« La déconsommation, ça rend heureux »
Aurélie Moy (2013), fondatrice du Ty Village
Aurélie Moy (2013) est à l’origine du premier village de tiny houses en France, le Ty Village. Les tiny houses sont de petites maisons d’environ 12 m2 montées sur remorque qui constituent de nouveaux logements alternatifs et écologiques, aussi bien dans le choix des matériaux, le processus de construction et l’emprise au sol, que dans le mode de vie plus écoresponsable de celles et ceux qui y habitent. Un choix de sobriété inscrit dans un cadre plus global de décroissance de la consommation, qu’Aurélie a commencé à découvrir dès l’École lors du choix de sa 3A.
Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ton parcours à l’X ? Savais-tu déjà ce que tu voulais faire pendant tes années d’École ? Comment le projet a‑t-il mûri, quels sont les choix scolaires que tu as faits ?
Aurélie Moy : Quand je suis arrivée à l’X, je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Dans ma famille, tout le monde a fait une école d’ingénieurs (les Arts et Métiers pour mon père, Centrale pour ma mère). Ils ont fait toute leur carrière dans le monde de la finance et de l’assurance. Au début, j’avais cette image qu’il fallait forcément travailler dans un milieu comme celui-là. Ça ne suscitait pas beaucoup d’enthousiasme en moi, mais je n’avais pas vraiment d’autre imaginaire.
Au moment de choisir ma 3A à l’X, je faisais défiler les parcours d’approfondissement, c’était vraiment la grosse déprime : physique quantique, économie, big data… Rien ne me parlait. Mais le tout dernier de la liste était un parcours de sciences pour les défis de l’environnement (SDE), ça a été le soulagement ! Je n’avais pas vraiment de fibre écologique à l’origine, mais l’aspect pluridisciplinaire et le fait que ce soit tourné vers l’environnement m’ont attirée. Tous les cours du PA-SDE (programme d’approfondissement – sciences pour les défis de l’environnement) m’ont beaucoup plu.
« Je n’avais pas vraiment de fibre écologique à l’origine,
mais l’aspect pluridisciplinaire et le fait que ce soit tourné
vers l’environnement m’ont attirée. »
Pour ma 4A, je voulais partir dans un pays anglophone mais je n’étais pas attirée par la culture américaine. Je suis partie en Australie (je prenais encore l’avion à l’époque…) faire un master d’ingénieur environnemental à l’UNSW Sydney. J’aimais l’aspect un peu nature, anglophone, tourné vers l’environnement du master. Mais surtout c’était dans l’hémisphère Sud, avec une rentrée universitaire en février. Ça m’a laissé six mois pour faire un stage dans une ONG en Sierra Leone en Afrique de l’Ouest pour faciliter l’accès à l’eau potable en zone rurale.
À la fin de ma 4A en Australie, au moment de démarrer dans la vie active, c’était encore assez flou, je ne savais pas ce que je voulais faire. Je suis tombée sur PUR Projet, une entreprise sociale qui opère des projets de reforestation, d’agroforesterie et de conservation forestière (en gros, une boîte qui plante des arbres). Ça m’a beaucoup plu et convaincue de signer un CDI à Paris. Au bout d’un an, j’ai quitté l’entreprise car je n’étais pas heureuse dans la vie à Paris et je n’étais plus alignée avec la vision de l’entreprise. J’ai déménagé en Bretagne, j’ai acheté un voilier que j’ai habité. Je me suis consacrée pleinement pendant un an au Ty Village.
Micromaisons
Le mouvement des micromaisons ou small house movement est un mouvement social et architectural prônant la simplicité volontaire par l’habitation de petites maisons.
Qu’est-ce qui t’a plu dans l’idée d’avoir une tiny house, puis d’élargir ce rêve à un village entier ?
Aurélie Moy : Ce qui m’a fait vraiment attirée, c’est tout d’abord l’aspect minimaliste. Comme j’avais pas mal voyagé (en Sierra Leone, en Australie, au Mexique), je bougeais juste avec ma valise. Je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin de tant de choses que ça. L’aspect construction écologique me plaisait aussi : je faisais un master d’ingénieur environnemental et cela faisait sens pour moi. L’aspect liberté géographique a aussi joué : je peux travailler quelques années dans un endroit, puis bouger pour aller ailleurs. Enfin, l’aspect moindre du coût financier, je ne pensais pas avoir une carrière où je gagnerais beaucoup, et donc j’avais intérêt à être propriétaire rapidement, à ne pas contracter trop de prêts.
“C’est pour moi une grande source d’épanouissement d’explorer la sobriété.”
Le Ty Village avait démarré un peu avant que je quitte PUR Projet. J’avais commencé à rêver de tinys quand j’étais en 4A en Australie. J’avais beaucoup de temps pour moi, j’ai commencé à dessiner des tinys, à contacter des constructeurs. C’est là que j’ai travaillé avec l’Atelier des branchés (constructeurs de tiny houses). Pour implanter la tiny que je faisais construire pour moi, j’ai pensé à un terrain familial en friche à Saint-Brieuc. Mais, comme le terrain est grand, il y avait la place d’en installer plusieurs, c’est comme ça que j’ai pensé à la possibilité de faire un village de tinys. Ça pouvait aussi permettre de répondre à une demande de nouveaux logements. C’est ainsi que le projet est né.
J’ai créé l’entreprise avec mon père et je la gérais d’abord en parallèle avec PUR Projet. Ça demandait beaucoup de temps, surtout au moment où l’on a inauguré le village. Quand j’ai quitté PUR Projet, j’ai pu me consacrer davantage au Ty Village et me lancer dans l’aventure politique. C’était six mois avant les municipales, je prenais conscience des leviers de la politique locale, j’ai rejoint une équipe et je suis désormais élue dans l’opposition.
Est-ce que tu peux nous présenter le projet du Ty Village ? Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées, quelle forme prend le projet aujourd’hui ?
Aurélie Moy : Le Ty Village est une entreprise propriétaire d’un terrain à Saint-Brieuc, qui a obtenu l’accord de la commune pour construire des tiny houses et les louer sur ce terrain et pour laisser de la place pour que certaines personnes viennent s’installer avec leur propre tiny. Aujourd’hui, dix-huit tiny houses sont occupées, à la fois par des retraités, des couples, des étudiants.
La plus grande difficulté à laquelle j’ai été confrontée, propre à n’importe quel projet de type entrepreneurial, c’est de me retrouver à faire tous les métiers du monde, des tâches pour lesquelles je n’avais aucune compétence, aucune formation. Je me suis retrouvée à faire de la plomberie, à discuter avec des entreprises de travaux publics, à gérer des problèmes d’urbanisme. Le plus dur, c’est de devoir prendre des décisions, alors que je n’y connais rien du tout.
Je suis très satisfaite de la forme que ça a pris. Je lui ai consacré beaucoup de temps et d’énergie pendant deux ans et maintenant le projet fonctionne tout seul. Le gestionnaire, Michel, est sur place. Il ne reste que trois emplacements à remplir. Une vie sociale commence à s’installer entre les personnes habitant les dix-huit tiny houses. Ça me fait vraiment plaisir, parce que j’ai un peu porté le projet toute seule pendant deux ans, et maintenant je vois que les personnes occupant les tiny houses s’approprient de plus en plus les lieux : des projets sont portés par elles pour faire découvrir l’habitat réversible, elles prennent l’initiative de planter des fleurs, d’installer un poulailler, de faire un tableau des petites annonces, etc.
Ce village s’inscrit donc évidemment dans une démarche écoresponsable et écologique. Est-ce que tu lui donnes également une portée sociale ?
Aurélie Moy : Une de mes motivations était l’aspect intergénérationnel : j’avais envie de faire du village un lieu de rencontre entre des personnes plus jeunes et des personnes plus âgées. Ça s’est fait assez naturellement. Aujourd’hui plusieurs personnes sont installées au Ty Village dans leur propre tiny : une femme d’une soixantaine d’années, un homme d’une quarantaine d’années, un couple qui a la trentaine et une femme de 26 ans.
Sur l’aspect social, nous avons également été contactés par la Protection civile qui avait besoin d’hébergements pour loger des bénévoles pendant les pics de Covid. Nous leur avons mis à disposition deux tinys. Nous veillons aussi depuis deux ans à faire en sorte que les tinys qui ne sont pas occupées l’été par des étudiants puissent servir à faire du logement saisonnier. Le logement saisonnier constitue une énorme tension sur les côtes de Bretagne l’été.
Tu as choisi un projet concret, à l’échelle très locale d’un village. Que penses-tu des X qui décident dans des structures beaucoup plus importantes dans le domaine de l’environnement, de la recherche ou du conseil dans le domaine de l’énergie par exemple ? Est-ce que tu trouves cela vain ?
Aurélie Moy : Je pense que chacun doit aller là où il se sent d’aller. Il faut avoir le sentiment d’être à la bonne place pour avoir un maximum d’énergie, pour contribuer pleinement. Ce qui me parle personnellement, c’est de porter ce projet du Ty Village, de tester la voie de la politique locale, mais aussi d’acculturer les entreprises aux problèmes écologiques. Il y a pour moi un côté rassurant à travailler à petite échelle, de voir vraiment les contours d’un projet plutôt que de travailler dans des structures plus grosses. C’est là où je me sens le plus à l’aise. Par exemple, la politique à plus grande échelle (départementale, régionale ou nationale) ne me parle pas du tout. Travailler à l’intérieur d’un grand groupe ne me parle pas non plus. Mais si certains en ont l’envie, qu’ils se lancent, on en a besoin !
Est-ce que tu penses que la lutte écologique va nécessairement de pair avec une plus grande sobriété au quotidien, avec la nécessité de se débarrasser autant que possible de notre tendance à surconsommer ?
Je suis clairement en faveur de la décroissance. Non seulement parce que ça paraît une évidence d’un point de vue de la situation écologique aujourd’hui : on a besoin de réduire les flux de matière, de réduire les flux d’énergie pour réduire les émissions et les impacts en général. Mais c’est surtout pour moi une grande source d’épanouissement d’explorer la sobriété, de sortir de la surconsommation, de vivre avec peu de choses et de remplir ma vie de liens humains. C’est à la fois une nécessité écologique et un nouveau modèle d’épanouissement : la déconsommation, ça rend heureux !
Quelles sont les ressources (livres, films, articles, revues…) qui ont forgé ta vision des enjeux liés à l’environnement et à l’écologie ?
Aurélie Moy : Parmi les livres qui m’ont le plus marquée, il y a le livre de Cyril Dion, Petit manuel de résistance contemporaine, et, développant davantage l’aspect d’écopsychologie, L’espérance en mouvement de Joanna Macy (comment accueillir les émotions qui peuvent surgir lorsqu’on prend conscience de la crise écologique, comment digérer ces émotions et en faire un moteur d’action).
Au-delà des lectures, ce sont des événements qui m’ont fait cheminer. Par exemple, le festival annuel Oasis des colibris. Les Oasis, c’est le mouvement d’écolieux, d’habitat participatif, et ils organisent chaque année un festival. J’ai aussi passé du temps à La Bascule (une association souhaitant accélérer la transition démocratique, écologique et sociale en encourageant notamment le lobbying citoyen), aux côtés de l’association Hameaux légers, et j’ai fait du woofing.
Quelles sont tes motivations pour les années à venir ? Aussi bien dans tes projets personnels que pour le Ty Village ?
Aurélie Moy : Pour le Ty Village, qu’il termine sa croissance – avec l’accueil de trois tinys supplémentaires nous serons au complet –, qu’on arrive à monter un projet intelligent pour l’été et que les habitants et les habitantes continuent à y vivre heureux et heureuses.
Pour moi, m’installer quelque part à la campagne où je pourrai, à travers différents projets, contribuer à revitaliser socialement et écologiquement un petit bout de planète !
Est-ce que tu as un message à transmettre aux élèves de l’École ?
Aurélie Moy : Je trouve que ce serait une excellente idée de créer un binet low-tech à l’X. Vraiment ! Des ingénieurs qui mettraient leur cerveau en action pour imaginer des solutions basse technologie, durables, facilement réparables avec les moyens du bord pour répondre à des besoins primaires, plutôt que d’aller vers toujours plus de high-tech. Comment fabriquer un poêle à bois, un chauffe-eau solaire, ce genre de choses. Le binet s’inscrirait un peu dans la démarche du Low-tech Lab (programme de recherche et de documentation open source visant à valoriser l’innovation low-tech), qui publie des rapports sur l’efficacité de ce qui est produit, et qui documente de manière très riche ses créations.
Article initialement paru dans l’IK n° 1398 du 8 décembre 2021 à l’initiative du NeXt (association d’écologie et de promotion de la transition durable des modes de vie à l’École polytechnique). Merci à Helen Sands (2020) et à la rédaction de l’IK pour l’aimable reproduction de cet article.
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