AX Ambassadeurs en Australie, l’île-continent de tous les possibles
Anne-Béatrice Bréchémier (92) et Julien Gastaldi (2005) sont les ambassadeurs AX des antipodes en Australie. Des terres lointaines et attirantes où des polytechniciens sont présents et où d’autres pourraient facilement trouver leur place en raison des chantiers immenses dont ce pays vaste et contrasté est l’objet.
Où êtes-vous en Australie et dans quel secteur exercez-vous ?
Anne-Béatrice : Je vis à Sydney depuis trois ans et demi et je suis en train de me repositionner dans le monde du private equity et de l’infrastructure. Je suis venue en Australie pour m’y installer, pas dans le cadre d’un projet professionnel. Auparavant, j’étais en Chine où je dirigeais Fives Cryo Suzhou, entreprise française dans l’énergie – cryogénie. Ça fait bientôt huit ans que j’ai quitté la France. J’étais attirée par la Chine et, depuis l’Asie, j’ai découvert l’Australie. J’avais envie de travailler à nouveau dans un contexte professionnel anglo-saxon tout en restant proche de l’Asie, et je voulais aussi que mes enfants ajoutent la pratique de l’anglais à celle du chinois. En arrivant en Australie, j’ai travaillé bénévolement dans l’associatif autour des start-up, du mentoring et du networking.
“Pour l’obtention du visa,
j’ai dû prouver à Engineers of Australia
que l’X était une bonne école d’ingénieurs.”
Julien : Je suis arrivé en Australie en 2008 pour faire ma 4A. À l’X, j’avais fait un programme scientifique sur le changement climatique et mon premier stage a porté sur la gestion de l’empreinte carbone de GDF-Suez en Australie pour leurs opérations déchets. J’ai beaucoup aimé cette expérience et n’ai pas vraiment changé de job depuis. Je suis toujours dans la gestion du CO2, des gaz à effet de serre et pas uniquement dans la gestion des déchets. Je voyage aux quatre coins de l’Australie mais je suis basé à Sydney. J’y ai rencontré une Française qui habitait Palaiseau quand j’étais à l’X et nous avons deux enfants. Comme mon stage et mon premier travail m’avaient plu, je suis resté une année de plus et, de fil en aiguille, comme l’obtention du droit de résidence et de la carte verte sont un peu un parcours du combattant, nous nous sommes retrouvés ma compagne et moi citoyens australiens avec une maison, un chien et deux enfants. Sans vraiment l’avoir planifié, nous sommes en train de faire notre vie ici. Une des raisons pour lesquelles j’ai envie de m’impliquer davantage dans les réseaux de l’AX, c’est qu’à terme j’aimerais « m’expatrier » un peu en France pendant deux ou trois ans pour y avoir une expérience professionnelle et pour que nos enfants puissent passer du temps avec leurs grands-parents. Nous avons pris la décision de nous installer en Australie avant de nous rendre compte de ce que la distance représentait. Car trente heures d’avion dans un low-cost quand tu as vingt ans, c’est une chose, avec deux enfants qui crient, c’est nettement moins facile.
Comment se sont passées votre arrivée et votre adaptation en Australie ?
AB : Pour moi, ça a été relativement facile car j’arrivais de Shanghai. Je parle un peu chinois mais je maîtrise beaucoup mieux l’anglais, donc tout a été beaucoup plus simple. Tout était beaucoup plus lent aussi. Les Chinois réagissent au quart de tour pour une demande de papier, pour une réparation, tout arrive très vite. Ça ne tient pas forcément bien, mais c’est beaucoup plus rapide qu’en France. En comparaison avec Shanghai, l’Australie m’a également paru beaucoup plus calme. Et, après les ciels couverts et pollués, j’ai découvert un ciel bleu tout le temps, l’air pur, le soleil, l’océan, de grands horizons… Les histoires de visas n’ont pas été simples en revanche. Un agent d’immigration m’a mal aiguillée sur l’obtention d’un premier visa qui ne me permettait pas de travailler. J’ai mis presque deux ans à en obtenir un autre qui me permette de travailler. Heureusement, j’avais été prévenue du sujet à l’avance et avais anticipé. Mes enfants sont entrés très facilement à l’école française.
J : Mon arrivée a été moins stressante. En tant qu’étudiant, j’avais le droit de travailler vingt heures par semaine. J’ai eu mon permis de travail deux ans et demi après mon arrivée. J’ai dû travailler dans une ferme pendant trois mois pour justifier mon séjour sur le territoire. Ça a été une très bonne expérience de rameuter des moutons en motocross. Mais je n’ai eu le droit de résidence permanente qu’en juillet 2011, trois ans après mon arrivée. Dans ces moments-là, on est totalement à la merci du patron. Si votre job s’arrête, vous avez entre trois et cinq semaines pour faire vos valises et rentrer ! L’expérience australienne, c’est avant tout le visa et les papiers d’immigration. Le fait de travailler dans une entreprise française n’aide pas, car le statut d’expatrié n’existe plus. Pour l’obtention du visa, j’ai dû prouver à Engineers of Australia que l’X était une bonne école d’ingénieurs. Les Australiens ne connaissent pas le système des écoles d’ingénieurs et c’est difficile de leur expliquer que c’est une très bonne formation par rapport à ce qu’ils connaissent, que mes notes à l’X n’étaient pas à comparer avec les notes australiennes, surtout mes notes de sortie par rapport à mes notes d’entrée ! Ici, c’est un système anglo-saxon avec de grandes universités qui ont une bonne réputation, à l’intérieur desquelles un réseau se crée. Le simple fait d’utiliser le mot school ou lieu de university nous déclasse en quelque sorte.
Ce que nous aimerions faire avec le groupe des X en Australie, c’est tisser des réseaux et créer des liens pour que les prochains n’aient pas à faire tout ce travail d’explication et pour qu’ils soient aiguillés vers les bons visas, etc.
Y a‑t-il beaucoup d’X qui travaillent en Australie ?
AB : Il y en a une cinquantaine, plus de deux tiers dans la région de Sydney. L’autre poste est Melbourne, puis Perth, Brisbane. Nous sommes en lien avec presque tout le monde via un groupe LinkedIn et un groupe WhatsApp. Vu les difficultés de déplacement actuelles, nous ne nous sommes réunis qu’entre habitants de Sydney pour l’instant. Les X travaillent plutôt dans le développement durable, l’énergie, les énergies renouvelables, les infrastructures. Quelques-uns travaillent dans le retail (data analytics). L’Australie est une terre d’opportunités pour les infrastructures et l’énergie en général car les investissements et les besoins y sont colossaux. La France a beaucoup d’atouts à faire valoir dans les énergies renouvelables et les infrastructures. Sydney est en train d’être agrandie vers l’Ouest, un deuxième aéroport est en cours de construction, des lignes de train, de bus, des habitations… Et comme c’est un pays immense, il y a beaucoup de choses à faire et les conditions climatiques ne sont pas des plus tendres pour les infrastructures.
J : Les ingénieurs européens ont une vraie valeur ajoutée dans tous ces projets. Avec tout le respect que j’ai pour mes compatriotes australiens, je constate que vivre dans un pays qui a depuis trente ans 3 % de croissance annuelle incite moins à l’effort et je les trouve en retard dans tout ce qui est efficacité énergétique, optimisation de design, etc. Dès qu’ils préparent un grand projet, très vite ils font appel à une entreprise européenne. Leur métro, c’est Alstom, leurs infrastructures, c’est souvent une entreprise espagnole.
Parlez-nous de la vie à l’australienne.
AB : À Sydney, nous sommes entourés par l’eau, la baie est immense et présente partout. Le soir ou tôt le matin, dès 5h30, on peut aller faire du paddle en groupe dans la baie, c’est fréquent. Les habitations sont étalées, la nature est toute proche.
J : Une des raisons pour lesquelles nous restons, c’est la qualité de vie, l’équilibre entre le travail et la vie personnelle. Il est difficile d’imaginer la vie ailleurs. Il faut mettre de côté ses souvenirs français où l’été, on dîne longuement au coucher du soleil. Ici, c’est le matin que tout se passe, tout le monde se lève à 5h30 pour aller faire son foot, son yoga, son surf ; puis le travail commence vers 8 heures, sans vraie pause déjeuner, à l’anglo-saxonne, sans vie sociale pendant la journée. À 17h-17h30, la journée de travail est finie. Les Australiens prennent volontiers une bière à la sortie du travail. Le confinement n’a pas été vécu ici de façon traumatique. C’est aussi le pays de la live music. Tous les dimanches après-midi dans tous les bars de toutes les villes, il y a un groupe qui joue. Daft Punk a lancé son dernier album ici.
Mon travail m’amène parfois dans les régions plus centrales d’Australie, et là, il s’agit totalement d’un autre pays. C’est le far-west, le poids de l’histoire coloniale y est bien plus présent, il faut vivre de la débrouille, la ville la plus proche se trouve à 10 heures de 4 x 4. Quand on aime l’aventure, c’est sympa. Ça ouvre également une vue sur des points sensibles de l’histoire australienne, sa relation à l’Angleterre, la décolonisation des peuples aborigènes… Quand on s’installe à l’intérieur des terres, on en découvre la face cachée, marquée également par le climat et la nature. Ce qui rend ces endroits très durs à vivre, c’est qu’ils ont des cycles infernaux de trois ou quatre ans de sécheresse totale suivis par deux ou trois ans de pluies torrentielles.
Existe-t-il deux Australie ou plus ?
J : Il y a au moins trois Australie : l’Australie des villes qui est multiculturelle, très moderne, très digitalisée. L’Australie traditionnelle blanche de descendance anglo-saxonne, présente là où se concentre le pouvoir, avec un mode de vie à l’anglaise, avec des courses de chevaux, des grands chapeaux, dans les banlieues et dans les régions. Jusque dans les années 1970, les seules personnes qui avaient le droit d’immigrer via l’immigration choisie étaient des Anglais à la peau blanche. On peut dire qu’ils n’interagissent pas vraiment ni avec les premiers Australiens ni avec les derniers Australiens. Et ensuite il y a la dure vie des personnes de couleur. Jusqu’au milieu des années soixante, les Aborigènes n’avaient aucun droit et étaient considérés comme de la faune…
Êtes-vous en relation avec des Australiens ou plutôt avec les populations du melting-pot ? Est-ce facile de se faire des amis ?
AB : Professionnellement, j’ai plutôt des amis australiens ; j’ai aussi des amis asiatiques, japonais, indiens, beaucoup d’anglais, des français, un peu de tout. C’est assez facile de se faire des amis ; des amis australiens, c’est peut-être un peu plus dur, ça prend un peu plus de temps.
J : Se faire de copains expatriés de toute nationalité, c’est très facile, surtout dans nos professions. Tisser des liens dans la communauté australienne, cela représente des années de travail et on n’y est jamais vraiment. On sort très facilement après le boulot boire une bière ou un café de manière très conviviale mais, pour les liens plus personnels, c’est autre chose. Dans mon travail, je me force à aller à la rencontre de l’Australien typique, mais c’est très facile de vivre ici sans vraiment s’intégrer dans la communauté australienne.
Quelles sont les tensions de la société australienne ?
J : L’Australie a une éthique appelée le fair go et le mateship (camaraderie). La culture australienne s’appuie sur cette idée d’équité plus que d’égalité, que chacun doit avoir une chance raisonnable dans sa vie. Ceux qui prennent l’ascendant sur leur groupe sont vite rappelés à l’ordre. C’est une culture rugby : on y va, on se rentre dedans dans une bonne camaraderie, on se prend des coups au passage, mais ça finit bien. C’est assez marrant à vivre dans la vie de tous les jours. Y a‑t-il du racisme en Australie ? Je dirais oui et absolument pas. C’est un racisme un peu léger qui s’applique à tout le monde. 180 nationalités coexistent et ils ont des stéréotypes sur tout le monde, chacun en prend pour son grade. L’Australie manque un peu de recul sur sa propre culture. Les Australiens ont l’impression d’être cette grande famille de camaraderie où tout le monde est intégré alors qu’il y a un vrai phénomène de classes et de ségrégation. À part en 2005 où des émeutes avaient eu lieu sur ces thèmes-là, pour l’instant, ces tensions ne remontent pas à la surface parce que tout va bien, tout le monde a un boulot, la vie avance.
Dans les faits, ce qui m’a toujours impressionné et qui m’a donné envie de rester, c’est la sécurité dans ce pays. Un de mes premiers souvenirs d’étudiant, c’était de voir que des jeunes filles ayant trop bu, errant à trois heures du matin dans la rue, étaient secourues par un gentleman rugbyman qui les aidait à se relever, à prendre un taxi, et qui s’assurait que tout allait bien.
AB : Dans la vie, les tensions ne se voient pas. On sait que ce n’est pas forcément facile pour les Aborigènes, qu’il y a des catégories qui ne peuvent pas vraiment monter dans l’échelle sociale, ou très lentement. Les tensions existent mais ne sont pas à fleur de peau.
Pourquoi avez-vous accepté d’être ambassadeurs AX pour l’Australie ? Comment voyez-vous votre rôle ?
AB : Il y a tout à faire ici pour faire connaître l’X, pour faciliter les réseaux, etc. Le tout à faire est attirant. Et j’ai à cœur d’être une ressource ici, de faire connaître l’École, que des partenariats soient noués avec les universités et les institutions australiennes qui conviennent, d’accueillir les nouveaux arrivants, de connecter les X qui vivent ici et créer une communauté, d’être en contact avec les X ambassadeurs dans les autres pays. L’ambassade AX m’a fait connaître aussi les polytechniciens présents en Australie, car j’en connaissais très peu.
“Il y a tout à faire ici
pour faire connaître l’X,
ce tout à faire est attirant.”
J : De façon pratique, j’avais un peu l’impression d’être le seul X en Australie qui répondait aux demandes de stage dont ma boîte e‑mail était régulièrement inondée. Comme je travaille dans une catégorie niche, je passais mon temps à refuser des demandes de stage parce que je ne pouvais pas les pourvoir. Je les redirigeais vers des contacts, mais sans process suivi. J’avais l’impression de ne pas vraiment aider. Et j’ai toujours été très reconnaissant des occasions que l’X m’a apporté. Après treize ans ici, je suis content de donner de mon temps et de ma reconnaissance, de faire un peu plus que payer ma cotisation et mon abonnement à la JR.
Comment s’est passée votre première réunion ?
AB : C’était très sympa de se découvrir. Julien nous avait trouvé un lieu avec vue sur l’opéra. Nous étions douze et voulons être plus nombreux la prochaine fois, tout en gardant ça à l’australienne, cool.
J : C’était un très bon moment. Par rapport à ce que je m’imaginais qu’allait être une réunion d’alumni de l’X, j’ai été agréablement surpris par le nombre de polytechniciennes, il y avait une bonne parité et une belle variété de parcours.
Pour en savoir plus…
We acknowledge the Traditional Owners of Country throughout Australia and their continuing connection to land, sea and community. We pay our respects to them and their cultures, and to the Elders both past and present. https://www.1voiceuluru.org/.
We further acknowledge the special role that indigenous people play in mitigating and adapting to climate change around the world. http://declaration.humanrights.gov.au/
A propos du réseau AX Ambassadeurs (en Australie et ailleurs)