3 de Tchaïkovski, qu’on ne joue jamais. Très original programme.
Orchestre Philharmonique de Berlin, direction Kirill Petrenko
2 DVD ou Blu-ray Euroarts et sur le site de l’Orchestre www.digitalconcerthall.com