BANQUE : Banque de marché et analyse stratégique, le mariage de la carpe et du lapin ?
Devises, obligations, actions, matières premières sont échangées, émises, prêtées au comptant ou à terme, dérivées sous forme d’options, de futures, de warrants, de swaps, sur des marchés organisés ou de gré à gré qui s’étendent 24 heures sur 24 sur tous les continents…
Le territoire des opérations de marché donne le vertige tant par sa complexité que par les montants colossaux mis en œuvre.
Complexe mais techniquement accessible : un téléphone, quelques écrans, une poignée de logiciels de calculs de prix… pour quelques centaines de milliers d’euros par an une banque peut lancer un opérateur sur les marchés et cet opérateur pourra espérer rejoindre ces quelques stars du trading qui ont construit des fortunes en quelques années.
Au bout de ce rêve se trouve parfois la désillusion voire, en l’absence de contrôle suffisant, la catastrophe.
« Si la solution miracle existait cela se saurait »
Sur les marchés l’esprit rationnel est mis à rude épreuve : du côté académique les économistes démontrent par l’absurde que toute « martingale » durable de trading est illusoire car sinon rien ne s’opposerait à des profits illimités ou presque, alors que du côté des salles de marché et dans les directions des banques on espère souvent tout de la « star » que l’on débauche à grands frais chez un concurrent.
Il n’est pas rare de rencontrer des managers chevronnés expliquer que « à quoi bon mesurer les volumes d’activités (et par extension quoi que ce soit d’autre que le profit final) puisqu’on peut tout aussi bien au cours d’une journée être très actif et perdre de l’argent ou au contraire ne rien faire et voir sa position de départ s’apprécier » ?
Ainsi, le succès ou l’échec semble, pour certains, résulter principalement du mystère de l’inspiration individuelle ce qui conduit parfois les directions des banques soit au fatalisme de ne pouvoir attirer les meilleurs, soit à l’agitation stérile par la succession rapide d’hommes providentiels.
Et pourtant les stratégies gagnantes existent…
Nous constatons en effet que certaines banques parviennent à construire des activités de marché durablement plus profitables que celles de leurs concurrents, comme, par exemple, Citibank, leader du marché des changes depuis vingt ans.
À n’en pas douter, ces succès ne sont pas les fruits du pur hasard, mais ceux de la conception et de la mise en œuvre de stratégies gagnantes.
Cependant chaque banque a ses particularités, son positionnement, son histoire. Comment concevoir et mettre en œuvre une stratégie efficace conçue sur mesure ?
L’approche analytique , que notre société a prise comme principe de base dans le domaine du conseil en stratégie, a maintes fois démontré sa « surpuissance » dans l’industrie, la distribution ou les services plus traditionnels. Mais est-elle opérante dans ce contexte si particulier des activités de marché ?
Effectivement nous avons eu l’occasion de pratiquer avec succès ce mariage de la carpe et du lapin, et nous allons décrire les grandes lignes de cet apparent tour de force.
Revenons tout d’abord sur les côtés particuliers des activités de marché en prenant l’exemple des activités de taux et de change.
Tout ce qui bouge, bouge parce qu’autre chose bouge
Un des points distinctifs des marchés de taux et de change est que la marge commerciale est du même ordre de grandeur que la fluctuation à très court terme du prix du produit vendu. Les systèmes d’information classiques deviennent alors impuissants à séparer économiquement les contributions des opérations commerciales, des opérations de teneur de marché interbancaires ou enfin des opérations spéculatives.
Prenons un exemple dans lequel nous vous proposons de jouer le rôle du banquier. Le trésorier d’une holding vous demande un prix en euros pour un million de dollars (habituellement on ne précise pas s’il s’agit d’acheter ou de vendre) ; vous lui proposez les deux cours suivants : 1,0000 € (si l’industriel vous vend ses dollars) et 1,0003 € (s’il vous achète des dollars). L’industriel décide d’acheter des dollars à 1,0003 €. Dans la pratique en tant que banquier vous pensiez trouver ces dollars sur le marché interbancaire en moyenne à 1,0002 € et donc réaliser un gain de 100 € pour chaque million de dollars. Manque de chance dans les minutes qui suivent cette transaction, le dollar monte et vous ne pouvez plus vous le procurer qu’à 1,0004 € : vous venez de perdre 100 €. Vous pouviez aussi attendre que le dollar fluctue à nouveau à la baisse pour solder votre position mais vous vous seriez engagé alors dans une (courte) opération de spéculation. Quoi qu’il en soit, comment répartir les gains ou les pertes entre le commercial qui a amené le client et le trader qui a fait le prix et qui cherche à rééquilibrer ensuite sa position avec une dose plus ou moins forte de spéculation ?
Pour répondre à cette question centrale nous avons été conduits à analyser les revenus des différentes composantes d’une activité sous une forme probabiliste, en partant de la « matière première » que constituent les centaines d’opérations journalières dont les systèmes doivent garder l’enregistrement tout au long de l’année.
En plusieurs occasions, sur des devises et sur des places différentes, nous avons pu faire la démonstration qu’une telle approche est effectivement en mesure de dissocier dans les revenus les composantes commerciales des composantes spéculatives et donc de permettre d’arbitrer stratégiquement entre ces deux orientations.
Une fois quantifiées, les performances commerciales mesurées par le couple (marge-volume) sur chaque marché pris individuellement répondent à des problématiques concurrentielles complexes certes, mais stables et au fond « classiques ».
À titre d’exemple les facteurs suivants (soigneusement paramétrés) se sont avérés importants et pour certains « segmentants » sur le marché des changes :
• la régularité dans la qualité des prix proposés,
• l’influence de la relation globale avec le banquier,
• la qualité du service et de l’information fournis,
• la qualité de la relation interpersonnelle,
• la gamme de produits traités, etc.
Dans les autres industries plus « traditionnelles » évoquées ci-dessus, on pourrait trouver des « facteurs explicatifs » similaires, mais avec une quantification à chaque fois différente de leur pondération et de leur intensité.
De la même façon la capacité à générer des marges dans le métier de trading et market-making (en plus des composantes commerciales citées ci-dessus) peut s’analyser en termes structurels. Parmi les facteurs explicatifs stables on trouve le volume des flux traités, le type de contrepartie, etc.
In fine, le résidu statistique (part de la performance qui n’est expliquée par aucun paramètre physique) peut être considéré comme l’efficacité spécifique de telle ou telle équipe… On en est alors effectivement à mesurer le talent individuel qui, à défaut d’être le seul facteur comme on le dit trop souvent, existe quand même !
Et les coûts dans tout cela ?
Nous avons insisté sur la spécificité des activités de marché en ce qui concerne la génération de marge. Autant les revenus des activités de marché sont soumis à d’énormes fluctuations autant les coûts dans ces métiers sont relativement fixes.
Cependant, l’analyse des coûts et performances des systèmes et des back-offices des activités de marché demeure fondamentale à l’heure des choix stratégiques. La mesure des avantages ou des handicaps liés à la taille, à la disposition des sites, aux niveaux de productivité est toujours aussi indispensable pour tracer les voies d’amélioration et pour décider des axes stratégiques les plus rémunérateurs.
Dans des métiers pour certains de plus en plus banalisés (comme le marché SPOT des grandes devises, ou le marché des OAT) l’analyse des structures de coûts reste un pilier de la réflexion finale. Nous avons pu identifier de cette manière des écarts d’efficacité concurrentiels aussi importants que dans le domaine des revenus.
L’invariance de l’analyse stratégique
Au bout du compte la démarche stratégique que nous pratiquons sur les activités de marché combine les réflexions sur la génération de revenus et sur les règles de fixation des coûts. Elle permet lorsqu’elle est menée à son terme de dresser un diagnostic stratégique d’ensemble en répondant aux questions majeures :
• sur chaque produit de marché dans quelles proportions une banque est-elle un fournisseur à des clients finals, un teneur de marché ou un spéculateur averti ?
• quels sont les contributions et les risques de ces différentes composantes de l’activité ?
• quelle est la position structurelle face à la concurrence et face à l’évolution de la demande ?
• peut-on optimiser la conduite des opérations par rapport au potentiel structurel ?
• quelles orientations doit-on prendre en termes de clientèles, de portefeuille produits, de portefeuille d’activités pour satisfaire au mieux l’actionnaire ?
Appliqués aux activités de marché, les objectifs de la démarche stratégique n’ont rien perdu de leur ambition de rationalisation. Mais pour être au rendez-vous il a fallu adapter la méthodologie à la complexité et à l’instabilité des marchés de capitaux.
À ce titre, alors que les banques cherchent désormais à intégrer des scientifiques pour participer à la gestion de leurs opérations, dans notre société les ingénieurs ont toujours constitué le noyau dur des équipes qui sont aujourd’hui chargées de décortiquer la problématique stratégique d’industries complexes du secteur bancaire, ou d’autres secteurs.
Exclusivement dédié au diagnostic stratégique et à la mise en œuvre des recommandations dans le domaine de l’économie concurrentielle, Mars & Co a été créé en 1979 à Paris par Dominique G. Mars et travaille en partenariat exclusif avec un nombre limité de clients à l’échelle mondiale. Avec les bureaux de Londres, New York, Paris, San Francisco, Tokyo et Shanghai, l’effectif total est de l’ordre de 300 consultants.
Jean Latizeau(72) est vice-président de Mars & Co, qu’il a rejoint à sa création, après quatre ans passés à la Direction du marketing d’Unilever.
Patrick Fuvel (vice-président) est ingénieur civil des Ponts et Chaussées (80) et diplômé de Stanford (MS 81). Il a travaillé quatre ans chez Total comme chef de projet en recherche technologique avant de recevoir son MBA de l’INSEAD et de rejoindre Mars & Co en 1988.