Au nord du Médoc
Quand on entre dans le nord du Médoc en laissant derrière soi Pauillac et Saint-Estèphe, le paysage change de nature : on se retrouve vraiment dans une presqu’ île, entre fleuve et océan. L’immensité de l’estuaire de la Gironde, immensité presque tropicale, accentue cette impression d’étrangeté, alors qu’on passe dans un autre monde, avec ses petits ports où on vous sert une friture croustillante en face du fleuve limoneux ; un monde où la vigne voisine avec des bateaux de pêche…
En fait, le changement de paysage n’induit pas vraiment une rupture, puisqu’on trouve également d’excellents vins dans le nord du Médoc, même s’il n’y a pas de crus classés. On est quand même passé des appellations communales (Margaux, Saint- Julien, etc.) et régionale haut-Médoc à la seule appellation régionale Médoc. Celle-ci s’est beaucoup développée depuis les années soixante, où elle avait tendance à péricliter. Elle couvre environ 4 500 hectares et compte plus de 100 crus bourgeois, qui représentent 50 % de la production.
Le médoc est un vin rouge élaboré principalement à partir de cabernet sauvignon et de merlot, souvent élevé dans des barriques de chêne. C’est un vin dense, charnu et coloré qu’il faut attendre quelques années avant de le boire. On peut acheter entre cinquante et cent francs, en fonction des millésimes et des réputations. L’appellation Médoc est une des plus innovantes du Bordelais, parce qu’on y trouve des pionniers, souvent venus de l’extérieur (rapatriés d’Afrique du Nord, citadins désireux de se lancer dans la viticulture…) qui s’attachent à produire d’excellents vins, aptes à rivaliser avec leurs voisins du Sud.
Parmi les meilleurs de ces crus, on peut citer La Tour de By, un cru bourgeois tombé en déshérence qui a été “ remonté” par Marc Pagès. La tour éponyme du domaine domine cinquante hectares de vignes. La forte proportion de cabernet sauvignon donne un vin puissant et bien structuré, à l’agréable profondeur fruitée.
Tour Haut- Caussan, autre cru bourgeois, n’est pas fait par un outsider puisque la famille Courrian, qui en est propriétaire, vit à Blaignan depuis 1634… C’est un très beau vin, complexe et concentré, auquel un élevage luxueux dans le bois neuf apporte une touche de raffinement.
Le Château Potensac, cru bourgeois, est fait par l’équipe du Château Léoville-Las Cases, un second cru classé de Saint-Julien qui rivalise avec les premiers. Le résultat est un vin superbe, dense, profond, concentré avec un fruit mûr intense.
Le Château Patache d’Aux, cru bourgeois, produit aussi avec une grande régularité d’excellents vins. Le Château Loudenne, cru bourgeois, appartenant à des Anglais depuis 1875, fait un très bon médoc, ferme et élégant avec une touche de boisé. On trouve aussi à Château Loudenne un musée du vin et le domaine organise des cours de dégustation. Le Château Les Ormes-Sorbet, cru bourgeois, produit, année après année, un des meilleurs vins de l’appellation Médoc. C’est une valeur sûre. Le Château Greysac produit une quantité appréciable (500 000 bouteilles) de médoc souple et fruité, fin et élégant.
Je me souviens encore de mon émotion lorsque j’ai enfin pu boire en Amérique du Sud une bouteille de bordeaux, qui s’est trouvé être un Château Greysac, après avoir vécu pendant trois semaines avec comme horizon œnologique des cabernet sauvignon chiliens, version 1 $ 50 cents F.O.B. départ Valparaiso, et des malbec argentins… Si vous n’avez jamais compris ce que signifie le mot “ élégance ” appliqué au vin, je vous conseille vivement cette expérience ; vous en reviendrez transformé…
Cette énumération de crus bourgeois du Médoc ne serait pas complète, si nous ne nous intéressions pas au dernier arrivé : le Château Rollan de By, cru bourgeois. Rollan de By ou l’histoire d’une passion… Tout commence en 1989 quand Jean Guyon, un décorateur parisien fou de vin (il collectionne les bouteilles de bordeaux depuis l’âge de 18 ans…) rachète les deux hectares de Rollan de By, un vignoble d’appellation Médoc, situé sur la commune de Bégadan. Très vite, il s’aperçoit que les deux hectares, plantés à 75 % en merlot, sont insuffisants pour envisager une quelconque rentabilité. Il achète donc en 1991 sept hectares pour agrandir son domaine et amortir les investissements dans les chais et la cuverie, nécessaires à la réalisation d’un grand vin.
Depuis septembre 1995 enfin, la propriété compte quinze hectares de vieilles vignes (entre vingt-cinq et cinquante ans), situées sur de belles croupes argilo-graveleuses du quaternaire. La répartition des cépages reste originale pour le Médoc : 70 % merlot, 20 % cabernet sauvignon et 10 % petit verdot. Grâce à une culture attentive de la vigne et à des petits rendements, Jean Guyon assure la qualité des raisins qui entrent au cuvier. Il pratique des cuvaisons longues dans des cuves très larges, afin d’obtenir un maximum d’arômes. Les vins font leur fermentation malolactique (comme Le Pin et Valandraud…) et sont élevés dans des barriques neuves.
Pour renforcer la rigueur des sélections du grand vin, il fait aussi un second vin : Château Fleur de By. Jean Guyon applique en fait à ses vins les techniques de conduite de la vigne, de vinification, d’assemblage et d’élevage des meilleurs crus classés. Ses efforts ont été récompensés par une troisième place à la Coupe des crus bourgeois 1995.
Voici nos commentaires sur les deux vins du millésime 1996 :
Robe rubis soutenue. Nez flatteur, frais et net, avec des arômes de fruits rouges et une note florale. Bouche souple et ronde. Un vin tout en séduction que l’on peut commencer à boire.
Belle robe couleur pourpre claire. Nez finement boisé et fumé avec des arômes de fruits mûrs et d’épices. L’attaque est douce et enrobée ; les tannins sont présents mais avec une certaine rondeur, sans agressivité. Équilibre, intensité aromatique et longueur en bouche caractérisent ce vin qui est à l’aube d’une très belle carrière.