Avant-propos : 2005, année mondiale de la physique
Inutile et dépensière ! C’est ainsi que l’homme de la rue pourrait être tenté, comme tel ministre du général de Gaulle, de qualifier la recherche, comparée aux danseuses et aux courses de chevaux pour leur efficacité dépensière. En dépit de ce jugement abrupt et provocateur, les gouvernements successifs de l’après-guerre ont fait de la recherche une priorité et lui ont attribué jusqu’à 2.5 % du PIB national au début des années quatre-vingt-dix. Depuis cette époque, le financement de la recherche a malheureusement connu dans notre pays une décrue lente et régulière, même si la France a su bâtir grâce à cette période relativement faste un système de recherche d’une excellence reconnue, au moins dans les domaines de la physique ou des mathématiques.
En fait, la recherche apparaît comme l’un des meilleurs investissements à long terme, si l’on en juge par le fait que les pays les plus avancés comme le Japon, les États-Unis ou la Suède consacrent environ 3 % de leur richesse nationale à leurs activités de recherche, loin devant la France. Mais une vision politique à trop court terme a conduit chez nous au malaise actuel, à la révolte des chercheurs de l’année 2004 et à la réflexion actuelle sur le rôle et l’importance de la recherche en Europe. Cette dernière n’affiche-t-elle pas, sans d’ailleurs véritablement prendre les moyens de l’atteindre, l’objectif de consacrer 3 % de son PIB à la recherche en 2010 ?
Les défis qui nous attendent sont pourtant gigantesques, face à un épuisement accéléré des ressources et un nombre d’habitants qui pourrait bientôt atteindre, voire dépasser, 9 milliards. Des réajustements d’une très grande brutalité sont à craindre, lorsque se présentera bientôt l’épuisement de ressources aussi précieuses que les hydrocarbures, le gaz, les métaux précieux ou même nos sols cultivables, toutes ressources que nous dilapidons à un taux très supérieur à leur capacité de renouvellement. L’accroissement de l’effort de recherche, qui seul pourra nous donner les outils permettant d’optimiser les ressources et de composer avec la Nature quand elle nous rappellera ses lois, apparaît donc aujourd’hui plus essentiel que jamais.
Ce numéro spécial de La Jaune et la Rouge est consacré à des travaux d’excellence qui ressortent principalement de la recherche fondamentale. Même si la recherche finalisée, à laquelle un deuxième numéro spécial de La Jaune et la Rouge sera consacré, est à l’évidence également essentielle, c’est en effet principalement la recherche fondamentale qui est à l’origine des applications majeures des décennies futures. L’accroissement fantastique des capacités de calcul et de stockage, la toile de l’Internet, la production d’électricité par l’énergie nucléaire sont des applications fondamentales et pratiquement imprévisibles de développements initialement ésotériques.
Les auteurs de ce numéro spécial décrivent donc autant des domaines dont on saisit dès aujourd’hui l’importance pour notre vie de demain, comme la fusion contrôlée, la compréhension du climat ou les nanotechnologies, que d’autres, comme la gravité répulsive ou les bizarreries de la mécanique quantique, où cette vision nous échappe encore. Mais pourrait-on envisager de construire un ordinateur quantique, rêve actuel des grands laboratoires de recherche, sans comprendre la notion d’intrication des états quantiques ?
Ce numéro spécial nous fournit également l’occasion de regretter qu’au fil des années les élèves de l’X aient délaissé de façon inquiétante les carrières de la recherche. Pourtant, une large part des richesses actuelles de la France est due à des programmes menés avec intelligence et continuité par les serviteurs de la nation que sont – mais se considèrent-ils encore ainsi ? – les élèves des grandes écoles.
Souhaitons que les jeunes polytechniciens retrouvent le chemin de nos laboratoires, et que la nation leur offre la reconnaissance de la « chose publique » qu’ils défendront ainsi.