Assurance maladie obligatoire, quelle gestion pour demain ?
Repères sociaux
Pour bien comprendre les enjeux, un retour sur les débuts de la protection sociale généralisée s’impose.
Autour de Pierre Laroque, les pères fondateurs de la Sécurité sociale française donnent naissance à un texte ambitieux : l’ordonnance du 4 octobre 1945. Il est alors évident pour eux qu’une seule structure de gestion doit gérer les nouveaux régimes de protection sociale en matière de maladie, vieillesse, prestations familiales et accidents du travail.
Il en résulte la création d’une caisse nationale unique : la Caisse nationale de sécurité sociale. Celle-ci reçoit pour mission de prendre en charge la protection sociale de l’ensemble de la population française, d’où la dénomination de régime général.
À cette époque, certains groupes socioprofessionnels, notamment les agriculteurs, les artisans, les commerçants et les professionnels libéraux, expriment leur refus de se fondre dans une entité qu’ils voient par trop égalisatrice. La loi du 22 mai 1946 vient de ce fait limiter l’ambition du régime général à la seule catégorie des salariés du commerce et de l’industrie.
Depuis cette date, deux séries de mesures sont venues modifier le schéma initial de régime unique géré par une structure monopolistique..
- En janvier 1961, le Parlement décide la création d’un régime d’assurance maladie obligatoire pour les exploitants agricoles : l’AMEXA, régime dont la structure de gestion est pluraliste. On retrouve en 1966 cette orientation au travers de la création de l’AMPI pour les artisans, les commerçants et les professionnels libéraux. Ce deuxième régime d’assurance maladie obligatoire est lui aussi doté d’une structure de gestion pluraliste..
- En 1967, la structure unitaire du régime général des salariés cède la place à une organisation en trois branches : la maladie, la vieillesse et les prestations familiales. Ces dernières sont respectivement pilotées par trois caisses nationales, la CNAM, la CNAV, la CNAF. La branche accidents du travail, bien que rattachée à la CNAM, est néanmoins organisée d’une manière autonome.
Cette décision d’éclatement est prise par le Parlement qui souhaite suivre, en toute transparence, l’évolution des comptes afférents à chacun des risques.
C’est au travers de cette évolution historique que l’équation d’origine, » service public » = gestion par le secteur public est remise en cause.
La gestion pluraliste, devenue désormais la règle des régimes d’assurance maladie obligatoire des exploitants agricoles et des autres travailleurs indépendants, est, comme nous allons le voir, d’origine très pragmatique.
Activité agricole FRÉDÉRIC CIROU–PHOTOALTO
Une législation pluraliste pour les agriculteurs
Avant la mise en œuvre de la loi instituant l’AMEXA, régime d’assurance maladie obligatoire, les exploitants agricoles ainsi que leur famille peuvent spontanément se couvrir contre les risques de maladie auprès de quatre types d’organismes :
Activité artisanale. © FRÉDÉRIC CIROU–PHOTOALTO
– la Mutualité sociale agricole, déjà en charge des risques vieillesse et des prestations familiales,
– les entreprises d’assurances, régies par le Code des assurances,
– les sociétés mutualistes, régies par le Code de la mutualité,
– les caisses d’assurance mutuelles agricoles, aujourd’hui réunies au sein de l’entité Groupama.
Très naturellement, lors du vote de la loi sur le nouveau régime, les trois derniers organismes font valoir au Parlement leur désir de conserver le lien avec leurs assurés en devenant gestionnaires de ce » service public « .
De son côté, la Mutualité sociale agricole, forte de sa position déjà acquise de gestionnaire unique en vieillesse et prestations familiales, revendique de se voir attribuer le monopole de la gestion maladie.
Le gouvernement et le Parlement tranchent cet intense débat législatif en faveur d’une solution pluraliste. Par cette loi, les assurés agriculteurs se voient offrir une liberté supplémentaire par rapport aux salariés : celle du choix de leur gestionnaire.
Naturellement, quel que soit ce gestionnaire, la puissance publique conserve son rôle d’encadrement en fixant pour tous les mêmes règles de paiement des cotisations et de remboursement des prestations.
La possibilité qui est offerte tous les deux ans aux agriculteurs de changer de gestionnaire leur donne désormais un pouvoir de sanction sur la gestion. L’assuré exploitant agricole devient ainsi sujet, et non plus objet de l’assurance maladie.
Un cahier des charges du » service public »
Dans son cadre, la loi du 25 janvier 1961 prévoit une habilitation des organismes candidats à la gestion de ce nouveau régime. C’est le ministère de l’Agriculture, responsable de la tutelle de l’AMEXA, qui en a la charge.
Il est également prévu que les coûts de gestion sont couverts par des dotations forfaitaires fixées réglementairement chaque année. Les postulants doivent pour cela isoler comptablement ces coûts des autres activités qu’ils exercent.
En corollaire à leur habilitation, les organismes gestionnaires doivent s’engager à respecter scrupuleusement un cahier des charges. Par ce dernier, ils acceptent de se soumettre à tous les contrôles – techniques, comptables, financiers – que la tutelle juge bon d’exercer.
Les entreprises d’assurances, nombreuses à solliciter cette habilitation, sont également conscientes des règles du jeu exigeantes que cette mission de » service public » leur impose en tout point du territoire. Les structures trop petites ne peuvent alors, ne serait-ce que pour assurer un bon service de proximité, déployer les moyens nécessaires.
C’est pourquoi cent quatre sociétés habilitées à l’époque décident de se regrouper et de confier la gestion de leurs assurés à un organisme unique : le GAMEX (Groupement des assureurs maladie des exploitants agricoles) constitué sous la forme d’une association d’assureurs régie par la loi du 1er juillet 1901.
Le pluralisme fait des adeptes
Cinq ans après, en 1966, c’est la même solution qui prévaut pour l’assurance maladie obligatoire des artisans, des commerçants et les professionnels libéraux.
Au moment du démarrage effectif du régime, certaines sociétés d’assurances choisissent, comme elles l’avaient fait pour les agriculteurs, de se constituer en groupement collectif.
Le législateur a pour cela tenu compte de l’exemple de l’AMEXA qui a reçu un bon accueil de la part des assurés sociaux et s’est mise en place très rapidement.
Cette fois, seules deux catégories d’organismes d’assurances sont candidates à la gestion du nouveau régime maladie : des sociétés mutualistes et des sociétés d’assurances.
Les artisans, les commerçants et les professionnels libéraux se voient dès lors reconnaître le même droit que les agriculteurs : celui de pouvoir choisir librement leur organisme gestionnaire, préalablement habilité cela s’entend, et toujours soumis à des règles et un cahier des charges précis.
Les non-salariés non agricoles ont ainsi accès pour la gestion de leur assurance maladie à la RAM (Réunion des assureurs maladie), organisme lui aussi constitué sous la forme juridique d’une association.
Toute la force du pluralisme
Le pluralisme, dans le respect d’un cahier des charges de » service public « , offre aux assurés non seulement la sécurité, mais aussi la liberté du choix. Ces aspects sont porteurs d’un inestimable moteur : celui de l’émulation entre les organismes, au profit de la qualité du service aux clients. Point n’est d’ailleurs besoin de rappeler l’objectif de qualité au personnel de ces organismes : il sait pertinemment qu’en dénonçant son affiliation l’assuré met aussi en cause la qualité de son travail.
En 2001, le GAMEX célébrera son 40e anniversaire, et la RAM son 32e. Le vécu riche de ces structures, présentes sur l’ensemble du territoire national et gérant plus de 770 000 familles, fournit d’intéressants témoignages sur le principe du pluralisme gestionnaire. Il permet d’esquisser quelques lignes de comparaison face à l’idée initiale de monopole.
Ce n’est donc pas un concours de circonstances si l’on ne constate pas de retards graves ou endémiques dans la gestion des régimes du GAMEX et de la RAM. Ce n’est pas non plus le fait du hasard si ces organismes ont été les premiers à mettre en place des centres d’accueil téléphonique ouverts 7 jours sur 7. C’est bien la créativité, le recours à des techniques modernes et une très bonne motivation du personnel qui permettent d’apporter aux assurés sociaux un service apprécié pour sa qualité.
Quand les qualités du privé s’allient à celles du public !
Dans ces systèmes pluralistes, le dynamisme du secteur privé, ses capacités à se doter de bons outils et à réagir rapidement peuvent apporter de précieuses contributions au » service public » : il suffit ainsi, par exemple, de quelques semaines au GAMEX pour mettre en œuvre une décision informatique ou immobilière.
Les structures pluralistes, en constante compétition entre elles, recherchent en permanence l’amélioration de leurs services. Elles font ainsi régner un climat d’émulation au sein de leur structure. Cette concurrence représente un formidable moteur d’évolution pour la collectivité nationale car au final, c’est bien l’assuré social » consommateur » qui retrouve voix au chapitre.
Si le pluralisme de gestion est bien créateur de valeur pour ses assurés, il l’est aussi pour la collectivité nationale. Un organisme gérant le régime AMEXA ou AMPI et ne respectant pas le cahier des charges peut être déconventionné sans interrompre pour autant le » service public » auquel tous les assurés ont droit. Ces derniers sont alors simplement invités à faire le choix d’un autre organisme. Une situation inimaginable dans un contexte de monopole de droit.
Enfin, le pluralisme même de ces systèmes apporte également à la tutelle de véritables repères comparatifs sur lesquels elle peut s’appuyer en matière de contrôle. En charge de veiller au bon fonctionnement du » service public « , au bon emploi des fonds qui lui sont affectés et au respect de ses objectifs, elle dispose, grâce à ces critères fondés sur l’existant, d’une meilleure visibilité. On voit bien à travers cet exemple la latitude offerte à la tutelle dans un système pluraliste. D’autant que convaincre une structure de » service public » monopolistique que ses coûts sont excessifs ou que la qualité de son service n’est pas suffisante est une démarche difficile et de longue haleine. Une dose de secteur privé dans le » service public » peut servir d’aiguillon.
En d’autres termes, la tutelle est, à moyens égaux, plus efficace dans l’accomplissement de ses missions au sein d’un régime pluraliste que dans un régime structuré en monopole.
Le monde s’ouvre !
La CNAM, pour sa part, l’a compris en adoptant son Plan stratégique. Mais il est facile de mesurer tous les obstacles qui s’opposent à ses initiatives.
Depuis 1961, date de création du GAMEX, la valeur d’émulation du pluralisme a démontré de façon concluante sa capacité à faire bénéficier le » service public » du dynamisme du secteur privé.
La réforme de nos régimes d’assurance maladie ne doit donc sûrement pas aujourd’hui s’enfermer dans plus de monopole. Elle doit plutôt profiter de l’émulation du pluralisme. Notre pensée sociale française est, à cet égard, curieusement trop marquée par une vision centralisatrice et jacobine. Elle n’a pas vraiment pris en compte les potentiels d’amélioration qu’un pluralisme contrôlé peut apporter. Il suffit pourtant d’observer la façon dont fonctionnent le GAMEX et la RAM dans la gestion des régimes de l’AMEXA et de l’AMPI, pour en tirer de riches enseignements.
Quand on sait que tout franc de cotisation économisé par une gestion plus efficace peut être affecté à une meilleure couverture des risques, l’enjeu est capital.