L’atelier des sols vivants pour la préservation des sols
L’Atelier des sols vivants est une initiative privée rassemblant association et entreprises pour fournir à un large public une initiation aux questions de préservation des sols. Sa présentation est l’occasion de donner des exemples vertueux de préservation des sols.
L’Atelier des sols vivants démarre toujours par la même question : quand vous pensez au(x) sol(s), quelle est la première chose que cela vous évoque ? Des réponses reviennent souvent : agriculture, plantes, terre, vers de terre… Mais un mot, en particulier, fait souvent apparition lors de ces partages : la vie. Les sols, c’est la vie. Ils sont au cœur et au croisement d’une grande partie des questions environnementales (et donc sociétales) d’aujourd’hui : climat et carbone, pollution, biodiversité et, surtout, ressource en eau, alimentation et agriculture.
Les questions fondamentales
D’ailleurs, si l’on prend le sujet des sols par le prisme des neuf limites planétaires (seuils établis en 2009 par une équipe de scientifiques, au-delà desquels les conditions d’habitabilité de la planète sont menacées de manière irréversible), il est rapidement évident qu’elles sont déterminantes pour plus de la moitié d’entre elles : biodiversité, climat, cycle de l’azote et du phosphore, eau, usage des sols. Au cœur de toutes ces problématiques, les sols sont des alliés précieux et menacés.
Qu’est-ce qui fait du sol ce réservoir de vie si précieux ? Sait-on vraiment ce qu’il se passe sous nos pieds ? Réalise-t-on véritablement l’importance de ces écosystèmes souterrains, invisibles ? C’est pour éclairer le plus grand nombre sur ces questions qu’est né l’Atelier des sols vivants en 2022. En deux heures et à l’aide de trente cartes, cet atelier ludique, reposant sur l’intelligence collective des participants facilitée par un animateur, vise à diffuser les connaissances essentielles sur le fonctionnement des sols et les sujets liés à leur préservation.
Plusieurs contributeurs, un seul objectif
L’histoire de l’Atelier des sols vivants commence par une rencontre entre l’association Ludi Soli, l’entreprise à impact Sparknews et le groupe Moët Hennessy.
En 2021, Morgane Van Dam et Corentin Bisot, jeunes ingénieurs agronomes aux Pays-Bas, créent Ludi Soli, un jeu pédagogique sur le système sol inspiré de la Fresque du climat.
En 2022 Moët Hennessy, entreprise engagée pour la préservation des sols vivants, annonce l’organisation du World Living Soils Forum les 1er et 2 juin 2022, événement international visant à rassembler experts, chercheurs, professionnels, collaborateurs et étudiants autour des questions liées aux sols vivants.
En septembre 2021, Sparknews proposa l’idée d’un atelier des sols vivants à Moët Hennessy, dans le cadre de leur projet de plaidoirie. Puis, découvrant leurs projets respectifs et leurs objectifs partagés, Sparknews et Ludi Soli se rencontrèrent en janvier 2022 avec l’intention d’unir leurs forces dans un intérêt commun – celui de mettre en lumière les connaissances fondamentales sur les sols et les problématiques qui leur sont liées. Les deux organisations firent alors le choix de fusionner leurs projets afin de déployer un seul et même outil à l’échelle nationale et internationale.
Une diffusion à grande échelle
Un peu plus d’un an plus tard, ce sont près de mille personnes sensibilisées par l’Atelier des sols vivants et ses animateurs, dont le nombre grandit et atteint plus de quatre-vingts personnes aujourd’hui. En effet, sur le même fonctionnement que la Fresque du climat, l’outil a vocation à être autoportant pour toucher un public aussi large que possible : une fois que l’on a participé à un atelier, on peut se former à l’animation pour participer de manière bénévole à sa diffusion. Ainsi, l’Atelier des sols vivants a été mis en lumière en 2023 sur de grands événements tels que ChangeNow, l’Université de la terre, le Salon international de l’agriculture, Talents for the Planet, Forum Low Carbon, au village des fresques de l’Académie du climat… suscitant certes l’intérêt du grand public, mais interpellant également les entreprises.
Pourquoi les entreprises ?
Parce que les sols sont une porte d’entrée concrète, faisant le lien avec les questions climat et biodiversité, mais surtout avec l’alimentation et l’approvisionnement. De ce fait, de nombreux secteurs – agroalimentaire, vins et spiritueux, cosmétique et mode, luxe, banques et fonds d’investissement – placent désormais leur préservation au cœur de leur stratégie de développement durable.
En déployant l’Atelier des sols vivants au sein de leur organisation, de grands groupes comme Moët Hennessy (800 collaborateurs), Pernod Ricard et bientôt L’Oréal, Crédit Agricole… dépassent le seul prisme climat et provoquent une prise de conscience collective de nos interdépendances avec le vivant, afin d’accélérer les actions en faveur de sa préservation.
Ils se sont également rendu compte que l’Atelier des sols vivants pouvait être un formidable outil d’acculturation des collaborateurs, car il permet une compréhension partagée des enjeux, préalable au lancement d’initiatives constructives et transversales. C’est également une manière de rendre tangible la double contrainte à laquelle les entreprises sont souvent confrontées : dépendre des sols tout en étant le moteur de leur dégradation par leurs activités.
Apprendre, comprendre et agir
Diffuser un atelier est une chose. Mais reste encore à s’assurer que, chez les personnes touchées, il provoque un réel déclic. Pour cela, trois parties se suivent et s’articulent et dotent les participants d’une vision d’ensemble des enjeux, tout en leur donnant envie de passer à l’action.
Dans un premier temps, ils sont guidées dans la découverte du sol et de ses acteurs : carte par carte, tout en couleurs et en illustrations à l’aquarelle, on identifie les éléments clés d’un sol vivant – l’eau, les animaux sur et dans le sol, les champignons et les bactéries, les sels minéraux…
On explore ensuite les interactions, complexes mais essentielles, qui lient entre eux ces éléments vivants et non vivants. On apprend que, dans un sol, la circularité est de mise : la matière organique nourrie des végétaux et animaux morts constitue un garde-manger pour les organismes qui s’en nourrissent, la décomposent pour créer des nutriments à leur tour essentiels à la vie – rien ne se perd, tout se récupère et la vie du sol s’autoalimente dans un cycle infini ! On apprend aussi que 80 % des plantes sont en symbiose avec les racines des champignons – le mycélium – et qu’ils se rendent mutuellement service dans leur croissance.
Avoir un sol en bonne santé
Ainsi est la vie d’un sol en bonne santé, un sol qui fournit à l’humanité des services vitaux : production de biomasse pour notre alimentation, stockage du carbone, régulation du cycle de l’eau, réservoir de biodiversité. Mais les sols en bonne santé ne sont plus monnaie courante, puisque les pratiques humaines les affectent. En particulier, cet atelier est l’occasion de se pencher sur l’impact des pratiques agricoles intensives que nous avons mises en place : c’est l’objet de la deuxième partie. Il s’agit d’abord de poser le contexte, de comprendre les grandes lignes du développement du système agricole actuel et d’en décrypter les pratiques : mécanisation, irrigation, usage d’engrais et de pesticides…
Ces pratiques sont analysées sous le prisme des bienfaits qu’elles ont pu apporter dans un contexte de recherche de rendement et de productivité. Puis leurs impacts négatifs sur les sols sont décryptés : les participants tracent des flèches pour relier le changement d’usage des sols à la perte de biodiversité, l’épandage des engrais à l’épuisement des ressources minières et à aux émissions de gaz à effet de serre… Pour acquérir in fine une compréhension pertinente des dégradations physiques, chimiques et biologiques desquelles sont victimes 40 % de nos sols aujourd’hui à l’échelle mondiale.
Imaginer des solutions
Enfin, une troisième partie est consacrée aux solutions : comment mettre en place une gestion plus durable de ces précieux écosystèmes ? Comment s’assurer de conserver des sols fertiles à même de nous nourrir, tout en préservant leur capacité à abriter la vie et à stocker du carbone ? Dans ce long chemin, de multiples acteurs ont leur rôle à jouer : les agriculteurs, évidemment. Mais aussi les politiques, les entreprises, et nous tous, les citoyens et consommateurs. En prenant les rôles de chacun de ces acteurs de la société, les participants réfléchissent aux contraintes et aux occasions qu’a chacun d’entre eux pour contribuer à une transition agro-écologique respectueuse des sols. Tout en prenant conscience des interdépendances entre les sphères et du besoin de reconnecter l’agriculture aux sphères citoyennes, politiques et privées.
Inventer de nouveaux modèles agricoles
Mais un atelier de sensibilisation ne suffit pas à faire avancer un sujet aussi important. Plus largement, quelles sont les solutions que nous voudrions voir émerger ? Quelle transformation de l’agriculture pour un modèle respectueux de la ressource sol ? Quelques initiatives sont particulièrement inspirantes et promeuvent de nouveaux modèles désirables.
Prenons l’exemple de Native, cette entreprise brésilienne qui à ce jour semble être l’un des exemples les plus aboutis d’un changement de pratiques réussi. Plus grand producteur mondial de canne à sucre et d’éthanol bio, l’entreprise a réalisé un changement de modèle de production en l’espace de vingt ans, entre les années 1980 et 2000. Abandon des intrants chimiques et de la technique du brûlis, expérimentation de pratiques agricoles régénératrices et de conservation des sols… Le résultat ne se fait pas attendre : une biodiversité restaurée et désormais florissante dans l’ensemble des dizaines de milliers d’hectares de culture, qui accueillent aujourd’hui une multitude d’animaux sauvages.
Accompagner les producteurs
Pour que les agriculteurs puissent changer leurs pratiques, ils doivent être accompagnés, aidés, et ils doivent avoir la garantie que les débouchés seront à la hauteur de leurs investissements (en argent et en temps). Tout au long des trois difficiles années de la conversion, la marque PourDemain accompagne les agriculteurs et leur assure un revenu juste – les prix des produits sont fixés en accord avec les producteurs afin de prendre en compte les surcoûts de la conversion. Une alliance vertueuse entre producteurs, marque revendeuse et consommateurs prêts à payer le prix juste pour permettre une transformation des pratiques agricoles !
“Ne plus seulement aborder les sujets environnementaux par le prisme de la décarbonation.”
Le rôle des pouvoirs publics
Et quel rôle pour le secteur public ? Depuis 2019, la métropole de Marseille s’engage pour l’agriculture urbaine, avec un plan d’action de 2,1 millions d’euros pour soutenir l’installation de cent projets publics et privés. Intégrer l’agriculture au développement urbain a de multiples avantages pour une collectivité : accès à une alimentation saine et locale, création d’îlots de fraîcheur dans un contexte de canicules exacerbées par le dérèglement climatique, création de lien social et amélioration du cadre de vie des habitants. Soutien technique, financier, régulation de la tarification de l’eau… le développement de la résilience alimentaire au niveau local ne peut se faire sans le soutien des pouvoirs publics. La dynamique a déjà donné lieu à plus de 40 hectares de terre mis ou remis en culture sur le territoire de Marseille et plus de 20 exploitations agricoles professionnelles installées ou financées.
Que cent fleurs s’épanouissent !
Régénération des sols et de la biodiversité, conversion à des pratiques plus vertueuses (bio, local, de saison), accès à une alimentation saine, autonomie alimentaire des territoires… Autant de solutions promues et proposées à l’issue de l’Atelier des sols vivants d’ores et déjà prises à bras-le-corps par agriculteurs, entreprises et collectivités. Mais ces solutions ne sont que des exemples, et partout fleurissent des projets permettant aux paysans de se réapproprier la terre hors du joug des géants agroalimentaires (Terre de Liens, Renouveau paysan), encourageant l’apport de matière organique pour enrichir les sols en carbone (4 pour 1 000), ou encore démontrant qu’il est possible de produire, à petite échelle, en harmonie avec l’ensemble du vivant sur un territoire donné (la ferme du Grand Laval, la ferme du Bec-Hellouin…).
Face à l’urgence… l’éducation
Aujourd’hui, ce sont 40 % des sols qui sont modérément à sévèrement dégradés à l’échelle mondiale (UNCCD, United States Convention to Combat Desertification). Il est grand temps de réaliser les menaces que nous faisons peser sur ces écosystèmes, compromettant nos conditions de survie en appauvrissant leur fertilité. Il est grand temps de faire un pas de côté et de ne plus seulement aborder les sujets environnementaux par le prisme de la décarbonation. Nous devons réaliser les interdépendances qui nous lient au vivant et ouvrir une discussion pour mieux protéger ce qui vit sous nos pieds. Pour cela, l’Atelier des sols vivants est un outil, une porte d’entrée, un premier pas pour ouvrir les consciences et la discussion. Vous aussi, venez plonger sous le sol :