Auguste Comte…, Averroès
Auguste Comte aujourd’hui, tel était le thème d’un colloque organisé l’an dernier par des universitaires spécialistes de l’œuvre du philosophe. Leurs échanges ont porté notamment sur la valeur des arguments que la philosophie positive et le positivisme pourraient encore proposer pour alimenter la réflexion politique aujourd’hui. Sans attendre la parution des actes de cette réunion, Bruno Gentil (54) a rassemblé quelques textes relativement brefs pour composer un bulletin de la Sabix, qui fait suite à ses deux articles remarquables imprimés dans La Jaune et la Rouge à l’occasion du bicentenaire de la naissance du philosophe (juin 98 et janvier 99).
Bruno Gentil, qui préside l’association internationale La maison d’Auguste Comte, relate les grandes étapes de l’histoire du mouvement positiviste, depuis les dernières années du maître, jusqu’à nos jours. Une histoire intéressante et instructive. Elle met en scène des hommes de raison, généreux, animés par l’enthousiasme pour une philosophie politique et sociale visant à réorganiser la société, qui se développe en une religion de l’Humanité accompagnée de l’institution d’un véritable culte. Mais des divergences sur les principes, qui dégénèrent parfois en luttes de pouvoir, provoquent des scissions et conduisent au déclin de la Société positiviste. La relation se conclut par le texte de l’allocution prononcée par Bruno Gentil le 4 octobre 2001 à l’Unesco, en hommage à Paulo Carneiro.
Ce grand humaniste, longtemps ambassadeur du Brésil à l’Unesco, positiviste accompli, fondateur de La Maison d’Auguste Comte, a œuvré pendant cinquante ans pour sauvegarder l’appartement, la bibliothèque et le fonds de manuscrits du philosophe, sans hésiter à engager ses propres deniers dans cette opération. Grâce à son action opiniâtre l’appartement, monument historique et propriété de l’association, demeure un foyer de ralliement intellectuel, un musée, centre de documentation et de recherches sur l’œuvre de Comte et de ses disciples.
Bruno Gentil présente un document précieux pour les chercheurs, les notes que Comte, élève à l’École polytechnique, rédigeait quotidiennement pour garder la mémoire des cours suivis dans la journée. Il résume aussi un exposé de Jean Dhombres sur La postérité mathématique d’Auguste Comte, centré sur le Traité élémentaire de géométrie analytique paru en 1843. Cet ouvrage peu diffusé parce qu’il s’écartait trop des normes n’est pas seulement un excellent traité d’enseignement, mais il apparaît “ comme la première tentative sérieuse d’un retour de la philosophie sur la scène savante ”.
Michel Bourdeau, en résumant les conclusions du colloque, affirme sa conviction que la pensée politique d’Auguste Comte, tenue à tort comme définitivement dépassée, mérite d’être sérieusement réévaluée. Constatant l’influence des positivistes au début du XXe siècle, en Grande-Bretagne, en Belgique, au Brésil…, il estime nécessaire de s’interroger sur ce qui a pu intéresser à ce point nos prédécesseurs afin de dégager les idées susceptibles d’éclairer nos réflexions aujourd’hui.
Juliette Grange analyse les principes de la politique positiviste, conçus par Comte à partir de sa réflexion sur la science. Ce “ programme”, qui reposait sur “ le heurt et la complémentarité ” d’un pouvoir temporel et d’un pouvoir spirituel aux attributions définies de façon peu précise, ne proposait pas de mesures politiques claires, “d’idéologie résumable”.
Loué par des personnalités de tous bords politiques, mais difficilement applicable, il n’a pas été mis en application. Pourtant Comte nous fournit des instruments de pensée qui permettent de poser de “ manière neuve et radicale ” des problèmes contemporains, touchant notamment à la politique industrielle, aux conséquences politiques de l’application technique, au degré d’autonomie souhaitable pour la recherche fondamentale.
Ce bulletin comprend aussi une courte note d’Angèle Kremer-Marietti concernant le regard porté par Auguste Comte sur l’Islam, une brève description de “ l’appartement sacré ” par Aurélia Giusti, et une présentation du fonds Auguste Comte conservé par la bibliothèque de l’École polytechnique, rédigée par Claudine Billoux, archiviste de la bibliothèque.
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Dans la même livraison la Sabix propose un texte concis et dense écrit par Alexandre Mallat (38). Bibliophile passionné, celui-ci présente un manuscrit, copie réalisée en 1425 d’une traduction en hébreu d’un commentaire écrit par Averroès au XIIe siècle sur La Physique d’Aristote. À propos de ce précieux document Alexandre Mallat évoque brièvement les cheminements qui, grâce à des hommes érudits, épris de raison et tolérants, et à travers plusieurs civilisations successives, ont permis aux humanistes de la Renaissance de prendre connaissance des concepts fondateurs de la philosophie grecque. Un texte sobre mais qui ouvre à notre réflexion une si large perspective !
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Nous recommandons ce bulletin à l’attention des lecteurs qui s’intéressent à la philosophie et à la critique des idées politiques. Avec enthousiasme nous leur proposons mieux encore, au prix d’une modeste cotisation, adhérer à la Sabix afin de soutenir la bibliothèque de l’École polytechnique, institution remarquable mais peu connue, et qui offre aux recherches un fonds particulièrement riche.
Les lecteurs intéressés peuvent prendre contact avec madame Anne Eyral, tél. : 01.69.33.40.42.
Commentaire
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La politique positiviste, floue et inapplicable ?
On croit rêver à lire de telles choses ! Le programme politique de Comte était des plus concrets et ses disciples, peu nombreux il est vrai (voir http://membres.multimania.fr/clotilde/disciple/index.xml), se sont illustrés par de beaux combats directement inspirés des directives de leur maître : – abolition de l’esclavage (réalisée au Brésil sous l’impulsion des positivistes) – abandon total du colonialisme ; pacification des relations internationales – droits syndicaux et législation sociale
Sur ces deux dernier points les disciples grands-bretons de Comte se sont particulièrement illustrés (voir http://membres.multimania.fr/clotilde/disciple/britain/a_b_gb.xml) – séparation des Églises et de l’État – etc. Il y a même eu, de 1890 à 1930, une mini expérience de régime politique comtiste dans l’état brésilien du Rio Grande do Sul (voir http://membres.multimania.fr/clotilde/acetbres.xml) Entre autres choses, Comte demandait « que les Arabes expulsent énergiquement les Français de l’Algérie, si ceux-ci ne savent pas la leur restituer dignement ».
C’était clair et parfaitement applicable, comme la suite l’a montré ! Jusque dans les années 1950, il s’est trouvé des disciples pour décliner les enseignements politiques de Comte, de manière concrète et plutôt prophétique (voir par exemple http://membres.multimania.fr/clotilde/etexts/bresil/satellite.xml)