Bach Le Clavier bien tempéré, Livres I et II, Sir András Schiff, piano
Cet ensemble monumental de plus de quatre heures et près de cent morceaux est considéré parfois comme l’Ancien Testament de la musique pour piano (les trente-deux sonates de Beethoven étant le Nouveau Testament), selon une expression du pianiste et chef Hans von Bülow, ami et rival sentimental de Wagner. Pour chacun des deux livres, vingt-quatre préludes et vingt-quatre fugues sur des tonalités qui s’enchaînent do majeur, do mineur, do# majeur, …, jusqu’à avoir parcouru toute la gamme chromatique des 24 modes majeurs et mineurs. Le premier livre est achevé en 1722, le second en 1744.
Dans cet ensemble monumental, aucun prélude, aucune fugue ne ressemble à aucun autre : les fugues le plus souvent à trois ou quatre voix déploient un éventail complet des procédés contrapuntiques ; les préludes sont d’une variété mélodique, rythmique ou de construction peut-être encore plus grande. Chacune de ces pièces démontre la maîtrise d’un contrepoint savant qui pourtant ne prend jamais le pas sur l’esthétique, et un sens du développement de l’idée musicale qui ne cède jamais à la répétition et à la facilité.
Malgré l’inventivité de Bach, ses variations de style, d’harmonie, la créativité de ses rythmes et de ses fugues, on imagine bien que pour tenir ces œuvres en public cela demande à l’interprète des qualités hors du commun pour à la fois en maîtriser la technique, mais surtout pour maintenir l’attention des spectateurs. C’est ce que réalise le grand pianiste hongrois András Schiff (né en 1953) lors de deux soirées au Proms de Londres qui nous sont restituées sur ces DVD dans des conditions d’image et de son exceptionnelles. Schiff joue et enregistre les grandes œuvres de Bach depuis le début des années 80, mais reconnaissons que son Bach depuis quelques années offre une plénitude, une richesse, une sérénité, une hauteur de vue qui est indispensable pour saisir la force de cette musique.
Enchaînant les morceaux archi-célèbres (premiers préludes et fugues) et d’autres bien moins connus et terriblement exigeants, Schiff réussi l’exploit de passionner l’auditeur deux heure durant, ces soirs-là de 2017 et 2018 au Royal Albert Hall de Londres, comme dans ses tournées les années suivantes, y compris à Paris il y a quelques mois à la Philharmonie et au Théâtre des Champs-Élysées.
Le film de ces concerts nous permet de percevoir le recueillement attentif d’un Royal Albert Hall plein à craquer grâce au jeu clair, vivant, et toujours merveilleusement chantant de Schiff. Il varie les atmosphères entre chaque morceaux, Schiff dit qu’il voit même des couleurs différentes pour chaque pièce. En fait une telle façon de jouer permet de mettre d’accord les partisans d’une interprétation de ces œuvres au piano et les opposants qui considèrent qu’on doit les jouer sur des instruments que Bach a connus.
Considérons que Bach a toujours utilisé les instruments à sa disposition au maximum de leur capacité, et que Bach en présence d’un piano moderne aurait parfaitement adoré, comme nous, ce que Schiff tire de son merveilleux instrument, avec usage modéré et différencié de la pédale. Il est impressionnant de voir comment Schiff joue ces partitions longues et complexes par cœur, il reconnaît lui-même qu’il a la chance d’avoir une bonne mémoire parfaitement adaptée à Bach.
L’Ancien Testament du piano, dans sa version de référence.
Deux DVD ou Blu-ray Naxos