« Au Cerema, nous avons le changement climatique optimiste »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°797 Septembre 2024
Par Pascal BERTEAUD (X83)

De par son sta­tut et son péri­mètre d’action, le Cere­ma est au cœur des tran­si­tions qui impactent les col­lec­ti­vi­tés locales et redes­sinent les ter­ri­toires. À la tête du Cere­ma depuis 2018, Pas­cal Ber­teaud (X83) nous explique com­ment cet éta­blis­se­ment public accom­pagne ses par­ties pre­nantes dans la prise en compte et l’adaptation aux enjeux envi­ron­ne­men­taux et climatiques.


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Vous êtes aujourd’hui directeur général du Cerema. Dites-nous-en plus sur votre parcours.

J’ai été nom­mé direc­teur géné­ral du Cere­ma, le Centre d’Études et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobi­li­té et l’Aménagement en mai 2018. Avant de prendre cette fonc­tion, j’occupais le poste de coor­don­na­teur natio­nal des contrats de Tran­si­tion éco­lo­gique au minis­tère de la Tran­si­tion éco­lo­gique et soli­daire depuis octobre 2017.

J’ai une longue expé­rience dans le sec­teur public, ayant occu­pé plu­sieurs postes de direc­tion. J’ai notam­ment été direc­teur géné­ral de l’Institut natio­nal de l’information géo­gra­phique et fores­tière (IGN) de 2012 à 2014 et direc­teur adjoint du cabi­net de la ministre de l’Écologie, du Déve­lop­pe­ment durable, des Trans­ports et du Loge­ment de 2010 à 2012. De 2008 à 2010, j’ai diri­gé l’EPAMARNE et l’EPAFRANCE, éta­blis­se­ments publics en charge de l’aménagement de la ville nou­velle de Marne-la-Val­lée. Avant cela, de 2002 à 2008, j’étais direc­teur de l’eau au minis­tère de l’Écologie et du Déve­lop­pe­ment durable, et direc­teur du ser­vice public du BRGM de 1997 à 2002.

J’ai éga­le­ment ser­vi en tant que pré­sident du conseil d’administration de l’Office natio­nal de l’eau et des milieux aqua­tiques entre 2007 et 2008. J’ai été admi­nis­tra­teur d’AgroParisTech de 2013 à 2016, ain­si qu’administrateur de Météo-France et de plu­sieurs autres ins­ti­tu­tions entre 2003 et 2008. Je suis depuis juin 2018 pré­sident de l’Office Inter­na­tio­nal de l’eau (OIEau).

Enfin, diplô­mé de l’École poly­tech­nique et ingé­nieur géné­ral des ponts, des eaux et des forêts, je suis éga­le­ment déco­ré en tant que che­va­lier de la légion d’honneur et de l’ordre natio­nal du mérite, recon­nais­sances qui attestent de mon enga­ge­ment et de ma contri­bu­tion au ser­vice public français.

À la tête du Cerema, quelle est votre feuille de route ? 

Le Cere­ma est un éta­blis­se­ment public créé le 1er jan­vier 2014 pour appor­ter son exper­tise et ses conseils aux pou­voirs publics, aux col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales et aux acteurs éco­no­miques pour adap­ter les ter­ri­toires au chan­ge­ment cli­ma­tique. Son exper­tise repose sur 2 500 col­la­bo­ra­teurs, experts, ingé­nieurs, cher­cheurs com­pé­tents dans 6 domaines d’activité : mobi­li­tés, infra­struc­tures de trans­port, envi­ron­ne­ment et risques natu­rels, mer et lit­to­ral, bâti­ments et l’expertise pour l’aménagement territorial.

Aujourd’hui, ma mis­sion est de pour­suivre le déve­lop­pe­ment de Cere­ma en ren­for­çant son effi­ca­ci­té et en adap­tant sa stra­té­gie et son orga­ni­sa­tion aux besoins des ter­ri­toires dans leur diver­si­té, en coor­di­na­tion avec l’Agence natio­nale de la cohé­sion des territoires.

Cette conso­li­da­tion passe par le ren­for­ce­ment de ses capa­ci­tés de recherche et d’innovation, de son ancrage ter­ri­to­rial, ain­si que par une évo­lu­tion de son sta­tut pour favo­ri­ser les liens avec les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales, tout en conti­nuant à tra­vailler pour les ser­vices de l’État.

L’essentiel des domaines d’activité que couvre le Cere­ma a en effet été confié aux col­lec­ti­vi­tés et à leurs grou­pe­ments dans le cadre de la décen­tra­li­sa­tion. Le Cere­ma a ain­si ouvert sa gou­ver­nance à ces der­nières en mai 2023. Un an après, plus de 900 d’entre elles ont adhé­ré au Cere­ma pour pen­ser et agir ensemble, ce qui fait du Cere­ma un véri­table lieu de dia­logue tech­nique entre l’État et les collectivités.

L’environnement et les territoires sont un fil directeur de votre carrière. Comment la prise en compte de ces sujets a‑t-elle évolué au cours des trois dernières décennies ?

La prise en compte de l’environnement et des ter­ri­toires dans les poli­tiques et pra­tiques éco­no­miques a évo­lué de manière signi­fi­ca­tive au cours des trois der­nières décen­nies, prin­ci­pa­le­ment en rai­son de la prise de conscience accrue des enjeux envi­ron­ne­men­taux, des risques cli­ma­tiques et de la néces­si­té d’une crois­sance durable.

Nous enta­mons aujourd’hui un nou­veau virage, une nou­velle prise de conscience. À ces enjeux envi­ron­ne­men­taux et de décar­bo­na­tion, vient en effet s’ajouter le besoin impé­ra­tif d’anticiper le cli­mat de demain qui sera dif­fé­rent du cli­mat des der­nières décen­nies. Au-delà des rap­ports du GIEC, la fré­quence et l’intensité des phé­no­mènes natu­rels ont ren­du per­cep­tibles de tous les effets du chan­ge­ment cli­ma­tique et la néces­saire adap­ta­tion du territoire.

L’adaptation signi­fie de pen­ser autre­ment les dif­fé­rentes com­po­santes de l’aménagement du ter­ri­toire : l’expertise du Cere­ma est jus­te­ment mise à dis­po­si­tion de l’État, des col­lec­ti­vi­tés et des entre­prises pour agir.

Dans ce contexte marqué par le réchauffement climatique et des transitions majeures, quels sont les enjeux et les sujets qui mobilisent votre établissement ?

Le Cere­ma est mobi­li­sé autour de tous les enjeux de l’adaptation des ter­ri­toires au chan­ge­ment cli­ma­tique. D’abord, de nou­velle manière de pen­ser et d’entretenir notre patri­moine d’infrastructures de trans­port. Sou­mis à des risques natu­rels crois­sants (inon­da­tions, mou­ve­ments de ter­rain, retrait gon­fle­ment des argiles, cha­leur extrême, cycle gel-dégel dif­fé­rent, etc.), notre patri­moine de plus d’1 mil­lion de kilo­mètres de routes et près de 30 000 kilo­mètres de voies fer­rées doit être repen­sé dans son entre­tien, ses méthodes d’exploitation, voire dans son implan­ta­tion. Réfé­ren­tiels tech­niques, nou­velles méthodes, ana­lyse de rési­lience, inté­gra­tion de nou­veaux para­mètres cli­ma­tiques lors de l’investissement annuel d’entretien, tout doit être repen­sé pour in fine adap­ter l’ensemble du réseau. Si cela repré­sente un coût colos­sal, ce tra­vail peut être néan­moins être mené au fil des années. L’adaptation est pos­sible si nous nous y met­tons tous ensemble, maintenant !

Ensuite, l’adaptation des zones urbaines est essen­tielle : desim­per­méa­bi­li­sa­tion, rena­tu­ra­tion, ges­tion de l’eau, etc. Toute chaîne de l’aménagement doit là encore évo­luer. Le Cere­ma pro­duit, par exemple, un outil adap­table à chaque ter­ri­toire pour conseiller les essences d’arbres à plan­ter, en fonc­tion des ser­vices éco­sys­té­miques ren­dus (Sesame).

« Le Cerema produit un outil adaptable à chaque territoire pour conseiller les essences d’arbres à planter, en fonction des services écosystémiques rendus (Sesame). »

Autre enjeu majeur, l’évolution pro­gres­sive du trait de côte et son accé­lé­ra­tion poten­tielle avec la hausse pro­gres­sive du niveau de la mer. Le Cere­ma pro­duit l’indicateur natio­nal de ce phé­no­mène : 20 % de nos côtes, dépar­te­ments et régions d’Outre-mer com­pris, sont en recul soit envi­ron 900 kilo­mètres. Nous avons pro­duit des scé­na­rios pros­pec­tifs à 2050 et 2100 et nous aidons les col­lec­ti­vi­tés des lit­to­rales à pro­duire des cartes à échelle fine pour pen­ser une stra­té­gie d’adaptation à inté­grer aux poli­tiques d’urbanisme, aux pro­jets d’aménagement voire aux infra­struc­tures de trans­port et acti­vi­tés éco­no­miques pré­sentes sur les côtes.

Le lit­to­ral, comme la mon­tagne sont par­mi les ter­ri­toires les plus vul­né­rables aux effets du chan­ge­ment cli­ma­tique et face aux risques natu­rels, aux­quels tous les ter­ri­toires seront confron­tés mais qui se tra­dui­ront de manière dif­fé­rente selon les territoires.

Le Cere­ma agit aus­si en syner­gie avec les entre­prises. Son Ins­ti­tut Car­not Clim’adapt, seul ins­ti­tut de recherche par­te­na­rial avec les entre­prises, est ain­si entiè­re­ment consa­cré aux solu­tions d’adaptation des ter­ri­toires face au chan­ge­ment climatique.

Dans cette démarche, quels sont les freins qui persistent ?

Au Cere­ma, nous avons le chan­ge­ment cli­ma­tique opti­miste et déter­mi­né. L’enjeu consiste, en effet, à por­ter un dis­cours qui ne soit ni catas­tro­phiste, ni rési­gné. Il s’agit aus­si de s’y mettre dès à pré­sent pour adap­ter son ter­ri­toire au cli­mat de demain et assu­rer un cadre de vie sécu­ri­sé à ses habitants.

La mon­tée en com­pé­tence des élus, des agents ter­ri­to­riaux et des ser­vices de l’État est essen­tielle pour bien appré­hen­der ces enjeux. Nous pri­vi­lé­gions ain­si la voie de l’expérimentation avec des ter­ri­toires volon­taires, afin de faire émer­ger des approches, des métho­do­lo­gies, des solu­tions concrètes et opé­ra­tion­nelles, qui sont ensuite capi­ta­li­sées et dif­fu­sées afin que chaque ter­ri­toire puisse s’en emparer.

Comment l’IA impacte-t-elle vos missions ? 

L’IA géné­ra­tive a un impact gran­dis­sant sur nos métiers d’ingénieurs, l’innovation et plus lar­ge­ment sur la pro­duc­ti­vi­té de nos orga­ni­sa­tions. Le Cere­ma consi­dère l’IA comme une oppor­tu­ni­té d’innovation dans cer­tains de nos domaines d’expertise comme la mobi­li­té : trai­te­ment de don­nées pour ana­lyse et modé­li­sa­tion, opti­mi­sa­tion des trans­ports en com­mun, trans­for­ma­tion de l’expérience usa­ger… Il en est de même dans des domaines comme les risques natu­rels, avec une auto­ma­ti­sa­tion de la pré­dic­tion ou encore la sur­veillance des infra­struc­tures de transport.

L’ingénieur n’a pas voca­tion à dis­pa­raître mais cer­taines tâches dis­pa­raî­tront et don­ne­ront plus de temps à des mis­sions à forte plus-value. Au quo­ti­dien, l’IA peut, en effet, appor­ter un gain de pro­duc­ti­vi­té essen­tielle sur des tâches telles que la pro­duc­tion de syn­thèse pour déci­deurs, l’automatisation des biblio­gra­phies grâce à une IA entraî­née sur des bases de don­nées fiables… Nous tes­tons, d’ailleurs, avec l’ADEME une IA entraî­née sur la base de notre fond documentaire.

Le Cere­ma explore, en paral­lèle, diverses pistes dont la recon­nais­sance de patho­lo­gie d’ouvrage d’art par recon­nais­sance sur pho­to­gra­phie à l’aide d’IA ; la géné­ra­tion de docu­ments de diag­nos­tic déchets et éco­no­mie cir­cu­laire issus des tra­vaux publics ; ain­si que des nou­veaux ser­vices inté­grant l’IA au sein de la pla­te­forme de don­nées de tra­fic AVATAR qui détecte et filtre les valeurs erro­nées puis recons­ti­tue les valeurs manquantes.

En quoi le rôle des ingénieurs est-il clé pour réussir l’ensemble de ces transitions ?

Les ingé­nieurs per­mettent de réa­li­ser le lien entre la science cli­ma­tique et l’action pour adap­ter nos ter­ri­toires. Ils pensent ain­si les évo­lu­tions néces­saires et déve­loppent des solu­tions inno­vantes. Enfin, ils sont aus­si au cœur du pilo­tage de pro­jets de plus en plus com­plexes par la mul­ti­pli­ci­té des acteurs, des enjeux croi­sés envi­ron­ne­men­taux, éco­no­miques, sociétaux…

Quelles perspectives de carrière un établissement comme le vôtre peut offrir à ces profils ?

Au-delà de la diver­si­té des métiers et des mis­sions, qui per­met à de jeunes ingé­nieurs de se spé­cia­li­ser dans un domaine tech­nique et scien­ti­fique, d’élargir leurs com­pé­tences ou d’investir un autre champ, ils tra­vaille­ront en forte com­plé­men­ta­ri­té avec les acteurs qui agissent dans tous les domaines de la tran­si­tion éco­lo­gique : ser­vices de l’État, col­lec­ti­vi­tés, acteurs euro­péens et inter­na­tio­naux, uni­ver­si­tés ou entreprises…

Le Cere­ma déve­loppe ain­si une logique de réseau au sein duquel ils sau­ront se faire un car­net d’adresses utiles pour l’ensemble de leur car­rière et de leurs missions.

Enfin, nous pro­po­sons des emplois qui font sens, por­teurs de valeurs fortes, et qui appellent un enga­ge­ment pour l’avenir : l’adaptation des ter­ri­toires qu’implique la tran­si­tion éco­lo­gique devient chaque jour de plus en plus urgente et figurent désor­mais au pre­mier plan de l’agenda gouvernemental.

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