Aux États-Unis, Rallonger la scolarité pour assurer un emploi
La Sarah E. Goode STEM Academy de Chicago est en train de redéfinir ce que signifie être éduqué au XXIe siècle.
Les enfants ne sont pas appelés élèves, mais innovators. Pour eux, la durée du second cycle du secondaire est portée à six ans au lieu des quatre ans réglementaires. Ils quittent la high school pourvus d’un associate’s degree qui complète celui couronnant la fin des études secondaires.
“ Un niveau de salaire minimum de 40 000 dollars par an ”
En plus, il leur est offert un job. IBM, qui a joué un rôle déterminant dans la création de l’école, s’est engagé à proposer à chaque diplômé un emploi rémunéré au minimum 40 000 dollars par an.
Cette école, qui a été édifiée dans un quartier sensible de Chicago, s’ouvre à la middle class.
Un grand bond en avant
Il existe déjà 7 écoles de ce type à New York et à Chicago, et 29 doivent ouvrir d’ici deux ans dans le reste des États- Unis. Il s’agit de réinventer l’enseignement secondaire. Dans leur grande majorité, les élèves sont African American.
L’OFFRE D’EMPLOIS QUALIFIÉS
Les révolutions de l’économie ne cessent de renforcer l’offre d’emplois qualifiés dans les nouvelles technologies ; aussi la formation STEM devient-elle de plus en plus attractive en mettant des jeunes de 16 à 19 ans en mesure de poser de façon crédible leur candidature.
De leur côté, des entreprises blue chips comme IBM y trouvent des solutions à leurs besoins de main‑d’œuvre tout en favorisant le développement d’une classe moyenne qui constitue le socle de leur clientèle.
Ils semblent heureux de se voir offerte une chance de réussir dans une école où il y a ni examen d’entrée, ni frais de scolarité exorbitants, et où les enseignants semblent heureux. Les enseignants et les élèves sont persuadés de participer à une sorte de grand saut en avant du système éducatif américain, le premier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la scolarité en high school a été rendue gratuite et obligatoire.
Barack Obama, comme de nombreux politiciens américains, mais aussi des dirigeants de grandes entreprises et des spécialistes de l’éducation, sont persuadés qu’il faut rallonger de deux ans la durée des études en high school.
Les gouverneurs du Tennessee et de l’Oregon ont déjà annoncé un programme garantissant deux années gratuites de college (enseignement supérieur) pour tous les diplômés de high school.
Mais la généralisation pose beaucoup de problèmes, notamment celui de savoir qui va payer.
La manière d’étudier
Il ne s’agit pas seulement de la durée des études, mais aussi de ce qu’on étudie et de la manière d’inciter les élèves à étudier. Le programme intitulé P‑Tech (Pathways in technological early college high school) a été défini conjointement par IBM, le département de l’éducation de l’État de New York et la City University de New York.
“ Une version du modèle germanique de l’apprentissage ”
Une première promotion atteindra le niveau du diplôme final en 2018, mais il apparaît dès maintenant qu’une moitié de ces élèves, qui n’ont été l’objet d’aucune sélection et sont issus de parents n’ayant pas fait d’études secondaires, sont déjà aptes à recevoir l’enseignement de maths du niveau college.
Il existait bien des filières vocationnelles liées à l’industrie et orientées vers l’emploi, mais elles étaient réservées aux élèves de milieux pauvres et les tentatives faites pour rapprocher les high schools des milieux industriels avaient échoué, car les parents ne voulaient pas que leurs enfants dévient du cursus classique.
Il en est résulté un décrochage entre les productions du système éducatif et les besoins de l’économie, qui s’est traduit en chômage des jeunes, particulièrement ressenti chez les jeunes Afro- Américains.
De plus le montant de la dette contractée par les étudiants qui entrent sur le marché du travail ne cesse de monter, atteignant maintenant un milliard de dollars.
Des initiatives dispersées
Pour qu’une éducation marche, il semble indispensable qu’elle fonctionne dans le cadre d’une coopération entre les étudiants, les enseignants, les employeurs et les gouvernements. L’article cite des exemples d’implication de grandes entreprises : Procter & Gamble, Microsoft, Exxon Mobil, etc. Elles financent des programmes permettant à des élèves de high school d’acquérir des college credits pour leur en faciliter l’accès en diminuant les coûts qu’ils devront supporter.
Réinventer l’enseignement secondaire à Chicago.
D’autres programmes orientent l’enseignement vers des qualifications où l’offre d’emploi est en croissance rapide, avec des stages en entreprise.
Cependant, ces initiatives restent dispersées et seule une minorité de high schools sont réellement impliquées dans le monde du travail qui les environne. À l’inverse, les écoles P‑Tech recherchent une profonde et permanente implication.
À Chicago, les cinq établissements ciblent les qualifications dont la demande est croissante tout en étant localisés dans les quartiers sensibles. Les entreprises contribuent au financement des études qui leur procurent la main‑d’oeuvre dont elles ont besoin. Le besoin d’emplois de ce niveau devrait augmenter de 17,5 % d’ici à 2020.
Pour y répondre, il faut à la fois favoriser l’accès aux community colleges et multiplier les P‑Tech schools, où l’implication des entreprises garantit un débouché vers l’emploi. Il s’agit d’une version « col blanc » du modèle germanique de l’apprentissage, étant bien admis que tous les élèves ne seront pas obligés d’aller chez IBM.
Le programme met l’accent sur les qualités de présentation et de communication et sur la capacité de se vendre, toutes qualités que la plupart des étudiants n’ont pu acquérir dans leur milieu familial.
Un engagement du monde industriel
BÉNÉFICIER À TOUS
En novembre dernier 2013, le président Obama a affecté un crédit de 100 millions de dollars à la poursuite des expériences type P‑Tech : « Nous sommes en train de secouer notre higher education system », a‑t-il dit.
La dernière fois que le système d’enseignement secondaire a été réorganisé, les responsables politiques comme les électeurs avaient été d’accord sur la gratuité. Dans la situation actuelle, le consensus semble acquis sur la nécessité d’allonger la durée des études, mais il reste à garantir que cet allongement bénéficiera à tous les élèves.
Quelles sont les prochaines étapes ? Le modèle P‑Tech a rencontré peu d’opposition de la part des syndicats d’enseignants parce qu’il fonctionne à l’intérieur du système public d’enseignement, lequel garantit la gratuité de la scolarité en high school.
Mais il reste un problème à résoudre pour généraliser l’allongement à six ans de cette scolarité au-delà de quelques expériences pilotes : celui du financement. La solution passe par l’implication des responsables des collectivités locales – à Chicago comme à Brooklyn, les établissements P‑Tech ont bénéficié d’un engagement très fort des maires – mais aussi par un engagement de l’ensemble du monde industriel.
Dans tous les cas, il apparaît évident que pour produire des jeunes dont la qualification réponde aux besoins du marché de l’emploi, il faudra allonger d’au moins deux années la scolarité, que ce soit en high school ou en college.
Dix-huit nouveaux établissements ont vu le jour cette année et, vraisemblablement, onze en 2015.