« Au Cerema, nous avons le changement climatique optimiste »
De par son statut et son périmètre d’action, le Cerema est au cœur des transitions qui impactent les collectivités locales et redessinent les territoires. À la tête du Cerema depuis 2018, Pascal Berteaud (X83) nous explique comment cet établissement public accompagne ses parties prenantes dans la prise en compte et l’adaptation aux enjeux environnementaux et climatiques.
Vous êtes aujourd’hui directeur général du Cerema. Dites-nous-en plus sur votre parcours.
J’ai été nommé directeur général du Cerema, le Centre d’Études et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement en mai 2018. Avant de prendre cette fonction, j’occupais le poste de coordonnateur national des contrats de Transition écologique au ministère de la Transition écologique et solidaire depuis octobre 2017.
J’ai une longue expérience dans le secteur public, ayant occupé plusieurs postes de direction. J’ai notamment été directeur général de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) de 2012 à 2014 et directeur adjoint du cabinet de la ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement de 2010 à 2012. De 2008 à 2010, j’ai dirigé l’EPAMARNE et l’EPAFRANCE, établissements publics en charge de l’aménagement de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Avant cela, de 2002 à 2008, j’étais directeur de l’eau au ministère de l’Écologie et du Développement durable, et directeur du service public du BRGM de 1997 à 2002.
J’ai également servi en tant que président du conseil d’administration de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques entre 2007 et 2008. J’ai été administrateur d’AgroParisTech de 2013 à 2016, ainsi qu’administrateur de Météo-France et de plusieurs autres institutions entre 2003 et 2008. Je suis depuis juin 2018 président de l’Office International de l’eau (OIEau).
Enfin, diplômé de l’École polytechnique et ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, je suis également décoré en tant que chevalier de la légion d’honneur et de l’ordre national du mérite, reconnaissances qui attestent de mon engagement et de ma contribution au service public français.
À la tête du Cerema, quelle est votre feuille de route ?
Le Cerema est un établissement public créé le 1er janvier 2014 pour apporter son expertise et ses conseils aux pouvoirs publics, aux collectivités territoriales et aux acteurs économiques pour adapter les territoires au changement climatique. Son expertise repose sur 2 500 collaborateurs, experts, ingénieurs, chercheurs compétents dans 6 domaines d’activité : mobilités, infrastructures de transport, environnement et risques naturels, mer et littoral, bâtiments et l’expertise pour l’aménagement territorial.
Aujourd’hui, ma mission est de poursuivre le développement de Cerema en renforçant son efficacité et en adaptant sa stratégie et son organisation aux besoins des territoires dans leur diversité, en coordination avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
Cette consolidation passe par le renforcement de ses capacités de recherche et d’innovation, de son ancrage territorial, ainsi que par une évolution de son statut pour favoriser les liens avec les collectivités territoriales, tout en continuant à travailler pour les services de l’État.
L’essentiel des domaines d’activité que couvre le Cerema a en effet été confié aux collectivités et à leurs groupements dans le cadre de la décentralisation. Le Cerema a ainsi ouvert sa gouvernance à ces dernières en mai 2023. Un an après, plus de 900 d’entre elles ont adhéré au Cerema pour penser et agir ensemble, ce qui fait du Cerema un véritable lieu de dialogue technique entre l’État et les collectivités.
L’environnement et les territoires sont un fil directeur de votre carrière. Comment la prise en compte de ces sujets a‑t-elle évolué au cours des trois dernières décennies ?
La prise en compte de l’environnement et des territoires dans les politiques et pratiques économiques a évolué de manière significative au cours des trois dernières décennies, principalement en raison de la prise de conscience accrue des enjeux environnementaux, des risques climatiques et de la nécessité d’une croissance durable.
Nous entamons aujourd’hui un nouveau virage, une nouvelle prise de conscience. À ces enjeux environnementaux et de décarbonation, vient en effet s’ajouter le besoin impératif d’anticiper le climat de demain qui sera différent du climat des dernières décennies. Au-delà des rapports du GIEC, la fréquence et l’intensité des phénomènes naturels ont rendu perceptibles de tous les effets du changement climatique et la nécessaire adaptation du territoire.
L’adaptation signifie de penser autrement les différentes composantes de l’aménagement du territoire : l’expertise du Cerema est justement mise à disposition de l’État, des collectivités et des entreprises pour agir.
Dans ce contexte marqué par le réchauffement climatique et des transitions majeures, quels sont les enjeux et les sujets qui mobilisent votre établissement ?
Le Cerema est mobilisé autour de tous les enjeux de l’adaptation des territoires au changement climatique. D’abord, de nouvelle manière de penser et d’entretenir notre patrimoine d’infrastructures de transport. Soumis à des risques naturels croissants (inondations, mouvements de terrain, retrait gonflement des argiles, chaleur extrême, cycle gel-dégel différent, etc.), notre patrimoine de plus d’1 million de kilomètres de routes et près de 30 000 kilomètres de voies ferrées doit être repensé dans son entretien, ses méthodes d’exploitation, voire dans son implantation. Référentiels techniques, nouvelles méthodes, analyse de résilience, intégration de nouveaux paramètres climatiques lors de l’investissement annuel d’entretien, tout doit être repensé pour in fine adapter l’ensemble du réseau. Si cela représente un coût colossal, ce travail peut être néanmoins être mené au fil des années. L’adaptation est possible si nous nous y mettons tous ensemble, maintenant !
Ensuite, l’adaptation des zones urbaines est essentielle : desimperméabilisation, renaturation, gestion de l’eau, etc. Toute chaîne de l’aménagement doit là encore évoluer. Le Cerema produit, par exemple, un outil adaptable à chaque territoire pour conseiller les essences d’arbres à planter, en fonction des services écosystémiques rendus (Sesame).
« Le Cerema produit un outil adaptable à chaque territoire pour conseiller les essences d’arbres à planter, en fonction des services écosystémiques rendus (Sesame). »
Autre enjeu majeur, l’évolution progressive du trait de côte et son accélération potentielle avec la hausse progressive du niveau de la mer. Le Cerema produit l’indicateur national de ce phénomène : 20 % de nos côtes, départements et régions d’Outre-mer compris, sont en recul soit environ 900 kilomètres. Nous avons produit des scénarios prospectifs à 2050 et 2100 et nous aidons les collectivités des littorales à produire des cartes à échelle fine pour penser une stratégie d’adaptation à intégrer aux politiques d’urbanisme, aux projets d’aménagement voire aux infrastructures de transport et activités économiques présentes sur les côtes.
Le littoral, comme la montagne sont parmi les territoires les plus vulnérables aux effets du changement climatique et face aux risques naturels, auxquels tous les territoires seront confrontés mais qui se traduiront de manière différente selon les territoires.
Le Cerema agit aussi en synergie avec les entreprises. Son Institut Carnot Clim’adapt, seul institut de recherche partenarial avec les entreprises, est ainsi entièrement consacré aux solutions d’adaptation des territoires face au changement climatique.
Dans cette démarche, quels sont les freins qui persistent ?
Au Cerema, nous avons le changement climatique optimiste et déterminé. L’enjeu consiste, en effet, à porter un discours qui ne soit ni catastrophiste, ni résigné. Il s’agit aussi de s’y mettre dès à présent pour adapter son territoire au climat de demain et assurer un cadre de vie sécurisé à ses habitants.
La montée en compétence des élus, des agents territoriaux et des services de l’État est essentielle pour bien appréhender ces enjeux. Nous privilégions ainsi la voie de l’expérimentation avec des territoires volontaires, afin de faire émerger des approches, des méthodologies, des solutions concrètes et opérationnelles, qui sont ensuite capitalisées et diffusées afin que chaque territoire puisse s’en emparer.
Comment l’IA impacte-t-elle vos missions ?
L’IA générative a un impact grandissant sur nos métiers d’ingénieurs, l’innovation et plus largement sur la productivité de nos organisations. Le Cerema considère l’IA comme une opportunité d’innovation dans certains de nos domaines d’expertise comme la mobilité : traitement de données pour analyse et modélisation, optimisation des transports en commun, transformation de l’expérience usager… Il en est de même dans des domaines comme les risques naturels, avec une automatisation de la prédiction ou encore la surveillance des infrastructures de transport.
L’ingénieur n’a pas vocation à disparaître mais certaines tâches disparaîtront et donneront plus de temps à des missions à forte plus-value. Au quotidien, l’IA peut, en effet, apporter un gain de productivité essentielle sur des tâches telles que la production de synthèse pour décideurs, l’automatisation des bibliographies grâce à une IA entraînée sur des bases de données fiables… Nous testons, d’ailleurs, avec l’ADEME une IA entraînée sur la base de notre fond documentaire.
Le Cerema explore, en parallèle, diverses pistes dont la reconnaissance de pathologie d’ouvrage d’art par reconnaissance sur photographie à l’aide d’IA ; la génération de documents de diagnostic déchets et économie circulaire issus des travaux publics ; ainsi que des nouveaux services intégrant l’IA au sein de la plateforme de données de trafic AVATAR qui détecte et filtre les valeurs erronées puis reconstitue les valeurs manquantes.
En quoi le rôle des ingénieurs est-il clé pour réussir l’ensemble de ces transitions ?
Les ingénieurs permettent de réaliser le lien entre la science climatique et l’action pour adapter nos territoires. Ils pensent ainsi les évolutions nécessaires et développent des solutions innovantes. Enfin, ils sont aussi au cœur du pilotage de projets de plus en plus complexes par la multiplicité des acteurs, des enjeux croisés environnementaux, économiques, sociétaux…
Quelles perspectives de carrière un établissement comme le vôtre peut offrir à ces profils ?
Au-delà de la diversité des métiers et des missions, qui permet à de jeunes ingénieurs de se spécialiser dans un domaine technique et scientifique, d’élargir leurs compétences ou d’investir un autre champ, ils travailleront en forte complémentarité avec les acteurs qui agissent dans tous les domaines de la transition écologique : services de l’État, collectivités, acteurs européens et internationaux, universités ou entreprises…
Le Cerema développe ainsi une logique de réseau au sein duquel ils sauront se faire un carnet d’adresses utiles pour l’ensemble de leur carrière et de leurs missions.
Enfin, nous proposons des emplois qui font sens, porteurs de valeurs fortes, et qui appellent un engagement pour l’avenir : l’adaptation des territoires qu’implique la transition écologique devient chaque jour de plus en plus urgente et figurent désormais au premier plan de l’agenda gouvernemental.